Faut-il réveiller un virus qui dort ? Une étude, publiée en 2014 dans Proceedings of the National Academy of Sciences, a modélisé l’évolution du réservoir viral chez des patients porteurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).1 Elle explique pourquoi les trithérapies actuelles ne permettent pas d’éradiquer définitivement la maladie et démontre la nécessité d’utiliser d’autres associations de médicaments pour espérer guérir les patients infectés.
La recherche sur le traitement du VIH est parsemée de magnifiques découvertes mais aussi de faux espoirs.2 En 1996, avec l’apparition des premières trithérapies, l’élimination définitive du VIH semblait à portée de main. En 1997, les chercheurs estimaient que deux à trois ans de trithérapie seraient probablement suffisants pour guérir les patients infectés. En 2003, cette estimation a été réévaluée à 73 ans. Aujourd’hui, il semble impossible d’éradiquer le virus chez un patient sans recourir à d’autres stratégies thérapeutiques.
Le réservoir latent du VIH constitue l’obstacle majeur à l’éradication du virus (figure 1). Il est principalement constitué de lymphocytes T CD4+ infectés qui ne participent pas à la production de virions.1 Ces cellules ont une demivie de plusieurs années et représentent un réservoir insensible aux antirétroviraux. Cette population latente peut à tout moment se réactiver et provoquer un rebond de la virémie. Même avec une charge virale indétectable pendant dix ans, le virus réapparaît en l’espace de quelques semaines en cas d’arrêt du traitement.3
Afin de guider les futures stratégies de traitement, une équipe américaine a rassemblé les connaissances sur le VIH pour modéliser le cours d’une infection.1 Ce modèle mathématique calcule la dynamique de l’infection, la taille du réservoir latent et la probabilité d’un rebond de la virémie en cas d’arrêt du traitement. Conclusion : il faut réduire le réservoir d’un facteur dix mille pour guérir la moitié des patients, mais un tel résultat ne peut être atteint avec les trithérapies actuelles qui ciblent uniquement le virus actif. Pour éliminer le réservoir latent, il faut en plus activer la réplication du virus dormant.
Cette étude définit le cahier des charges de ces futurs traitements encore largement hypothétiques. L’efficacité des premiers composés réactivant le virus a été analysée in vitro et reste bien en deçà du seuil nécessaire.4 Comme le souligne le Pr Calmy (voir l’encadré), les agents antilatence représentent une piste prometteuse vers la guérison des patients, mais devront être associés à d’autres molécules.
Dans ce contexte, une étude publiée en 2015 dans la prestigieuse revue scientifique Cell rappelle que le réservoir latent reste mal défini.5 D’une part, les cellules infectées de façon latente chez un patient ne peuvent pas être isolées et leur étude reste difficile. D’autre part, les cellules infectées se comportent de façon différente selon le site d’intégration du virus dans leur génome. Les chercheurs se sont intéressés à une sous-population de lymphocytes T infectés, représentant 90% des cellules infectées, qui subit une expansion clonale rapide. Cette étude constate que dans toutes ces cellules, le génome du virus intégré est irréversiblement endommagé. Elles ne représentent donc pas un réservoir à partir duquel le virus peut réinitier une infection. Le réservoir viral est certainement formé par la petite population quiescente de lymphocytes T dans lesquels le génome viral s’est intégré sans être altéré. Le profil exact de ces cellules reste à définir pour envisager leur réveil prochain.
A la fin des années 1990, la trithérapie était complexe et provoquait de nombreux effets secondaires. Les trithérapies actuelles sont beaucoup mieux tolérées et l’impact sur la qualité de vie est moindre. Avec, chez des patients infectés récemment, un à deux comprimés par jour, un risque de transmission considéré comme infime et des contraintes alimentaires généralement nulles, les patients conservent une bonne qualité de vie. Mais nous parlons ici d’un traitement à vie et le moindre effet indésirable est toujours de trop. Il est de notre responsabilité de réussir à trouver, pour chaque patient, le traitement le plus approprié. Des recherches sont d’ailleurs en cours pour alléger le quotidien des patients : ainsi, des traitements à longue durée d’action permettant une administration mensuelle, voire trimestrielle, sont en phase de test.
Personne n’attend de miracles des agents antilatence seuls, mais ils constitueront une option de plus dans notre arsenal thérapeutique. En association avec d’autres thérapies, ils représentent un espoir de guérison pour les patients infectés par le VIH. A mon avis, la guérison viendra d’une approche combinée associant des antilatences ou des immunostimulants aux trithérapies actuelles. D’autres stratégies, comme la thérapie génique, ciblant par exemple le corécepteur CCR5, sont également en cours de développement. J’espère bien voir le premier patient guéri avant la fin de ma carrière.