La santé mentale ne se résume pas à la simple absence de troubles psychiques. Elle englobe le bienêtre personnel, la satisfaction, la confiance en soi, la capacité à nouer des relations, à gérer le quotidien et à travailler.1
Une approche «genrée» de la santé permet de distinguer les facteurs biologiques des facteurs en lien avec l’apprentissage et l’environnement, tout en explorant leurs interactions. Il s’agit d’être sensible à la manière dont les inégalités entre les sexes peuvent affecter la santé. Cette approche permet d’offrir une aide à l’identification des réponses appropriées des systèmes de santé et des politiques publiques, ainsi qu’à leur orientation.2
Nous proposons de décrire comment les femmes souffrent de façon disproportionnée de certains troubles mentaux et sont plus fréquemment exposées aux facteurs sociaux qui favorisent la détresse psychique.3 Puis, nous mettrons en lumière quelques spécificités dans leur prise en charge et leur traitement.
Nous citerons quelques facteurs de vulnérabilité (FV) en nous inspirant du modèle écologique de l’OMS (facteurs individuels, relationnels, communautaires et sociétaux).
Les femmes vivraient une fréquence plus élevée d’événements critiques dans leur vie.1 De plus, elles traitent et interprètent le stress et les émotions différemment des hommes : elles présentent plus de ruminations, d’émotions intenses, de symptômes psychosomatiques, de besoin d’un support social. L’augmentation du stress chronique dans nos sociétés ne fait qu’aggraver leur vulnérabilité, y compris sur le plan physique.4
La conviction de pouvoir maîtriser son existence est un facteur important d’équilibre psychique. Cette conviction est moins marquée chez les femmes.1 Le faible revenu, la pauvreté ont un rôle marqué sur la détresse psychique et la maladie mentale chez les femmes.3,5
La perte de l’identité du rôle sexuel (problème d’infertilité, ménopause), mais aussi les expériences d’avortement, d’accouchement et de parentalité ont plus d’impacts sur la santé mentale des femmes que des hommes.1–3,5 Plus que les variations hormonales, il semblerait que la santé mentale des femmes soit surtout associée positivement avec l’état général de santé, et les variables psychosociales.1,5
Des différences existent aussi aux deux extrémités de la vie. Les adolescentes ont une plus faible estime de soi que les garçons du même âge ; ce facteur, associé à l’anxiété générée par le changement d’image corporelle, peut entraîner une plus forte prévalence de dépression et de troubles alimentaires.2,5 Les femmes âgées sont plus sujettes à la dépression, aux troubles anxieux et à la démence, dans un contexte d’événements de vie stressants (deuils), d’isolement et de handicaps.6
Par contre, l’instruction et l’éducation constituent des facteurs de protection, puisqu’elles permettent aux femmes de moins tolérer la violence et les abus domestiques, ce qui le plus souvent limite le risque de victimisations.3,5
Les parents uniques (très majoritairement des femmes) sont souvent confrontés à des défis supplémentaires.7 La charge importante et constante de la famille est un facteur de risque de maladie psychique chez la femme.1,3
Un autre facteur de risque majeur est la violence interpersonnelle et notamment les violences sexuelles et conjugales, essentiellement commises par des hommes. Entre 15 et 71% des femmes dans le monde ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire masculin à un moment ou à un autre de leur vie.8 Ces violences existent dans tous les milieux socio-économiques et peuvent entraîner de nombreux troubles psychiques, outre des états de stress post-traumatique.8
Les facteurs culturels ont un impact sur la santé mentale3 dans le sens où la détresse psychologique ne s’exprime pas universellement sous forme de «dépression» ou «d’angoisse», mais par des idiomes de détresse spécifiques propres à chaque culture. Un exemple est la crise de transe et de possession en Afrique de l’Ouest. De plus, les événements prémigratoires, le processus migratoire et le stress de l’exil et de l’insertion dans le nouveau pays fragilisent la santé mentale des migrantes.5,3
Il existe indéniablement une forte relation entre le statut socio-économique, la position dans la hiérarchie sociale et la santé mentale des individus,3,5 l’exemple le plus classique étant celui de l’impact des conditions de travail. Bien que la plupart des recherches manquent d’une perspective de genre, les études montrent que les femmes sont plus souvent victimes de harcèlement au travail que les hommes et développent plus de symptômes (notamment perte de confiance) que leurs collègues masculins, à stress égal.5 Elles sont aussi plus touchées par le burn-out tant au niveau professionnel que parental (les deux étant parfois liés).1
La vision traditionnelle de la répartition des responsabilités homme/femme constitue en soi un FV, en soulignant la passivité, la soumission et la dépendance des femmes et en leur imposant le devoir de prendre soin des autres, sans pour autant mettre de côté les travaux non rémunérés (domestique, agricole).3,5
Enfin, certaines lois ou l’absence de législation protectrice renforcent ces FV (divorce, IVG, violences conjugales).5,8
Les troubles mentaux sont associés à une morbidité et une invalidité importantes. Leurs taux sont en augmentation : ils affectent près de 50% de la population,5 avec une répartition homme/femme presque identique. Cependant, des différences frappantes existent entre les sexes :2,5 la comorbidité, l’invalidité et l’utilisation des services sont plus fréquents chez les femmes.5
Les diagnostics de la CIM-10 les plus fréquemment posés chez les femmes et le sex ratio des principales maladies psychiatriques diagnostiquées en Suisse et en Europe sont listés dans les tableaux 1, 2 et figure 1. Les troubles liés à l’usage d’alcool et de drogues sont beaucoup plus observés chez les hommes, ainsi que l’autisme, les troubles des conduites, certains troubles de la personnalité (antisociale, paranoïaque, schizoïde), les troubles de l’identité sexuelle et de la préférence sexuelle.2,3,5
La présentation, la temporalité, l’évolution clinique et le traitement de certains troubles psychiques peuvent également différer entre les femmes et les hommes, les étapes de la vie féminine (grossesse, post-partum, ménopause) pouvant favoriser les troubles dépressifs.2,5 La dépression est plus persistante chez les femmes et le sexe féminin est un facteur prédictif significatif de rechute.2,5 Si les taux de suicide sont plus élevés chez les hommes (données OMS), les femmes ont des taux plus élevés de tentatives de suicide et de conduites para-suicidaires.9 Elles utilisent des moyens moins violents (médicaments) et le sens de leur geste est plus souvent celui d’un appel à l’aide.9
Les médecins diagnostiquent plus souvent la dépression chez les femmes que chez les hommes, même si ceux-ci ont des scores similaires aux tests de dépistage ou présentent les mêmes symptômes. Le sexe féminin est un facteur prédictif de prescription de psychotropes.10,5
Les recherches récentes montrent que le trouble de personnalité borderline est aussi fréquent dans les deux sexes, mais que les femmes consultent plus les services de psychiatrie générale, alors que les hommes sont rencontrés dans les services d’addictologie ou de psychiatrie pénitentiaire.10
Enfin, les femmes et les hommes ont la même prévalence de schizophrénie.5 Toutefois, son début est plus tardif chez les femmes, qui présentent plus souvent une forme paranoïde de la maladie, avec moins d’éléments de désocialisation. La première admission dans les établissements psychiatriques se produit 3-6 ans plus tard chez les femmes que chez les hommes.2,5
La plupart des personnes en situation de détresse psychologique ne sont ni identifiées ni traitées par leur médecin traitant.5 Pourtant, entre 30 et 50% des patients de médecine de premier recours souffriraient de troubles psychiques et la plupart des traitements sont prescrits par les médecins de premier recours (MPR).1 Leur rôle dans la prise en charge des patientes est donc capital, particulièrement pour celles en situation de précarité, où la prévalence de troubles mentaux est plus élevée.11 Les femmes sont plus susceptibles de demander de l’aide et de divulguer leurs symptômes de santé mentale à leur MPR, hormis en ce qui concerne leur consommation d’alcool.1 En Suisse, parmi les femmes qui présentent un trouble psychique chronique, plus de la moitié suit un traitement, contre un peu plus de 40% des hommes.1
L’intervention du MPR comporte la prévention des troubles mentaux, l’analyse des situations de vulnérabilité, l’orientation et la prise en charge des troubles, le soutien psychologique, le suivi clinique et paraclinique et le traitement médicamenteux. Cependant, devant un tableau clinique suggérant un trouble mental, il faut toujours penser aux diagnostics différentiels somatiques, notamment, chez les femmes, qui présentent plus fréquemment que les hommes11 certaines affections organiques (dysthyroïdie, sclérose en plaques, hypoglycémie) et effets secondaires de traitement (contraception orale, corticoïdes, diurétiques).
Des différences ont été observées dans l’observance, de même que dans les effets thérapeutiques et indésirables des médicaments psychotropes, même si elles n’ont pas été signalées de façon constante dans la littérature. Chez les femmes, les antipsychotiques sont plus susceptibles d’induire des effets secondaires comme la prise de poids, le syndrome métabolique, l’allongement du QT, l’arythmie cardiaque et la sévérité des symptômes de dysfonction sexuelle.12 L’incidence de la toxicité hépatique, des troubles gastro-intestinaux et des éruptions cutanées allergiques est également accrue chez elles,12 de même que l’incidence et la présentation des symptômes cliniques associés aux effets indésirables des psychotropes.13 Il faut rappeler les interactions entre les psychotropes et les anticonceptionnels (le millepertuis par exemple, qui diminue l’efficacité des contraceptifs oraux), se méfier des psychotropes administrés en phase préconceptionnelle (50% des grossesses ne seraient pas planifiées), pendant la grossesse et l’allaitement, en se référant aux protocoles en vigueur.12
Il convient donc de : choisir avec soin le traitement en fonction des étapes de vie de la patiente ; l’avertir des effets secondaires potentiels ; encourager les mesures hygiéno-diététiques et notamment la pratique régulière du sport ; répéter si besoin les examens complémentaires (bilan hépatique, ECG) ; ne pas hésiter à réaliser un test de grossesse avant d’initier un traitement, ni à demander un dosage thérapeutique.12
Concernant les traitements non médicamenteux d’accompagnement, notamment psychothérapeutiques, les femmes semblent plus enclines à demander une aide spécialisée et consultent plus fréquemment et plus longtemps leur thérapeute que les hommes.14,15 Il n’existe pas de différences entre les deux genres, concernant l’efficacité des psychothérapies. Cette efficacité est déterminée selon des facteurs comme la motivation du patient, sa personnalité et celle du thérapeute, son âge, ou encore le type de thérapie utilisé.16
En Suisse, outre les réseaux psychiatriques spécialisés et des associations cantonales de soutien aux patients atteints de troubles psychiques existent, pour les femmes, des structures spécifiques pour les soutenir dans différents domaines : conseils juridiques, logement, formation, réinsertion, migration, violences, planning familial, relations mère-enfant.
Les femmes sont plus affectées que les hommes par certains troubles mentaux (particulièrement la dépression et l’anxiété) et leur vulnérabilité est étroitement liée à leur statut, leur travail et à leur rôle dans la société, ainsi qu’à des facteurs biologiques et de reproduction.
La santé mentale des femmes ne peut pas être considérée indépendamment des facteurs sociaux, économiques et politiques. Par conséquent, une approche interdisciplinaire, avec mise en place d’un réseau médico-psycho-social visant à protéger et à favoriser leur autonomie est cruciale. Il est également important, pour le MPR, de se tenir au courant des tendances épidémiologiques et de pratiquer une approche «genrée» de la santé, afin de prévenir, identifier et traiter les troubles psychiques, notamment chez les femmes les plus vulnérables, qui sont les plus à risque de développer des troubles mentaux. Ces affections ont en effet un impact délétère, sous-estimé, sur les enfants, la famille et les générations à venir.
> La santé mentale des femmes est influencée par des facteurs biologiques, mais aussi par de nombreux facteurs sociaux et économiques
> Les femmes sont plus à risque de développer des maladies psychosomatiques et psychiques liées au stress. La dépression et les troubles anxieux sont les troubles psychiques les plus souvent rencontrés chez les femmes
> Avant l’introduction d’un traitement psychotrope, les contre-indications et les effets secondaires spécifiques doivent être systématiquement considérés et pas uniquement en période de grossesse ou d’allaitement
> La demande d’aide et l’adhésion aux soins sont plus fréquentes chez les femmes et elles doivent donc être orientées vers les soutiens appropriés
> La détection des troubles mentaux les plus fréquents chez les femmes est capitale, de même que le repérage des facteurs de vulnérabilité et des ressources médico-psycho-sociales spécifiques