C’était écrit. L’information vient d’être publiée dans Genome Biology.1 Une équipe internationale de généticiens dirigée par le Pr James A. Timmons (XRGenomics Ltd, King’s College de London) annonce avoir mis au point un test génétique diagnostiquant (à partir d’un simple prélèvement de sang) l’état réel de vieillissement de votre corps ; non pas l’âge de votre état civil, et mieux que l’âge de vos artères : le temps qu’il vous reste à vivre – du moins si aucun accident brutal (suicide, accident de la circulation) ne vient interrompre le cours de votre existence. Point n’est besoin d’être assureur pour comprendre l’ampleur d’une telle découverte.
Avec un humour assez britannique, les auteurs de ce travail précisent que leur découverte ne permet en aucune manière de modifier le cours des événements. Ce n’est ainsi (du moins pour l’heure) qu’une sorte de cartomancie scientifique parée de toutes les vertus de la génétique.
Ce travail a été mené à partir d’échantillons biologiques d’une centaine d’hommes de plus de 70 ans de la «Uppsala Longitudinal Study of Adult Men birth-cohort». Les chercheurs expliquent avoir effectué un vaste travail de balayage de marqueurs génétiques pour en retenir cent-cinquante, les plus parlants pour établir leur «signature» quant au temps qui, à partir d’un certain âge, vous reste à vivre. «Il y a une signature du vieillissement qui est commun à tous nos tissus, et il semble être un bon pronostic pour un certain nombre de choses, y compris la longévité et le déclin cognitif» a expliqué le Pr Timmons à la BBC. A partir de 40 ans vous pouvez l’utiliser pour savoir comment un corps vieillit.»
On peut voir là une confirmation : l’âge et la santé sont deux entités qui ne sont nullement superposables. C’est aussi, semble-t-il, une démonstration que des éléments tenus pour être nocifs (comme la sédentarité) pourraient en réalité être moins importants qu’on le supposait jusqu’à aujourd’hui. La vérité semble être une combinatoire du potentiel génétique et du mode de vie.
Pragmatiques comme ils le sont, les chercheurs britanniques voient ici une méthode qui permettrait notamment de mieux guider (chez des personnes âgées) les prélèvements d’organes destinés à être transplantés. Cette technique pourrait aussi permettre de cibler les campagnes de dépistage. Elle pourrait aussi éclairer les actions à mener pour identifier les personnes à risque de souffrir d’une maladie neurodégénérative et mener chez elles des actions de prévention. Ils n’excluent pas non plus les conséquences que ce test pourrait avoir si l’on autorisait les assureurs à l’utiliser.
«Notre travail soulève sans aucun doute un certain nombre de questions importantes, mais nous sommes déjà jugés sur notre âge et cela pourrait être là une manière plus intelligente de le faire, explique le Pr Simmons. Vous pouvez aussi décider de ne pas payer autant pour votre retraite et profiter de votre vie comme elle est actuellement.» On peut espérer qu’avant d’être mis sur le marché ce test devra passer des contrôles rigoureux quant à sa sensibilité et sa spécificité. En toute rigueur, une telle commercialisation par une société privée imposerait une analyse politique et la saisine des instances bioéthiques. Sans attendre la suite des événements, les principaux signataires de ce travail ont déposé un brevet protégeant leur découverte – brevet détenu par la société XRGenomics.
Cette cartomancie génétique apparaît au moment où les éditions du Seuil publient la traduction française du dernier ouvrage de Hans Küng.2 Dieu sait si l’auteur a, ces dernières décennies, pu faire couler de l’encre théologique. Son éditeur français le présente ainsi : «Hans Küng, né en 1928, est un théologien catholique mondialement connu pour ses prises de position contestataires et courageuses dans une Eglise qu’il n’a jamais quittée». L’homme ne change pas de cap qui, cette fois, attaque le chapitre sans doute le plus difficile : la fin.
On peut, ici, commencer précisément par le texte de quatrième de couverture :
«Comment un théologien catholique peut-il, ose-t-il, défendre l’idée d’une “aide à mourir”, appelée aussi “suicide assisté” ou “accompagné”, ou encore “euthanasie” ?
Précisément au nom de sa foi ! “Justement parce que je crois en une vie éternelle, j’ai le droit, le moment venu, de décider quand et comment je vais mourir.” C’est comme croyant que Hans Küng défend une fin de vie digne de l’homme, de son humanité. “Un Dieu qui interdirait à l’homme de mettre fin à sa vie quand la vie lui fait porter durablement des fardeaux insupportables ne serait pas un Dieu amical à l’homme.”
Hans Küng parle pour lui-même et ne veut rien imposer à personne. Mais avec beaucoup de délicatesse et de nuances, il revendique, pour ceux qui n’en peuvent plus de vivre, le droit de partir quand ils l’ont souhaité, en toute clarté et lucidité.
Ce livre est aussi un parcours simple et éclairant sur le “changement de paradigme” où nous sommes engagés aujourd’hui dans notre compréhension de la vie et de la mort humaines.»
On peut aussi, en poursuivant ce chemin inversé, découvrir d’emblée le post-scriptum. Un texte court «dû aux circonstances actuelles». Il a été rédigé en août 2014 à Sursee (Lucerne). On y apprend que l’auteur a traversé, peu avant l’impression de son livre, «une grave épreuve de santé» : une «séquelle des avancées de sa maladie de Parkinson». «Littéralement, une nuit, le contrôle de sa vie sembla glisser de ses mains – un état qui ne s’améliora que peu à peu, après des semaines de soins médicaux intensifs». Or c’est très exactement ce que l’auteur voulait éviter : n’être pratiquement plus capable de décider lui-même de sa vie et de sa mort – d’avoir «laissé passer le moment».
Cette situation conduisit Hans Küng à s’interroger, avec son éditeur (Piper Verlag) quant à la légitimité de cette publication : le livre méritait-il d’être publié si l’auteur avait failli à mettre en œuvre ses préceptes ? La réponse fut, et fort heureusement, positive : l’idéal n’est pas de ce monde. «A mes médecins, thérapeutes et soignants. Et à tous ceux qui m’ont soutenu. Avec ma gratitude» écrit d’ailleurs l’auteur.
On aimerait aujourd’hui savoir quelle lecture pourrait faire Hans Küng de la publication de Genome Biology. Que dire si tout (ou presque) est inscrit dans cet ARN qui serait le Livre de la vie ? La génétique relance-t-elle, ou pas, le vieux et antique débat sur la prédétermination et les limites de notre libre arbitre ? C’est là une question qui devrait passionner autant les théologiens que les assureurs, en Suisse comme ailleurs.
On s’arrêtera aussi sur la «note sur la traduction» qui figure au début de l’ouvrage. Elle est éclairante pour toutes celles et ceux qui, malheureusement, n’ont jamais appris à parler et à comprendre la langue allemande – à commencer par ses déclinaisons sur la mort et le mourir. Jean-Louis Schlegel, le traducteur, nous apprend aussi que l’anglais et le latin ont, avec luck et fortuna, un mot propre pour évoquer «le bonheur de la bonne fortune». Dans ce cas le français ne parle ici que de chance. Et l’allemand, avec Glück parle à la fois de bonheur et de chance. Ce même allemand qui croit dur comme fer que Dieu n’est vraiment heureux que quand il vit en France.