Durant des années, les femmes ont été sous-représentées dans les études cliniques. Or, de nombreuses molécules n’ont pas le même effet chez les hommes et les femmes, en raison de différences pharmacodynamiques et pharmacocinétiques. Il en découle un manque d’informations sur les effets thérapeutiques ou indésirables des substances mais aussi, plus généralement, une moins bonne connaissance des pathologies chez les femmes et une prise en charge plus souvent sous-optimale.La sous-représentation est due à divers facteurs, allant de la perception des femmes au sein de la société à des enjeux éthiques vis-à-vis de la grossesse. L’importance d’inclure suffisamment de femmes comme sujets d’études nécessite ainsi une prise de conscience médicale et également sociale ; elle devra s’accompagner de changements entre autres politiques ou législatifs.
Alors que les femmes composent 49,6% de la population mondiale,1 elles ne représentaient que 38% des sujets inclus dans les études avec financement public publiées en 2009 dans les journaux de médecine interne à fort impact.2 Or, on sait qu’hommes et femmes ne sont pas équivalents. Ces disparités sont liées au sexe, défini par les différences biologiques (génétiques, anatomiques et physiologiques), mais également au genre, qui désigne les rôles et comportements distincts des hommes et des femmes au sein d’une société. Dans cet article, nous allons revenir sur les différences physiologiques entre sexes, puis les conséquences mais aussi les causes de la sous-représentation des femmes dans les études cliniques.
Des différences significatives entre sexes existent dans de nombreux mécanismes pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. On retrouve, ainsi, une variabilité de l’absorption (pH gastrique, composition des sels biliaires, durée du transit, expression des protéines de transport membranaires), de la distribution (débit cardiaque, poids, masse grasse corporelle, expression des protéines de liaison), du métabolisme et de l’élimination (débit sanguin par organe, activité enzymatique intra ou extrahépatique, filtration et réabsorption rénale) des substances.3,4 L’expression ou la sensibilité de certains récepteurs varient aussi entre hommes et femmes, aboutissant à une modification de la pharmacodynamique. Par ailleurs, les hormones sexuelles et leurs fluctuations (phase folliculaire et lutéale du cycle menstruel, effets des contraceptifs oraux, du THS, de la grossesse, de la ménopause) modulent la pharmacocinétique de nombreux substrats en influençant l’expression des enzymes, dont les cytochromes P450. Elles affectent également la pharmacodynamique en modifiant le nombre et la sensibilité de certains récepteurs.
On peut illustrer ces différences par un risque plus élevé de QT long induit par les médicaments lors de la phase ovulatoire du cycle menstruel3 ou par une moins bonne réponse des femmes aux antidépresseurs ISRS, imputée à une plus faible expression des récepteurs 5-HTT.4 Le manque de données chez les femmes se traduit aussi par une plus grande fréquence d’effets secondaires chez elles, une augmentation qui concerne 6 à 7% des molécules testées.4 Ainsi, sur les dix médicaments consécutivement retirés du marché par la FDA entre 1997 et 2000, neuf montraient une incidence globalement plus élevée d’effets indésirables chez la femme.5
Ces maladies constituent une autre illustration de la problématique. Longtemps considérées comme des pathologies masculines, les femmes ne sont présentes qu’à hauteur de 30% dans les études cliniques6 alors qu’elles représentent 51% des décès d’origine cardiovasculaire.7 Cette moindre connaissance a des conséquences sur la détection, la prévention ou la prise en charge de cette population. Les femmes souffrant d’infarctus présentent moins souvent les symptômes dits typiques8 pouvant entraîner des erreurs de diagnostic ou un délai dans leur prise en charge.9 Des analyses rétrospectives montrent aussi que les femmes sont plus souvent traitées en deçà des recommandations que les hommes. On peut mentionner l’implantation de défibrillateur ou la prise en charge médicamenteuse après infarctus.9,10
En 1993, la FDA évoquait les aspects éthiques, sociaux, médicaux, légaux et politiques pour permettre une meilleure participation des femmes aux études cliniques.11 De fait, des évolutions dans tous ces domaines ont été nécessaires pour réduire les facteurs ayant contribué à exclure les femmes jusque-là.
Le XIXe siècle est un moment charnière pour la médecine, car c’est l’époque où apparaît la médecine expérimentale qui évoluera vers l’Evidence-based medicine. Or, à cette période, cantonnée dans son rôle d’épouse et de mère, éloignée des domaines publics de la société, la femme était considérée comme inférieure à l’homme. Pour la médecine comme la société, elle est avant tout dominée par sa fonction de génitrice.12 Il faudra d’importants changements sociétaux, notamment grâce aux mouvements d’émancipation, pour permettre la réappropriation progressive par les femmes de leur santé, en débutant par la contraception et la maternité avant de s’étendre aux autres domaines médicaux.13
Cependant, malgré la meilleure maîtrise de la contraception, la recherche médicale continue à concevoir la femme comme potentiellement enceinte ; les scandales de la thalidomide et du diéthylstilbestrol (Distilbène) ont probablement œuvré à ancrer cette représentation. Ainsi, en 1977, les «General considerations for the clinical evaluation of the drugs» de la FDA sont présentées comme une «acceptable current approach to the study of investigational drugs in man» (même si le terme doit être compris dans son acceptation large, c’est man qui est utilisé et non human). Elles vont instituer le principe selon lequel «Females (et non women) who are pregnant, or are at risk of becoming pregnant, should be excluded».14 Cette éviction n’est pas justifiée dans le document, mais on peut supposer que c’est pour protéger une grossesse éventuelle. Ainsi, la crainte d’exposer un fœtus à des risques pharmacologiques est telle, qu’elle exclut même les femmes célibataires, sous contraception ou dont le mari a subi une vasectomie. Dans la pratique, cette exclusion va s’étendre à toutes les phases des études cliniques15 et même aux femmes de plus de 65 ans sans contraception orale dans des études de phases I et II. Alors que pour les hommes, si le risque d’anomalies testiculaires ou de spermatogenèse est évoqué, c’est sans faire référence aux conséquences pour un enfant à venir.
En 1993, lorsque la FDA publie ses «Guideline for the study and evaluation of gender differences in the clinical evaluation of drugs» et met fin à ce principe d’exclusion, c’est parce que le monde médical commence à réaliser que la faible participation des femmes aux études a abouti à un manque d’informations aussi bien sur l’efficacité des traitements que sur leurs effets indésirables. La FDA évoque également une décision de justice : en 1991 la Cour suprême des Etats-Unis interdit d’exclure une femme enceinte d’un emploi pour la seule raison du risque potentiel pour son fœtus, laissant aux parents et non à l’employeur le choix des risques auxquels sera exposé leur futur enfant.11 Plus généralement, on reconnaît désormais aux femmes la capacité de prendre des décisions concernant leur santé ou leur participation à des essais cliniques et d’en assumer les risques tout comme les hommes.16
Au niveau politique, la promotion d’une meilleure connaissance de la santé des femmes est récente. C’est en 1995 qu’est créé le Département Genre, femmes et santé de l’OMS ; le Réseau canadien pour la santé des femmes, qui collabore avec Santé Canada, œuvre depuis 1993 ; la Suisse se dote en 2001 d’un service Gender Health et enfin le Conseil de l’Europe édite en 2006 des recommandations pour favoriser l’inclusion des femmes dans les essais cliniques.
En plus de ces aspects sociaux et éthiques, des considérations pratiques ont aussi pu favoriser le sous-échantillonnage des femmes, comme l’existence de services de santé à destination des vétérans et des militaires, qui ont facilité l’obtention de cohortes masculines,17 alors que leurs équivalents féminins n’ont été mis en place que bien plus tard. Une moins bonne compliance au traitement et au suivi, imputée aux femmes, a aussi contribué à leur non-inclusion.17
L’analyse des données en fonction du genre est trop rarement faite. Ainsi, en 2009, encore 64% des études publiées dans les journaux à fort impact de médecine interne ne font aucunement mention du genre dans leurs analyses ni leurs données de base.2 Cela peut s’expliquer en partie par les variations hormonales qui font des femmes un groupe hétérogène nécessitant un plus grand nombre de sujets pour garder une puissance statistique comparable ; le recrutement et l’analyse s’en trouvent complexifiés et le coût augmenté.
Actuellement, plusieurs moyens sont mis en œuvre pour encourager une meilleure connaissance des spécificités féminines des pathologies. Il existe des recommandations du monde politique ou médical mais également une plus grande exigence de la part des patients et de la population générale, relayée par des associations de promotion de la santé des femmes. Le nombre grandissant de femmes médecins (figure 1), y compris dans la recherche, a probablement joué un rôle dans l’intérêt porté à cette partie de la population. Le soutien financier par des organes étatiques est souvent conditionné à l’inclusion de la problématique du genre dans l’analyse ; incitatif cependant peu déterminant, le financement de la recherche étant supporté majoritairement par les entreprises pharmaceutiques.2,15 Pour renforcer une meilleure représentation des femmes dans les études, une ligne éditoriale des journaux à fort impact allant en ce sens serait également un soutien.
Aujourd’hui encore le challenge de l’analyse selon les genres est souvent contourné. Déjà en 1993, on reconnaissait la nécessité d’effectuer des analyses stratifiées si des données préalables laissaient à penser qu’il existait une différence.16 Mais au vu des connaissances actuelles, il semble plus fondé de considérer que ces différences existent a priori et de rechercher systématiquement si elles entraînent des conséquences cliniques significatives ou non. Une fois un traitement sur le marché, la contrainte administrative est actuellement faible concernant la pharmacovigilance ainsi que les études de phase IV. Un contrôle plus strict permettrait une meilleure connaissance des effets indésirables dans la population effectivement ciblée par le traitement.
Du point de vue éthique, la grossesse et l’exposition du fœtus restent des enjeux majeurs. En imposant souvent une simple, voire double contraception, les protocoles déplacent le problème, car la question de l’inclusion des femmes enceintes dans les différentes phases d’études demeure. En effet, la grossesse n’étant pas une protection contre les pathologies, ces femmes risquent de nécessiter un traitement qui n’aura pas été étudié dans leur sous-population.
La participation des femmes aux études cliniques est influencée par une multitude de facteurs et les conséquences de leur sous-représentation se constatent dans notre pratique quotidienne. La communauté scientifique a aujourd’hui pris conscience de l’importance d’inclure suffisamment de femmes dans les études et d’analyser ces données en fonction du genre. Dans un premier temps, il sera probablement nécessaire de passer par une surreprésentation des femmes pour combler le manque de connaissances. Il ne faudra pas tomber dans le piège d’étudier des problèmes spécifiquement féminins et non les spécificités féminines des pathologies et effets des traitements. La responsabilité de promouvoir une médecine équitable entre les sexes ne saurait reposer uniquement sur le législateur ou le chercheur, mais doit être une préoccupation partagée par tous les acteurs de la santé.
> Les femmes sont encore sous-représentées dans la recherche clinique
> L’enjeu éthique de la protection du fœtus n’explique pas à lui seul cette sous-représentation
> Le manque de connaissances spécifiques entraîne des conséquences négatives sur la prise en charge des femmes
> La promotion de l’inclusion des femmes dans les études cliniques dépend d’évolutions médicales mais aussi sociales, éthiques, politiques impliquant tous les acteurs d’un système de santé
For years, women were underrepresented in clinical studies. But the effect of many drugs differ among women and men, due to pharmacokinetic and pharmacodynamic differences. As a result, there is a lack of information on therapeutic or adverse effets of drugs and, more generally, a lack of knowledge on diseases, leading more frequently to sub-optimal medical care in women.This underrepresentation is due to various factors, including the social role of women or ethical issues about pregnancy. The need for adequate representation of women in clinical studies is a social as well as medical concern, that implies political and legal changes.