Chaque médecin est conscient du fait que la prescription excessive et inappropriée d’antibiotiques, en médecine humaine comme en médecine vétérinaire, est une pratique délétère, notamment parce qu’elle favorise l’émergence de résistances. La Confédération suisse, à l’instar de ce qui se fait ailleurs en Europe, a défini une stratégie nationale contre la résistance aux antibiotiques (programme StAR) qui a été mise en consultation en début d’année et qui sera déployée en 2016.
Dans l’hémisphère Sud, de nombreux pays font face à l’inverse à une pénurie de médicaments, de structures sanitaires et de contrôle des autorités dans le domaine de la santé publique. On y pense moins, mais c’est aussi un chemin qui peut mener à la résistance aux substances antimicrobiennes.
«… une pandémie des médicaments de mauvaise qualité dans les pays en voie de développement …»
Un supplément de l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene,1 publié en juin 2015, est consacré à la pandémie des médicaments de mauvaise qualité dans les pays en voie de développement, qui comprennent les produits falsifiés, les substances fabriquées selon des standards de qualité insuffisants et celles qui se sont dégradées en raison de conditions de stockage mal contrôlées. Les médicaments falsifiés généreraient à eux seuls 75 milliards de dollars de revenus illégaux. Ce fléau est d’abord directement responsable du décès de ceux qui en sont les victimes, mais il contribue également, de manière plus sournoise, à la progression de la résistance bactérienne et parasitaire. En 2013, il a été estimé que 122 350 décès chez des enfants de moins de 5 ans dans 39 pays d’Afrique subsaharienne étaient associés à la consommation d’antimalariques de mauvaise qualité. Sept études rassemblant près de 17 000 échantillons d’antibiotiques, d’antituberculeux et de médicaments contre la malaria et la leishmaniose font état de 9 à 41% d’analyses montrant une qualité insuffisante du produit. Une étude rapporte que les problèmes de qualité sont plus fréquents en Amérique du Sud et en Afrique qu’en Asie, mais que l’Asie tient le haut du pavé pour les médicaments contrefaits. Au Ghana et au Nigeria, 35 emballages d’amoxicilline et de co-trimoxazole fabriqués localement, en Inde, en Chine ou en Europe ont été achetés dans divers commerces de proximité et analysés. Alors que les comprimés d’amoxicilline répondaient aux attentes, les quatorze échantillons de co-trimoxazole étaient tous sous-dosés, avec 63-90% de la quantité indiquée pour le triméthoprime et 38-88% pour le sulfaméthoxazole. Les domaines de la tuberculose et du VIH sont aussi concernés par ces problèmes de qualité et de criminalité économiques.
Les nouveaux traitements contre le virus de l’hépatite C ne sont pas en reste. Une société indienne, basée à Mumbai, proposait début 2015 un traitement de trois mois de sofosbuvir pour 3 000 US$ contre 100 000 US$ aux Etats-Unis (et 62 100.– CHF en Suisse). Pour une probabilité de guérison de 90%, c’est un prix que beaucoup de malades des pays «riches» pourraient être prêts à payer s’ils ne répondent pas aux critères de remboursement restrictifs des assurances-maladie. Avec quels risques ? Que valent ces substances ? Un sous-dosage pourrait-il favoriser l’émergence de résistances aux nouveaux médicaments contre l’hépatite C ? Ces questions restent ouvertes.
Le Cambodge apporte une lueur d’espoir sur le front des antimalariques. Alors que les études des années 2000 faisaient état d’une situation préoccupante avec de nombreux médicaments falsifiés et une très large distribution d’artémisine en monothérapie, le renforcement de la régulation et du contrôle des médicaments soutenu par divers acteurs, dont le gouvernement et l’OMS, a permis d’assainir le marché. Dans une analyse récente de 291 échantillons, aucun médicament contrefait n’a été décelé et seulement 12% étaient de l’artésunate en mono-substance. Néanmoins, un sous-dosage a été constaté dans 29% des cas, montrant que la marge de progression est grande.
«… le renforcement de la régulation et du contrôle des médicaments a permis d’assainir le marché …»
Comme le disait Plaute, auteur comique romain (254-184 av. J.-C.) : En toutes choses, le plus sage est de tenir un juste milieu. Sans rire, ne faudrait-il pas y réfléchir ?