Parmi les principales spécialités de la médecine interne, seules l’infectiologie et la néphrologie accusent une diminution d’intérêt auprès des médecins en formation aux Etats-Unis. Ces deux disciplines ne parviennent plus à trouver suffisamment de candidats intéressés, ce qui conduit à un risque non négligeable de manquer d’infectiologues (et de néphrologues) dans les cinq prochaines années.1 En Suisse, heureusement, il existe encore beaucoup de médecins qui choisissent les maladies infectieuses pour en faire leur métier. Contrairement aux Etats-Unis, l’intérêt pour cette discipline prime sur le revenu financier, habituellement moins élevé pour une activité intellectuelle que pour une spécialité plus technique (chirurgicale). L’infectiologie reste très populaire chez les jeunes médecins en formation dans notre pays qui se posent la question de la meilleure façon d’entamer une carrière d’infectiologue.
Il nous semble important de donner quelques conseils aux médecins qui choisissent une formation dans le domaine des maladies infectieuses pour éviter déceptions et frustrations. Il faut rappeler en préambule que l’infectiologie est avant tout une discipline hospitalière et rares sont ceux qui peuvent exclusivement vivre de cette discipline en médecine ambulatoire. Dans ce cas, la maladie VIH, les hépatites et les concilium demandés par des confrères remplissent une partie de l’agenda, mais rarement la totalité, et le médecin doit compléter son activité par des consultations de médecine interne générale ou, s’il est chanceux, trouver une place de consultant dans une structure hospitalière stationnaire (publique ou privée).
Nous allons tenter de répondre aux questions que chaque futur infectiologue devrait se poser :
Suis-je prêt à me former en maladies infectieuses ?
Obtention d’un titre FMH en infectiologie : quelles sont les exigences ?
De combien d’infectiologues avons-nous besoin en Suisse ?
Pourrais-je trouver une place de travail après ma formation ?
Plusieurs études ont investigué l’impact de la consultation de maladies infectieuses sur la mortalité et les coûts.2,3 Il en ressort que les infectiologues optimalisent la prise en charge intrahospitalière par leurs recommandations sur le choix des traitements antibiotiques, leur durée, leur mode d’administration ainsi que le monitoring pour en diminuer les effets secondaires. De plus, les infectiologues facilitent la transition de l’administration d’antibiotiques parentérale ou orale entre l’hôpital et l’ambulatoire.
Il a été montré que si le médecin hospitalier suit les recommandations d’un infectiologue, il obtient plus souvent un diagnostic correct, réduit la durée du séjour hospitalier de ses patients grâce à un choix thérapeutique plus approprié, ce qui conduit souvent à une utilisation moindre d’antibiotiques.2,4,5 Ces bénéfices sont d’autant plus marqués si l’infectiologue participe précocement au suivi des patients. L’infectiologue arrête habituellement plus de traitements qu’il n’en instaure. Pour ces multiples raisons, beaucoup de décideurs de la santé estiment que pour un grand nombre de patients, la consultation devrait être obligatoire plutôt que facultative.
Dans un hôpital français, les consultations téléphoniques des généralistes à un service d’infectiologie ont été suivies prospectivement. Un taux de satisfaction de 97% des médecins a été atteint. Les demandes les plus fréquentes portaient sur l’utilisation appropriée des antibiotiques, sur les tests diagnostiques et sur le suivi infectiologique ambulatoire et hospitalier.6
L’infectiologie se trouve régulièrement sur le devant de la scène médiatique et génère un énorme intérêt du public. La maladie d’Ebola, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient à coronavirus (MERS-CoV), le chikungunya, la dengue, l’infection au staphylocoque doré résistant à la méticilline (MRSA) et à Clostridium difficile, et les bactéries multirésistantes en général font partie des épidémies médiatisées récemment.
L’infectiologie est passionnante mais exige de nombreuses années de formation et le nombre de places de travail est malheureusement restreint. Des années de recherche et un nombre important de publications sont nécessaires si le candidat entend rester dans un hôpital universitaire.
La formation postgraduée dure au minimum six ans, dont trois ans de médecine interne générale (ou trois ans de pédiatrie pour celles et ceux qui se destinent à l’infectiologie pédiatrique), dont au moins deux passés dans un établissement de catégorie A, et trois ans d’infectiologie. Cette durée permet un alignement sur les exigences européennes. Nous conseillons toutefois d’obtenir un FMH de médecine interne générale (ou de pédiatrie) et d’exercer comme chef de clinique dans cette discipline avant d’entamer une formation d’infectiologue. Une grande partie des états fébriles, par exemple, ne sont pas d’origine infectieuse ; ainsi, seuls ceux qui auront suffisamment d’expérience en médecine interne générale parviendront à établir un diagnostic différentiel adéquat.
Le futur infectiologue doit passer au moins deux années de sa formation spécialisée dans un hôpital de catégorie A et dix-huit mois doivent être attestés en infectiologie clinique. Un stage de dix-huit mois au maximum peut être validé en infectiologie expérimentale. Un tel stage pour celle ou celui qui envisage une carrière clinique par la suite n’est toutefois pas indispensable. Un passage dans un service de microbiologie clinique nous semble par contre très utile tant la connaissance des techniques spécialisées, utilisées aujourd’hui par les laboratoires de microbiologie, est nécessaire. Les candidats doivent également avoir publié au moins deux travaux scientifiques dans le domaine de l’infectiologie (dont un comme premier auteur) dans des revues médicales à politique éditoriale. Les connaissances à acquérir dans les domaines théorique, scientifique et clinique figurent sur le site de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) et ne seront pas passées en revue dans cet article.7
La formation d’infectiologie se termine par un examen pratique qui comprend deux consultations sur la base d’éléments du dossier médical avec rédaction de rapports de consultant d’une page A4 chacun, d’une durée de deux heures, et d’un examen théorique sous la forme de questions orales qui portent sur des aspects diagnostiques, thérapeutiques et de médecine préventive, d’une durée de 30-60 minutes. Nous recommandons aux candidats de passer l’examen de spécialiste au plus tôt durant la dernière année de la formation postgraduée réglementaire. En 2015, son prix se monte à CHF 500.–. L’examen est réussi lorsque la note obtenue pour chacun des deux examens est d’au moins 4. En cas d’échec, le règlement permet aux candidats de se représenter autant de fois que nécessaire, ce qui leur donne l’occasion de réévaluer leur avenir professionnel. Environ quinze à vingt infectiologues obtiennent chaque année leur diplôme FMH de spécialiste.
Le nombre de consultations infectiologiques a progressivement augmenté d’année en année, ainsi des services de maladies infectieuses se sont développés dans presque tous les grands hôpitaux de notre pays. Les causes de cette importante augmentation sont à chercher dans le développement de différentes sous-spécialités de l’infectiologie (tableau 1).
En Europe, la spécialité des maladies infectieuses a été progressivement reconnue dans un grand nombre de pays mais pas partout. L’UEMS (Union européenne de médecine des spécialités) a créé une section des maladies infectieuses. Depuis vingt ans, l’UEMS-infectiologie a permis d’harmoniser les pratiques de formation dans la plupart des pays européens, ce qui facilite la reconnaissance mutuelle de la spécialité. Certains pays ont développé une spécialité analogue, la microbiologie clinique (c’est le cas, par exemple, de l’Espagne ou de l’Angleterre). Selon la région et l’hôpital, l’infectiologie prime sur la microbiologie clinique. En général, les infectiologues sont responsables du suivi des malades, alors que les microbiologistes cliniques travaillent dans les laboratoires de diagnostic et répondent par téléphone à des questions spécifiques, habituellement des résultats de laboratoire. En Suisse, il existe une grande complicité entre les laboratoires de microbiologie et les infectiologues. Les cliniciens ont besoin d’un flux constant d’informations bactériologiques, virologiques et parasitologiques concernant leurs patients, alors que les microbiologistes sont à l’écoute des infectiologues pour mettre à disposition les tests diagnostiques les plus pertinents selon l’évolution clinique des patients, et développer des nouveaux algorithmes diagnostiques. Dans la plupart des hôpitaux qui ont la chance de bénéficier d’un laboratoire de microbiologie intramuros, l’infectiologue passe quotidiennement pour suivre le développement des examens qui concernent ses patients, mais aussi pour s’informer des nouveaux résultats du jour de tout l’hôpital qui nécessiteraient une consultation spécialisée.
L’infectiologie hospitalière représente l’activité la plus importante de notre discipline. Les soins intensifs, la chirurgie et la médecine interne/pédiatrie sont les spécialités avec lesquelles la collaboration est la plus étroite. Au-delà des infections chez les patients intubés, des chocs septiques et des complications postopératoires, l’infectiologue participe à des concilium multidisciplinaires tels que la prise en charge du pied diabétique (avec les orthopédistes, les angiologues et les diabétologues) ou des prothèses infectées, par exemple.
Le contrôle de l’infection, anciennement appelé «hygiène hospitalière», est responsable des techniques de stérilisation et du contrôle de la décontamination des locaux. Depuis une dizaine d’années, il s’est fortement développé dans le domaine de l’épidémiologie avec analyses microbiologiques sur le terrain, et des problèmes liés à la transmission des micro-organismes virulents. Ces spécialistes nous enseignent les techniques de prévention, le lavage des mains et les méthodes d’isolement des patients porteurs de micro-organismes contagieux.
Plus récemment, l’utilisation rationnelle des antibiotiques (Antibiotic stewardship) est devenue une activité importante des infectiologues, pour préserver et utiliser au mieux le nombre toujours plus restreint d’antibiotiques efficaces contre des bactéries multirésistantes.
L’épidémie mondiale du sida a paradoxalement été un tournant majeur dans la reconnaissance de notre spécialité. Cette nouvelle infection a donné l’occasion aux infectiologues de développer une activité ambulatoire spécifique, qui a permis d’identifier, soigner et suivre une grande population de patients VIH séropositifs. La survie de ces patients étant actuellement excellente, la cohorte des patients infectés augmente régulièrement et le sida est devenu une maladie chronique. Plus récemment, le développement de traitements contre les hépatites B et C a permis aux infectiologues de s’impliquer dans la prise en charge ambulatoire d’autres infections virales.
L’augmentation du nombre de patients greffés (moelle et organes solides) a permis de former des infectiologues spécialisés pour suivre ces patients immunodéficients conjointement avec les équipes de transplantation. Il est actuellement inconcevable pour un hôpital qui abrite un programme de transplantations, de fonctionner sans l’appui d’un laboratoire de microbiologie pointu et d’infectiologues expérimentés. L’utilisation de plus en plus fréquente de traitements immunomodulateurs en rhumatologie, gastroentérologie et neurologie nécessite également une collaboration avec un infectiologue tant les risques de faire flamber une infection préexistante sont importants (par exemple, hépatite B, tuberculose). Les chimiothérapies aplasiantes et les neutropénies fébriles font partie des motifs fréquents de consultation des infectiologues hospitaliers.
Les consultations de médecine du voyage permettent aux patients partant vers une destination lointaine de prévoir les vaccinations nécessaires et les prophylaxies antimalariques par exemple. Bien qu’il existe une formation spécifique de cette discipline (médecine tropicale), les infectiologues sont très régulièrement consultés. De plus, lorsqu’une fièvre ou des diarrhées surviennent au retour d’un voyage, ils sont sollicités, particulièrement en cas d’hospitalisation.
La vaccinologie est une discipline qui progresse rapidement. Chaque année, nous assistons à la mise sur le marché de nouveaux vaccins prometteurs, dont l’indication et le mode d’administration nécessitent un avis spécialisé. Initialement donnée par des pédiatres, la formation en vaccinologie devient plus complexe, en particulier pour les patients immunodéprimés.
Pour chacune de ces spécialités de l’infectiologie, il existe des programmes de recherche qui nécessitent l’engagement de médecins et de biologistes, subventionnés par des fonds nationaux ou européens de recherche. La Suisse est un modèle au niveau international dans la collaboration entre chercheurs et cliniciens, la plupart des services de maladies infectieuses bénéficient d’importants subsides de recherche. Notre spécialité s’est grandement impliquée dans la mise sur pied des cohortes nationales, telles que celle des patients séropositifs VIH, ou celle des patients transplantés.
Sans être exhaustifs, citons encore les débouchés dans l’industrie pharmaceutique et diagnostique, ainsi que dans les services d’épidémiologie étatiques (médecin scolaire, médecin cantonal, Office fédéral de la santé publique) ou internationaux (OMS, Croix Rouge, Médecins sans frontières).
Toutes ces spécialités de l’infectiologie nous laissent penser qu’il existe encore suffisamment de débouchés pour les infectiologues en formation, mais un plan de carrière établi avec les cadres du principal centre de formation des candidats nous semble indispensable. Les hôpitaux universitaires qui forment nos futurs infectiologues doivent toutefois absolument se soucier des places disponibles sur le marché et de l’évolution de ce dernier, sinon, nous risquons un déséquilibre ou une saturation.
> En Suisse, il y a beaucoup de médecins qui choisissent les maladies infectieuses pour en faire leur métier
> Il a été montré que si le médecin hospitalier suit les recommandations d’un infectiologue, il obtient plus souvent un diagnostic correct, réduit la durée du séjour hospitalier et ceci conduit à une moindre utilisation d’antibiotiques