Il y a dix ans, le 3 octobre 2005, le prix Nobel de médecine et de physiologie était attribué à deux Australiens, Barry J. Marshall et J. Robin Warren pour leur découverte médicale majeure concernant la physiopathologie des ulcères gastroduodénaux. Avant leur découverte, ces affections fréquentes et handicapantes étaient, schématiquement, tenues pour être la conséquence d’une trop grande «acidité» au sein de la lumière du tube digestif. Le jury du Nobel rappelait fort justement alors que ces deux Australiens étaient, non sans mal, parvenus à fournir la démonstration que ces lésions ulcéreuses avaient pour cause principale la présence en leur sein de la bactérie Helicobacter pylori. Ce même jury établissait ainsi de manière on ne peut plus officielle que ce furent bien eux qui ouvrirent du même coup la voie à un traitement éradicateur par antibiotique. Il n’est pas si fréquent, en médecine, que l’on passe ainsi si allègrement de la physiopathologie à la thérapeutique.
C’était là une découverte, fruit de l’observation et de la ténacité des deux lauréats qui ont souvent payé de leur personne pour parvenir à imposer une conception physiopathologique originale – totalement opposée à la théorie en vigueur à l’époque – Barry Marshall allant jusqu’à ingérer un bol d’une culture d’Helicobacter pylori.
Au lendemain de l’annonce faite par le jury, Robin Warren avait, humour australien oblige, qualifié de «sacrément évidente» la découverte de l’origine bactérienne des ulcères gastroduodénaux. «C’est agréable d’être officiellement reconnu et cela donne une sorte de cachet d’approbation, mais en l’espace de quelques mois nous étions convaincus de notre découverte parce que c’était sacrément évident, avait-il déclaré à la presse internationale il y a dix ans. Je suis ravi et également un peu dépassé».
… le comportement thérapeutique évolue plus vite qu’on aurait peut-être pu l’espérer …
Leur aventure avait commencé il y a plus de trente ans, en 1982, à Perth. «Il est rare que l’attribution du prix Nobel de médecine fasse l’unanimité, écrivait en 2005 notre confrère Jean-Michel Bader dans les colonnes du quotidien Le Figaro. Pendant des décennies, les gastroentérologues du monde entier, confrontés à la grande fréquence des ulcères digestifs, avaient appris et répété : “Pas d’acide, pas d’ulcère”.» Et notre confrère de rappeler que l’Italien Giulio Bizozero (1846-1901) avait, dès 1892, vu Helicobacter pylori dans la muqueuse stomacale, et avait alors conclu que cette bactérie devait avoir un mécanisme pour se protéger de l’acide gastrique.
«Les ulcères gastriques et duodénaux sont à l’origine de symptômes gênants et parfois de complications graves : hémorragies, perforations, etc. La majorité des ulcères gastriques ou duodénaux sont associés à une infection par Helicobacter pylori, rappelle le mensuel français Prescrire qui, dans son édition d’octobre, consacre un dossier “stratégie” à ce sujet thérapeutique.1 En cas d’ulcère gastrique ou duodénal avec infection prouvée par Helicobacter pylori, le traitement de cette infection améliore le taux de cicatrisation de l’ulcère et diminue la fréquence des complications notamment hémorragiques, et des récidives.»
Si la physiopathologie n’a pas changé, le comportement thérapeutique évolue plus vite qu’on aurait peut-être pu l’espérer. Depuis une quinzaine d’années, le traitement initial associait, pendant sept jours, un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) (généralement l’oméprazole pour diminuer l’acidité dans l’estomac), un macrolide (clarithromycine) et une bêtalactamine (amoxicilline). Un nitro-amidazolé (métronidazole) était aussi proposé en cas d’allergie à l’amoxicilline ou en alternative avec la clarithromycine.
En peu de temps la donne a changé. «Au début des années 2010, cette antibiothérapie probabiliste, c’est-à-dire en l’absence d’antibiogramme, conduisait à la non-détection d’Helicobacter pylori dans 70% des cas, au lieu de 80% à la fin des années 1990, souligne Prescrire. La résistance d’Helicobacter pylori à la clarithromycine est principalement en cause.» De fait, la fréquence de ces résistances in vitro a augmenté dans la plupart des régions du monde avec, toutefois, de grandes différences selon les pays (de 6 à 37% selon les pays d’Europe – 20% environ en France et en Belgique). Elle est, de plus, croisée avec celle des autres macrolides. Il faut ajouter qu’à la fin des années 2000, les taux de résistance à la fois à la clarithromycine et au métronidazole étaient d’environ 13% après un premier traitement et de… 54% chez les personnes ayant déjà été traitées par antibiothérapie contre Helicobacter pylori. En revanche, les résistances à l’amoxicilline restent rares en Europe.
«Du fait de cette évolution épidémiologique, l’association IPP-clarithromycine-amoxicilline pendant sept jours n’est plus la référence en 2015 pour le traitement probabiliste» résume Prescrire. En d’autres termes, face à un ulcère gastrique ou duodénal, avec infection prouvée, par Helicobacter pylori, le traitement comprend aujourd’hui trois antibiotiques et non plus deux.
Le choix de l’antibiothérapie de première ligne est bien évalué par des essais randomisés. En pratique, en 2015, chez des adultes atteints d’ulcère gastrique ou duodénal et non encore traités, les données d’évaluation sont en faveur d’une antibiothérapie probabiliste par l’association amoxicilline + clarithromycine + métronidazole, administrés ensemble ou successivement par période de cinq jours, avec un IPP (oméprazole). «En cas d’échec d’un premier traitement, il n’existe pas de stratégie probabiliste solidement éprouvée, ajoute Prescrire. Remplacer la clarithromycine par une fluoroquinolone ou une cycline est une option.»
Le mensuel consacre aussi une partie de son étude à la conduite à tenir après l’anti biothérapie avec la nécessité de vérifier la disparition du pathogène par un test non invasif. Les phénomènes de résistance font en effet que cette disparition est incertaine. Cette incertitude peut être réduite grâce à l’utilisation d’un test respiratoire à l’urée marquée au carbone 13. Il existe aussi la possibilité d’une recherche d’antigènes spécifiques dans les selles. Ces tests sont à effectuer au moins quatre semaines après l’arrêt des antibiotiques et au moins deux semaines après l’arrêt d’un traitement par IPP (ces thérapeutiques réduisent la sensibilité des tests en diminuant le nombre de bactéries).
Le test respiratoire (deux spécialités sont remboursables en France avec le statut de médicament remboursable par la Sécurité sociale) repose sur la présence, dans le pathogène, d’une uréase – enzyme absente dans l’espèce humaine. En cas d’infection, l’urée marquée est transformée par l’enzyme bactérienne (notamment en dioxyde de carbone) puis absorbée par l’intestin avant d’être éliminée par voie pulmonaire. Le carbone 13 est mesuré dans l’air inspiré avant l’ingestion de l’urée marquée – puis 30 minutes après. Dans les conditions optimales, la sensibilité et la spécificité sont d’environ 95%.
La recherche dans les selles d’antigènes bactériens par une méthode Elisa ? C’est une possibilité quand le test respiratoire n’est pas disponible. «La nécessité de recueillir et de manipuler des selles, puis de conserver le prélèvement au frais jusqu’à son analyse semblent être des obstacles à cette méthode, observe Prescrire. En France elle n’est pas, en 2015, remboursable par la Sécurité sociale.» Les essais d’évaluation des traitements plaident aujourd’hui en faveur de ces tests et non plus sur des critères cliniques comme les récidives d’ulcères.
Reste la question du bismuth. Une association thérapeutique intégrant du sous-citrate de bismuth potassique est autorisée dans l’Union européenne, rappelle Prescrire, très critique quant à cette possibilité au vu de la faiblesse des preuves documentées disponibles. Cette proposition repose sur les propriétés anti-infectieuses in vitro du bismuth. Le prescripteur doit toutefois compter ici avec le risque d’encéphalopathie en cas de dépassement du seuil toxique. La question du bismuth peut toutefois se poser en cas d’échec d’un premier traitement bien conduit, et en l’absence d’un antibiogramme qui devrait toujours éclairer l’action thérapeutique.