Une patiente de 41 ans, en bonne santé habituelle, consulte son médecin traitant car elle présente depuis plusieurs mois des douleurs abdominales diffuses accompagnées de diarrhées et d’une fatigue persistante. Elle dit avoir adopté un régime sans gluten il y a trois semaines sur le conseil d’une amie à qui cette mesure avait été salutaire. Depuis, elle note une amélioration de ses symptômes.
Quels tests doit faire son médecin traitant ? Quel régime prescrire ?
Le régime sans gluten est largement discuté dans la population et relayé par les médias et les industriels de l’agroalimentaire. Il est devenu le régime le plus utilisé aux Etats-Unis, avant le régime sans graisse et le régime sans sucre (figure 1).1,2 Les indications à ce régime sont principalement la maladie cœliaque, l’allergie au blé et la sensibilité au gluten non cœliaque. Cette dernière a déjà fait l’objet de plusieurs publications,3 mais reste un sujet controversé et sa véritable pathogénie n’est pas connue. D’autres indications à un tel régime sont trouvées dans la littérature médicale et utilisées par le grand public pour traiter des problèmes très variés, allant des troubles psychiatriques à la sous-performance sportive. Cet article passe en revue les évidences concernant l’utilisation d’un régime sans gluten dans diverses situations.
La maladie cœliaque est une réaction auto-immune dans laquelle la gliadine, un peptide de dégradation du gluten, provoque une réaction inflammatoire au niveau de la paroi du duodénum. Celle-ci provoque des manifestations digestives et extra-digestives (tableau 1). Parmi les complications à long terme rares mais redoutées, on note l’entéropathie associée au lymphome T, l’adénocarcinome de l’intestin grêle et d’autres néoplasies du tractus gastro-intestinal. Le diagnostic de la maladie cœliaque s’effectue par le dosage des anticorps antitransglutaminases de classe IgA, ou en cas de déficit en IgA, par les anticorps antitransglutaminases IgG et les anticorps antipeptides de gliadine désaminée IgG. La figure 2 présente l’algorithme d’investigations.4 Le seul traitement actuellement reconnu est un régime strict sans gluten. Une consultation au minimum une fois par an est requise pour évaluer l’observance au traitement et surveiller l’apparition d’éventuelles carences ou complications.
L’allergie au blé IgE-médiée, déclenchée par l’ingestion de cet aliment, existe principalement sous deux formes : l’allergie alimentaire classique et l’anaphylaxie induite par l’exercice et dépendante du blé (Wheat-dependent exercice-induced anaphylaxis, WDEIA). L’allergie alimentaire classique apparaît quelques minutes à heures après l’ingestion de blé et comprend des réactions cutanées, digestives, respiratoires et cardiovasculaires, jusqu’au choc anaphylactique. La WDEIA apparaît quelques heures après l’ingestion de blé et comprend également un large spectre de symptômes, de l’urticaire à l’anaphylaxie. Toutefois, elle se déclenche seulement en présence d’un cofacteur tel qu’effort physique, prise d’alcool ou d’acide acétylsalicylique.5 Le seul traitement est l’éviction du blé de l’alimentation ou la suppression du cofacteur dans le cas de la WDEIA. Le diagnostic de l’allergie IgE-médiée s’effectue par des tests cutanés, le dosage des anticorps IgE-spécifiques (attention aux réactions croisées avec d’autres graminées), voire un test de provocation sous surveillance médicale.1 D’autres types de réactions allergiques au blé, telles que l’œsophagite à éosinophiles ou la gastroentérite à éosinophiles existent mais ne sont pas détaillés dans le présent article.
Rapportée pour la première fois en 1978,2 c’est seulement en 2011 qu’une réunion de consensus, soutenue par un institut impliqué dans la commercialisation de produits sans gluten, tente de définir cette entité (www.drschaer-institute.com).1 Il s’agit de patients ayant des symptômes digestifs et/ou extra-digestifs induits par l’ingestion de gluten qui se résolvent lors de régime sans gluten et chez lesquels une maladie cœliaque et une allergie au blé ont été exclues. Les différences notables entre ces trois entités sont résumées dans le tableau 1.2 La nomenclature courante de cette entité est «sensibilité au gluten non cœliaque» (non-celiac gluten sensitivity, NCGS) bien que divers synonymes sont retrouvés (intolérance au gluten sans cœliaquie, hypersensibilité au gluten, sensibilité au blé).2
Contrairement à la maladie cœliaque dont la prévalence se situe entre 0,7 et 1% de la population, celle de la NCGS est mal connue. Les patients effectuent en effet souvent un autodiagnostic et débutent un régime sans gluten sans consulter un médecin au préalable. Selon certains auteurs, elle pourrait se situer entre 0,55 et 6%.2 Cette maladie toucherait davantage les femmes et les adultes jeunes.
Les symptômes apparaissent après consommation de gluten avec une médiane de trois jours et disparaissent lorsqu’un régime sans gluten est pratiqué. On retrouve des symptômes communs au syndrome du côlon irritable d’une part, et des symptômes généraux d’autre part (tableau 1).2
La physiopathologie de la NCGS est actuellement très mal connue. Alors que le système immunitaire adaptatif est impliqué dans la maladie cœliaque, il semblerait que la NCGS concerne le système immunitaire inné.6,7 En effet, plusieurs marqueurs de l’immunité innée et acquise (tableau 2) varient en quantité dans chacune des deux entités. Par ailleurs, le gluten induirait des dommages à la muqueuse gastro-intestinale non médiés par le système immunitaire, dans la maladie cœliaque comme dans la NCGS. Des peptides, dérivés ou non de la gliadine, provoqueraient un dommage direct aux cellules épithéliales, entre autres par inhibition de la synthèse de l’ADN et de l’ARN, l’augmentation du stress oxydatif et l’induction de l’apoptose. Ces peptides engendreraient également une anomalie de la motilité gastro-intestinale par une augmentation du relâchement d’acétylcholine par le plexus myentérique et une stimulation directe du système nerveux entérique.7 Cependant, peu de littératures existent sur le sujet et d’autres mécanismes existent probablement.
Pour poser le diagnostic de NCGS, il faut en premier lieu éliminer la maladie cœliaque (figure 2) et l’allergie au blé. La suppression du gluten de l’alimentation doit conduire ensuite à une nette régression des symptômes intestinaux et extra-intestinaux. Finalement, la reprise d’une alimentation contenant du gluten doit reproduire les symptômes (rechallenge). A noter qu’en raison d’un possible effet placebo, cette dernière étape devrait être effectuée en double aveugle (double blind placebo control challenge, DBPCC), par exemple en prescrivant alternativement pendant deux semaines des capsules contenant du blé puis du xylose à l’insu du patient.7,8
Un régime sans gluten est à préconiser de la même manière que pour un patient atteint de maladie cœliaque. Un suivi nutritionnel peut être cependant indiqué, pour éviter un régime trop riche en graisse ou en sucre souvent consécutif à la consommation exclusive de produits préparés ne contenant pas du gluten, et éviter des carences en vitamines, oligo-éléments et minéraux. La NCGS pouvant être permanente ou transitoire, une réintroduction périodique du gluten est proposée par certains auteurs.7
La première étude randomisée contrôlée en double aveugle dans le but de prouver l’existence de la NCGS a été effectuée en 2011 en Australie.9 Les patients sélectionnés étaient atteints du syndrome du côlon irritable et rapportaient une amélioration de leurs symptômes sous régime sans gluten (une maladie cœliaque avait été exclue). Ils étaient randomisés en deux groupes pour consommer soit du gluten, soit un placebo pendant six semaines. 68% des patients du groupe «gluten» rapportèrent avoir des symptômes non contrôlés sous ce traitement versus 40% dans le groupe placebo (p = 0,0001).9 Une autre étude, réalisée en Italie en 2012,8 rétrospective, montra que parmi 920 patients ayant un syndrome du côlon irritable, 276 (30%) avaient une NCGS démontrée par une amélioration de leurs symptômes avec un régime sans gluten suivi d’un DBPCC.8
Cependant, une nouvelle étude australienne randomisée en double aveugle, avec plan d’étude croisé,10 publiée en 2013, chez des patients ayant un syndrome du côlon irritable et une NCGS, s’est révélée négative. En effet, en introduisant avant le test au gluten un régime pauvre en polyols et en oligo, di et monosaccharides fermentables (FODMAP en anglais, tableau 3), les patients ont noté une nette régression de leurs symptômes digestifs. Toutefois, une réintroduction du gluten versus placebo ne montra aucune différence entre les groupes. Une des hypothèses avancées serait que l’intolérance au gluten serait confondue avec une intolérance aux FODMAP, présents dans divers aliments et en particulier dans des céréales contenant du gluten.10 La NCGS reste ainsi mal comprise et selon certains auteurs représenterait un spectre situé entre la maladie cœliaque et le syndrome du côlon irritable (figure 3).3
La popularité du régime sans gluten engendre plusieurs espoirs, notamment celui de faire perdre du poids. Cependant, aucune donnée publiée ne confirme cette hypothèse. Au contraire, une alimentation sans gluten serait plus calorique et riche en graisse qu’une alimentation normale.11
Une méta-analyse publiée en 2014,12 incluant 2239 femmes, a montré une association significative entre l’infertilité et une maladie cœliaque non diagnostiquée (OR de 3,09 (IC 95% : 1,74-5,49)), suggérant que celle-ci serait un facteur de risque. Toutefois, il n’y a pas d’évidence chez les patients ne souffrant pas de maladie cœliaque qu’un régime pauvre en gluten puisse résoudre un problème d’infertilité.
La fibromyalgie partage certains symptômes avec l’intolérance au gluten (tableau 1). Une étude de cas13 décrit une amélioration clinique chez vingt patients atteints de fibromyalgie après l’introduction d’un régime sans gluten sur une période de suivi moyen de seize mois. Toutefois, aucune étude randomisée contrôlée n’a montré le bénéfice d’un tel régime dans cette situation.
Concernant la polyarthrite rhumatoïde, des modifications de régime sont communément pratiquées par les patients malgré l’absence d’évidence à ce sujet. Une étude randomisée,14 sélectionnant des patients avec une polyarthrite rhumatoïde active mis sous régime végétalien sans gluten, a montré des signes d’amélioration clinique chez 40,5% des malades contre 4% chez ceux qui avaient suivi un régime normal équilibré. Cependant, il n’existe pas à notre connaissance d’étude impliquant seulement une alimentation sans gluten.
La dépression et l’anxiété peuvent être retrouvées dans le cadre d’une maladie cœliaque non traitée. Ces troubles s’améliorent en règle générale lorsque le traitement est débuté, mais ils peuvent parfois persister et nécessiter une prise en charge spécifique.15 En cas de NCGS, une exposition brève au gluten induirait des traits dépressifs16 et pourrait expliquer pourquoi certains patients expriment le sentiment de se sentir mieux avec un régime sans gluten, sans pour autant que leurs symptômes digestifs se soient améliorés.
Ce régime a aussi été proposé dans le traitement de l’autisme, en référence à une théorie qui suggérait que le gluten et la caséine jouaient un rôle dans sa pathogenèse. Une revue Cochrane conclut toutefois que l’évidence est actuellement faible à ce sujet.17 Par ailleurs, des observations cliniques non protocolées suggèrent que la diminution ou la suppression du gluten chez des enfants non cœliaques peuvent améliorer le sommeil et la concentration intellectuelle.
De nombreux sportifs de haut niveau évitent le gluten pour améliorer leurs performances physiques. Dans une étude18 analysant le comportement de 910 athlètes sans maladie cœliaque, 41% déclaraient suivre un régime sans gluten, entre 50 et 100% du temps. Il s’agissait surtout de personnes pratiquant des sports d’endurance, à un niveau amateur. Cependant, dix-huit médaillés mondiaux ou olympiques étaient présents parmi eux ! Une majorité pensait améliorer leur niveau de performance (56,3%) et diminuer leurs troubles gastro-intestinaux (61,1%). La principale source d’information était internet (28,7%), suivi des entraîneurs (26,2%) et d‘autres athlètes (17,4%), loin devant un conseil médical (0,5%). Bien que les croyances puissent en elles-mêmes améliorer les performances d’un athlète (entre 1 et 3% selon certains auteurs) par un effet placebo, aucune évidence basée sur des preuves n’existe à ce sujet. Etant donné la contrainte de ce régime et les potentielles carences qu’il pourrait engendrer, de nouvelles recherches sont essentielles.
La NCGS est une entité encore controversée qui demande à être mieux définie et comprise. Elle pourrait expliquer la présence de symptômes digestifs et généraux chez certains patients sans maladie cœliaque. Le rôle du gluten par rapport à d’autres substances alimentaires reste débattu. Les bienfaits d’un régime sans gluten, en-dehors des indications reconnues (maladie cœliaque et allergie au blé) restent controversés. Au vu de la popularité de ce régime dans la presse grand public et sur internet, dans lesquels ne manque pas de s’engouffrer l’industrie alimentaire, des études de qualité sont nécessaires pour en préciser les indications médicales.
> Un régime sans gluten est clairement indiqué dans la maladie cœliaque et l’allergie au blé
> La sensibilité au gluten non cœliaque est une entité nouvelle et controversée, qui se diagnostique en excluant une maladie cœliaque et une allergie au blé, puis en effectuant un test de régime sans gluten avec rechallenge
> Il n’existe pas de preuves suffisantes pour poser l’indication à un régime sans gluten dans des maladies endocrinologiques, psychiatriques ou rhumatologiques, de même que pour améliorer les performances dans la pratique d’un sport de haut niveau