Mme X., 52 ans, connue pour une hypertension artérielle essentielle et traitée par une combinaison fixe antihypertensive séjourne régulièrement à son chalet à Chandolin (altitude : 1936 m). Elle signale que lors des automesures de la pression artérielle (PA), les valeurs sont trop hautes (162/92 mmHg de moyenne). Elle est inquiète par rapport à la survenue d’un événement cardiovasculaire et vous demande conseil.
Un nombre croissant de nos patients choisissent des destinations touristiques à haute altitude soumettant ainsi leur organisme à des contraintes telles que des changements de température ou une baisse de la pression partielle en oxygène. Si les maladies de la haute altitude comme le mal aigu des montagnes, l’œdème cérébral de haute altitude et l’œdème pulmonaire de haute altitude viennent immédiatement à l’esprit,1 il ne faut pas oublier de prendre en compte les pathologies médicales déjà présentes à basse altitude. Avec une prévalence de l’ordre de 26% (19% chez la femme et 32% chez l’homme) dans la population suisse,2 l’hypertension artérielle est l’une des conditions médicales fréquemment rencontrées chez nos patients qui doit être prise en compte lors d’un séjour à haute altitude. A titre de comparaison, il est intéressant de constater que la prévalence actuelle dans une population du Ladakh vivant à des altitudes comprises entre 2600 et 4900 m est de 37%.3 Les facteurs associés à l’hypertension de cette population étaient classiques : sexe masculin, âge, obésité. Cependant, il est intéressant de constater que la prévalence était beaucoup plus faible dans les populations nomades (28%) vivant à haute altitude (4000-4900 m) par rapport à la population sédentaire. Les changements socio-démographiques, économiques et alimentaires sont de possibles explications à l’augmentation de la prévalence de l’hypertension artérielle dans ces régions.
On estime que la prévalence de l’hypertension artérielle systémique chez les voyageurs se rendant à haute altitude se situe entre 6 et 14% avant l’ascension.4,5 Ces chiffres, probablement sous-évalués car basés sur des questionnaires, soulignent l’importance de cette condition chez les patients séjournant en altitude. Il n’existe cependant que peu de recommandations pour guider le médecin dans la prise en charge de ces patients.
La haute altitude est définie par l’altitude à laquelle la saturation en oxygène de l’hémoglobine passe en dessous de 90%. Cela correspond à une altitude d’environ 2500 m. L’hypoxémie provoque alors une série d’adaptations physiologiques des systèmes pulmonaires et cardiovasculaires nécessaires pour maintenir une oxygénation adéquate des organes (tableau 1).6
En ce qui concerne la PA systémique, l’adaptation à l’altitude peut être fractionnée en trois phases.7 Initialement, dans les premières minutes et heures, la pression artérielle varie peu en raison de la vasodilatation périphérique provoquée par l’hypoxie qui neutralise l’activation du système sympathique induite par des chémoréflexes.8 Les mécanismes pouvant expliquer cette vasodilatation périphérique initiale sont la génération d’oxyde nitrique (NO), la libération d’ATP par les érythrocytes.9 Par la suite, les mécanismes vasopresseurs prédominent, ce qui engendre une élévation de la PA systémique.10 L’activation du système nerveux sympathique, traduite par une élévation des taux de noradrénaline et une augmentation de la décharge des fibres sympathiques au niveau du nerf péronier (microneurographie), est considérée comme centrale lors de cette phase.10 Il faut cependant noter, qu’en dehors de l’hypoxie, d’autres stimuli comme des températures basses, le stress physique, la douleur (céphalées) peuvent également stimuler le système nerveux sympathique. Une augmentation des taux d’endothéline-1 ou de la viscosité sanguine, secondaire à celle de l’hématocrite, qui intervient cependant tardivement pourraient également participer à l’élévation de la pression artérielle. Finalement, après une période d’acclimatation de plusieurs semaines qui aura, entre autres, corrigé en partie l’hypoxémie, les mécanismes énumérés s’atténuent par un phénomène de feedback négatif.
L’augmentation de la PA à haute altitude a surtout été mise en évidence lors d’expositions de courtes durées.11,12 Initialement, la mesure de la PA s’est faite de manière conventionnelle sur quelques mesures, ce qui peut expliquer quelques discordances dans les résultats obtenus.7,13 L’augmentation de la PA avec l’altitude a cependant été confirmée par des mesures ambulatoires de la PA. Ainsi, Bilo et coll. ont pu montrer que, dans un groupe de participants normotendus âgés de 42 ans, sous placebo, la PA systolique moyenne sur 24 heures passait de 118 ± 2 mmHg (niveau de la mer) à 126 ± 2 mmHg (4559 m, 2 jours après l’arrivée en haute altitude).14 Deux constatations importantes sont à relever dans cette étude: d’une part, l’élévation de la PA avec l’altitude était beaucoup plus marquée sur la mesure de 24 heures que sur la mesure conventionnelle, ce qui évoque une sous-estimation de la mesure de la PA par la méthode conventionnelle. D’autre part, cette augmentation était surtout provoquée par l’élévation de la PA nocturne. L’atténuation de la réduction physiologique de la PA nocturne est probablement multifactorielle avec comme mécanismes potentiels, une baisse de la qualité du sommeil, une fragmentation de celui-ci et des épisodes de désaturation associés à des troubles respiratoires liés au sommeil. La même équipe a pu démontrer que l’augmentation aiguë de la PA évaluée par des mesures de 24 heures se retrouvait chez des patients hypertendus non traités.15 Dans cette étude, l’ascension du niveau de la mer à une altitude de 3260 m entraînait une augmentation de 11 ± 9 mmHg de PA systolique. L’effet plus marqué sur la PA nocturne se retrouvait dans cette étude également. Dans une autre étude, la mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures chez des participants en bonne santé a montré que plus l’altitude s’élevait, plus la PA augmentait.16 Elle a également démontré que même après une acclimatation de trois semaines, la PA restait plus élevée qu’en plaine et que les valeurs de PA revenaient progressivement aux valeurs habituelles seulement lorsque les patients retournaient à basse altitude.16 Finalement, il faut relever que la majorité des études se sont intéressées à la PA au repos, alors que par essence, l’activité physique fait en général partie des séjours en haute altitude. Dans une étude comparant l’augmentation de la PA à deux altitudes différentes, Savonitto et coll. ont pu démontrer que la PA augmentait de manière similaire à l’effort à basse ou à haute altitude, bien que la PA avant l’effort fût plus élevée à haute altitude.17 Cette étude a également mis en évidence que la réponse interindividuelle était très variable, une caractéristique retrouvée fréquemment dans les études réalisées à haute altitude.6
L’objectif d’un traitement antihypertenseur est de réduire le risque de mortalité et de morbidité cardiovasculaire. Qu’en est-il du risque à haute altitude ? On ne dispose que d’une seule étude portant sur les séjours en haute altitude qui établit un lien entre hypertension artérielle et mortalité. Cette étude rapporte le risque de mort subite en altitude et montre que par rapport à une population contrôle, les patients décédés d’une mort subite étaient, entre autres, plus fréquemment hypertendus (50% vs 17%), sans qu’un lien causal puisse être clairement établi compte tenu de la nature rétrospective de l’étude.18
Il n’existe pour le moment aucune recommandation spécifique pour le traitement de l’hypertension artérielle systémique en haute altitude en raison de données insuffisantes. Cependant, plusieurs études ont pu comparer l’effet de certains antihypertenseurs à un placebo lorsque les patients passaient du niveau de la mer à la haute altitude. La première (HIGHCARE-ALPS), qui comparait le nébivolol et le carvédilol à un placebo, a montré que chez des participants en bonne santé, les deux médicaments baissaient la PA au niveau de la mer sans pour autant freiner l’augmentation de la PA liée à l’altitude.14 De plus, en altitude, comparée au placebo, l’utilisation de ces bêtabloquants était associée à une baisse de la saturation en oxygène. Dans une autre étude randomisée contrôlée (HIGHCARE-Himalaya), il a été démontré que le telmisartan abaissait la PA plus efficacement, au niveau de la mer et à 3400 m d’altitude, qu’un placebo mais sans pour autant éviter l’augmentation de PA liée à la montée en altitude.16 Lorsque les participants séjournaient à 5400 m, l’effet hypotenseur par rapport au placebo n’était plus visible. Cela signifie qu’au-delà d’une certaine altitude l’effet hypotenseur ne serait plus visible par rapport à un placebo. Finalement, chez des patients avec une hypertension modérée, une combinaison (telmisartan/nifédipine) a été comparée à un placebo.15 Les propriétés hypotensives de cette combinaison persistaient à 3260 m par rapport au placebo, sans que l’augmentation de PA liée à l’altitude ne soit atténuée. La saturation en oxygène était cette fois supérieure dans le groupe traité activement que dans le groupe placebo. Ceci très probablement grâce à la nifédipine qui est le médicament de choix dans le traitement de l’œdème pulmonaire aigu d’altitude.
Compte tenu de l’élévation habituelle de PA lors de l’exposition aiguë à la haute altitude et malgré la variabilité de la réponse de cette augmentation, il est raisonnable de conseiller aux patients séjournant à haute altitude de poursuivre leur traitement antihypertenseur habituel. Il est également conseillé de suivre la réponse tensionnelle lors des premiers jours en haute altitude à l’aide d’un dispositif validé d’automesure de la PA. Ceci est d’autant plus recommandable si le patient n’a pas qu’une hypertension artérielle isolée, mais accumule les comorbidités. L’adaptation du traitement, si les valeurs dévient (vers le haut ou le bas) de l’intervalle de normalité prédéfini et que des symptômes y sont associés, devrait se faire selon un plan préétabli avec le médecin traitant. Si nécessaire, une interruption de l’ascension d’un ou deux jours doit être considérée, au pire, un retour en basse altitude entrepris.
La réponse de la PA lors d’un séjour en altitude est variable d’une personne à l’autre. En moyenne, la PA augmente avec l’altitude tant chez les patients hypertendus que chez les volontaires normotendus en bonne santé. Avant un séjour en altitude, la PA devrait être bien contrôlée. Celle-ci devrait être mesurée lors de la première semaine d’un séjour en haute altitude afin d’ajuster le traitement si nécessaire. Il n’existe actuellement pas de recommandations favorisant un traitement antihypertenseur par rapport à un autre lors d’un séjour en haute altitude. Les anticalciques et les bloqueurs du système rénine-angiotensine semblent cependant bien tolérés, sans effets négatifs sur la saturation en oxygène. De façon pragmatique, il vaut probablement mieux ne pas modifier un traitement antihypertenseur efficace plutôt que de faire des modifications thérapeutiques aléatoires juste avant un départ.
> A haute altitude la pression artérielle (PA) augmente aussi bien chez le normotendu que chez l’hypertendu
> La PA devrait être bien contrôlée avant un séjour à haute altitude
> Des automesures tensionnelles de la PA sont conseillées lors d’un séjour prolongé en haute altitude chez les patients hypertendus, particulièrement si ceux-ci souffrent de co-morbidités
> Bien que les antihypertenseurs abaissent la PA au niveau de la mer, ils n’empêchent pas l’élévation de celle-ci en réponse à l’exposition aiguë à la haute altitude