Le bilan préconceptionnel se définit comme l’éducation et les soins médicaux prodigués avant la conception, dans le but d’optimiser à la fois le processus et les suites de la grossesse (diminution du risque d’anomalies congénitales, de petits poids de naissance, d’avortements, de complications maternelles). Sont discutés dans cet article le bilan des pathologies sur lesquelles le médecin peut intervenir, ainsi que les principes régissant le choix des médicaments dans cette catégorie de patientes.
Le recours aux examens radiodiagnostiques et aux médicaments est fréquent lors de pathologies intercurrentes chez la femme enceinte. L’évaluation du rapport risque/bénéfice doit être systématique, avec un devoir particulier d’information aux patientes. Le choix des tableaux cliniques s’est donc porté sur des pathologies fréquentes en médecine interne générale et lors desquelles l’usage des traitements médicamenteux, ainsi que de modalités d’imageries, nécessite parfois certaines précautions et adaptations.
Le bilan préconceptionnel (tableau 1)1–10 s’adresse à toutes les femmes en âge de procréer (de 15 à 49 ans environ), et devrait s’intégrer régulièrement aux consultations de premier recours.
Le statut vaccinal est primordial, la vaccination des futures mères permettant de protéger les fœtus d’infections congénitales, les nourrissons (avant qu’ils ne soient en âge d’être eux-mêmes vaccinés) et les femmes enceintes d’un risque de complications accru. Les vaccinations contre la rubéole, la rougeole et la varicelle sont à vérifier et, le cas échéant, à compléter – si la femme n’est pas enceinte – jusqu’à un total de deux doses (sauf en cas d’anamnèse certaine pour la varicelle). Si la vaccination est complète, la protection conférée est suffisamment élevée pour ne pas nécessiter de sérologie. La recherche d’anticorps n’est recommandée qu’en cas de grossesse chez une femme non vaccinée ou au statut vaccinal inconnu.1–3
Afin de protéger les nourrissons, la vaccination contre la coqueluche est recommandée à tous les couples en âge de procréer, dont le dernier rappel vaccinal remonte à plus de dix ans.1,2
Le dépistage de l’hépatite B est recommandé chez les personnes à risque. La vaccination contre l’hépatite B fait partie des vaccins de base et serait à recommander à toutes les femmes.2 Le dépistage du VIH est fortement recommandé. En cas d’infection, une grossesse est généralement envisageable, mais elle nécessite un traitement antiviral, indépendamment de la charge virale et du taux de CD4, pour prévenir la transmission verticale.4,5
Concernant la toxoplasmose, en se basant sur la faible incidence de la toxoplasmose congénitale en Suisse, la très faible morbidité induite, l’efficacité douteuse des traitements prescrits en cas de séroconversion en cours de grossesse et des risques associés à toutes les interventions/tous les examens possibles durant la grossesse, le groupe de travail suisse sur la toxoplasmose a proposé, en 2009, de renoncer aux tests de dépistage sérologique avant et pendant la grossesse. Par contre, l’accent est mis sur l’importance de la prévention primaire, avec éducation de toutes les femmes présentant un désir de grossesse sur les sources d’infection et les moyens de prévention7 (tableau 2). Si toutefois, après discussion, la patiente insiste, le dépistage permet de rassurer les femmes séropositives et de ne dispenser les recommandations d’usage qu’aux femmes séronégatives.4,7
L’évaluation de la consommation de tabac et d’alcool est capitale non seulement pour l’issue de la grossesse, mais aussi parce que la grossesse constitue une motivation précieuse pour le sevrage. Les interventions consistent à aborder le sujet du tabac à chaque consultation et à recommander aux fumeuses de limiter au minimum leur consommation, sachant qu’un sevrage avant la conception diminue significativement le risque de prématurité et de retard de croissance intra-utérin ; pour l’alcool, les habitudes de consommation sont à évaluer chaque année et les femmes doivent être informées que le seuil à risque est difficile à déterminer, d’où le message «zéro alcool pendant la grossesse».10
En outre, évaluer le risque de maladie génétique avant la conception permet d’anticiper des choix difficiles.
Enfin, la supplémentation en acide folique (4 mg/j) pendant les quatre semaines avant la conception, puis pendant les douze premières semaines d’aménorrhée, diminue le risque de spina bifida (figure 1).10
Dans la population générale, les malformations congénitales touchent 2 à 3% des naissances et les médicaments ne sont incriminés que dans moins de 5% des cas.10,13
Les médicaments tératogènes avérés (thalidomide, rétinoïdes…) augmentent de plus de 20% l’incidence des malformations et nécessitent une contraception efficace tout au long de leur prescription (et parfois même après la fin du traitement). Concernant d’autres médicaments, il existe des évidences claires d’un risque malformatif, mais les avantages d’un traitement pendant la grossesse contrebalancent dans certains cas les risques. La décision d’arrêter ou de poursuivre ces médicaments en cas de désir de grossesse dépend de la possibilité d’un traitement alternatif et de la balance risque/bénéfice thérapeutique (sachant que la décompensation d’une maladie chronique de la mère peut parfois être plus délétère pour l’évolution de la grossesse que le traitement en lui-même) (tableau 3).10–13
Il est recommandé de revoir tous les médicaments que la femme en âge de procréer consomme, y compris les médicaments homéopathiques et naturels (l’arnica a des propriétés abortives, par exemple)11 et leur éventuelle toxicité ou tératogénicité.
La période d’exposition à un médicament peut être calculée en fonction de la durée d’élimination de la molécule : si la pharmacocinétique est linéaire, il faut cinq demi-vies pour éliminer 96% de la molécule du compartiment plasmatique.12 Durant les douze jours suivant la fécondation, les échanges materno-fœtaux sont peu importants et on s’accorde à penser que l’influence d’un agent exogène sur l’embryon est faible.10 Le risque de tératogénicité augmente à partir du 17e jour et est maximal entre le 25e et le 40e jour. Il diminue par la suite progressivement jusqu’à la fin de l’embryogenèse (8e semaine postconception).
Quant à la sécurité générale des médicaments et en particulier des nouvelles molécules, Briggs et coll. incitent à une grande prudence. On parle actuellement de zone d’échange, plutôt que de barrière placentaire, nombre de substances diffusant librement de la mère à l’enfant par le placenta. Par ailleurs, le recul par rapport aux nouveaux médicaments est insuffisant, leurs effets délétères pouvant éventuellement se déclarer tardivement (par exemple, adénocarcinome du vagin chez les jeunes filles exposées au diéthylstilbestrol in utero) ou chez les futures générations (exposition des cellules sexuelles fœtales).11
L’étude des effets médicamenteux sur les femmes enceintes est limitée pour des raisons éthiques, le Compendium suisse des médicaments contre-indique de ce fait l’usage de la majorité du panel médicamenteux. Lorsqu’un traitement est nécessaire, il existe dès lors des ouvrages spécialisés,11,13 des sites web médicaux12 et le Swiss Teratogen Information Service, permettant de s’informer au mieux des risques potentiels, la prise de contact avec un gynéco-obstétricien étant par ailleurs indiquée en cas de doute.
Le tableau 411–16 présente un ensemble de maladies fréquemment rencontrées en médecine générale ambulatoire, faisant partie des maladies intercurrentes pouvant se présenter lors de la grossesse. Il est fait état des médicaments de premier choix et, lorsqu’il y a lieu, des modalités d’imagerie possibles.
L’IRM et l’ultrason sont considérés comme sûrs et sont à privilégier lorsqu’ils sont suffisamment performants et accessibles. Concernant les examens irradiants, ils sont parfois nécessaires et éveillent une inquiétude pouvant mener à une prise en charge inadéquate ou différée d’une pathologie. Il existe un modèle théorique d’évaluation du risque oncogénique nommé «linéaire sans seuil» postulant que toute irradiation, aussi faible soit-elle, pourrait avoir un impact mutagène. Concernant des doses d’irradiation inférieures à 100 mGy, ce modèle est controversé et non accepté par l’ensemble de la communauté scientifique.17 Les imageries médicales soumettent les patients à une irradiation le plus souvent nettement inférieure à 50 mGy14,15 (tableau 5), dose à laquelle aucune conséquence de type fausse couche, malformations, retard de développement ou cancers n’a été confirmée (tableau 6).18,19,21 En tenant compte de ces éléments, l’évaluation du rapport risque/bénéfice lors de la grossesse doit faciliter la réalisation d’imageries permettant un diagnostic et un traitement adéquats, y compris au moyen d’examens irradiants, si la situation le justifie.
Les produits de contraste iodés sont parfois utilisés lors de scanners en cours de grossesse. Ils traversent la zone d’échange placentaire, avec un risque faible d’hypothyroïdie fœtale après la 12e semaine de grossesse. Ceux de type hydrosoluble à basse osmolarité sont à préconiser par le radiologue en raison de leur passage moindre au niveau placentaire et de leur élimination plus rapide.13
Les sels de gadolinium utilisés lors d’IRM ne sont pas recommandés en l’absence d’évidence suffisante de leur innocuité. A noter la toxicité du gadolinium sous sa forme libre (risque de fibrose néphrogénique) dont le taux dépend de la stabilité du type de sel utilisé. Plus le sel de gadolinium est stable, moins on retrouvera de gadolinium libre circulant. Le choix du type de molécule incombe au radiologue en charge de l’examen.
Le bilan préconceptionnel permet d’intervenir sur des facteurs maternels ou environnementaux qui peuvent influencer négativement l’évolution d’une grossesse. La prescription de médicaments dans cette période doit se faire avec précaution, en particulier dans une société où l’usage des médicaments est parfois banalisé.
Lors de maladies intercurrentes rencontrées en médecine générale lors de la grossesse, les thérapies médicamenteuses sont possibles, impliquant selon les cas certaines adaptations de la prise en charge courante, afin d’utiliser les traitements au meilleur profil de risque. Concernant les examens d’imagerie, l’ultrason et l’IRM sont à préconiser lorsqu’ils présentent une performance suffisante et une bonne accessibilité, en évitant l’usage du gadolinium. Les examens irradiants exposent à des doses de radiations faibles dont le risque, même s’il ne peut être totalement écarté, est faible également, ils doivent être pratiqués sans délai lorsqu’ils sont nécessaires à une prise en charge adéquate.
> Le bilan préconceptionnel concerne toutes les femmes en âge de procréer et comprend la vérification du carnet de vaccination, les sérologies virales, l’évaluation de la consommation d’alcool et de tabac, ainsi que le contrôle des médicaments pris
> Une supplémentation en acide folique 4 mg/j un mois avant la conception et durant les douze premières semaines d’aménorrhée diminue le risque de spina bifida
> Lors de prescriptions médicamenteuses préconceptionnelles ou en cours de grossesse, l’usage d’ouvrages spécialisés et de sites web médicaux est utile en cas de doute
> Lorsque l’ultrason et l’IRM présentent une performance insuffisante ou une accessibilité réduite, les examens irradiants peuvent être utilisés, exposant à des doses de radiation et à un risque faible