Les coûts du système de santé sont un enjeu économique et sociétal majeur à relever à l’échelle mondiale dans les prochaines années. En Suisse, 11,5% du produit intérieur brut (PIB) a été consacré à la santé en 2012 (Office fédéral de la statistique 2014). Elle est la quatrième nation après les Etats-Unis (16,9%), les Pays-Bas (11,8%) et la France (11,6%) (l’Organisation de coopération et de développement économiques 2014). Les médicaments qui figurent dans la liste des spécialités (AOS) représentent 22,6% des coûts nets de l’assurance obligatoire, soit la troisième composante après les soins ambulatoires (35,7%) et les soins hospitaliers (33,5%) (Obsan Rapport 53, 2012).
Selon l’Ordonnance sur l’assurance-maladie, pour être admis dans la liste des spécialités, le prix d’un générique doit être au moins 30% inférieur à celui du médicament original, en tenant compte de la baisse du prix de ce dernier à l’expiration du brevet. On estime que si le remboursement se faisait sur la base du générique le meilleur marché, l’économie annuelle escomptée serait de 250 millions de francs (Obsan Rapport 58, 2013). La promotion des génériques auprès des professionnels de la santé et des patients demeure donc essentielle.
Les originaux brevetés, c’est-à-dire encore protégés par le brevet, pèsent pour près de la moitié (46,8%) du coût des médicaments AOS alors qu’ils représentent moins d’un quart du marché (14,8%) (figures 1A et 1B). Il s’agit essentiellement de médicaments immunomodulateurs ou antinéoplasiques qui ont connu des innovations majeures ces dernières années. Nombre de ces originaux brevetés sont des médicaments issus des biotechnologies qui nécessitent des méthodes de développement et de production complexes, expliquant leur coût élevé. Si la remise en question de la durée des brevets est improbable, un espoir d’économie supplémentaire existe avec la mise sur le marché depuis quelques années de médicaments dits «biosimilaires».
L’objectif de cet article est de détailler comment un générique est comparé à l’original, de développer le concept de médicament «biosimilaire» et d’aborder quelques stratégies de perpétuation du monopole de la molécule originale par les compagnies pharmaceutiques.
Lors de l’obtention d’un brevet pour une molécule pharmacologique innovante ou originale, celle-ci est protégée contre la reproduction pour une durée maximale de vingt ans (législation internationale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)). Etant donné que la durée de développement d’un médicament avant sa commercialisation est comprise entre huit et douze ans, la protection effective par le brevet est seulement d’environ dix ans.
Au niveau suisse, l’Ordonnance sur l’assurance-maladie (art. 64a, al. 2, OAMal) définit comme générique «tout médicament autorisé par l’Institut (Swissmedic), qui pour l’essentiel est semblable à une préparation originale et qui est interchangeable avec celle-ci». Afin de juguler les dépenses en matière de médicaments, le Conseil Fédéral a été amené à légiférer à plusieurs reprises ces dernières années pour favoriser l’emploi des génériques (tableau 1). Les pharmaciens y sont également encouragés, la LAMal prévoyant un «droit de substitution» de l’original par le générique à condition d’en informer le patient. Il existe cependant une exception, puisque si le médecin estime préférable la délivrance de la molécule originale, il peut le stipuler sur l’ordonnance avec la mention «non substituable par un générique pour raisons médicales». La quote-part s’élèvera alors à 10% au lieu de 20%.
Lorsque la protection d’une molécule originale par le brevet arrive à son terme, les données des essais cliniques tombent dans le domaine public et sont donc accessibles aux compagnies pharmaceutiques développant des génériques. Les essais cliniques pour les génériques n’auront pas à être répétés, ce qui explique le coût inférieur de leur développement. La quantité de principe actif contenue dans le générique doit être identique à celle dans l’original. Toutefois, les substances auxiliaires, c’est-à-dire les excipients, les colorants, les aromatisants ou les conservateurs, ainsi que les méthodes de fabrication peuvent différer. Le fabricant de générique devra démontrer par des études de bioéquivalence que ces différences n’altèrent pas la pharmacocinétique de la substance active. Ces études sont effectuées sur un collectif limité de volontaires sains (moins de 50 personnes en général). On détermine alors différents paramètres pharmacocinétiques (figure 2):
l’AUC (aire sous la courbe), soit la quantité totale de molécule sous forme inchangée qui atteint la circulation.
La vitesse d’absorption, soit la concentration maximale (Cmax) atteinte à un instant précis (tmax).
Ces différents paramètres sont calculés pour chaque volontaire sain, permettant d’obtenir une moyenne avec un intervalle de confiance. Pour répondre aux exigences de la bioéquivalence, les moyennes et intervalles de confiance de chacun de ces trois paramètres doivent être compris dans un intervalle d’équivalence de 80 à 125% par rapport à l’original (figure 3). Dans le cas de médicaments à marge thérapeutique étroite, cet intervalle d’équivalence peut-être resserré pour des raisons de sécurité à 90-111%. Ceci concerne par exemple les immunosuppresseurs ou cytostatiques, les anticoagulants, certains antidiabétiques oraux ainsi que les antiépileptiques.
Les données de la littérature comparant le générique à son original sont assez succinctes, ce qui nourrit le scepticisme de certains à leur égard, y compris des médecins. Néanmoins, quelques méta-analyses existent, dont une concernant des médicaments couramment employés dans les maladies cardiovasculaires (IEC, bêtabloquants, anticalciques, AVK, antiagrégants plaquettaires, statines, diurétiques). En évaluant différents paramètres biologiques ou physiologiques en fonction de la molécule étudiée, aucune différence significative d’efficacité n’a pu être démontrée.1
Concernant les médicaments à marge thérapeutique étroite, une méta-analyse comprenant sept études randomisées contrôlées comparant trois antiépileptiques courants (carbamazépine, acide valproïque, phénytoïne) n’a pas démontré de différence significative quant à la survenue d’événements épileptiques.2 Toutefois, ces études avaient inclus de petits collectifs de patients (entre 10 et 60). Ainsi, sur la base du principe de précaution, les auteurs de l’étude proposent d’effectuer un dosage plasmatique de contrôle après substitution. Des recommandations d’experts similaires ont été dressées pour d’autres molécules à marge thérapeutique étroite, notamment lors de l’emploi d’immunosuppresseurs dans le contexte de transplantation de cellules souches hématopoïétiques ou d’organes solides.3–5 Il peut être noté cependant que les mêmes précautions doivent être prises si un générique est remplacé par l’original, ou un générique par un autre.
La réticence des patients vis-à-vis des médicaments génériques est parfois un obstacle majeur à leur utilisation. Sur la base de sondages, on estime à environ 15 à 30% la proportion de la population ayant une opinion défavorable sur les génériques.6–9 Cette méfiance peut néanmoins être levée par une meilleure information de la part des professionnels de la santé, médecins comme pharmaciens, ou par des mesures d’incitation financière comme la quote-part différenciée décrite plus haut. D’autres paramètres, plus complexes, entrent également en jeu dans la substitution. Une étude suisse sur la prescription de génériques en Suisse à partir des demandes de remboursement d’une grande caisse maladie en 2003, dans les trois régions linguistiques, permet de relever certains facteurs déterminant leur prescription (tableau 2).10
Il peut sembler légitime pour un médecin ou un pharmacien de renoncer à la substitution si celle-ci risque d’entraver la bonne conduite d’un traitement, par exemple chez un patient âgé, polymorbide, sous plusieurs traitements médicamenteux différents pour qui une simple modification du conditionnement pourrait être une source de confusion. Cependant, ceci peut être minimisé par une meilleure information du patient, une concertation entre le médecin, le pharmacien et d’autres intervenants comme les services infirmiers de soins à domicile ou l’entourage du patient.
Les premiers médicaments dits «biologiques» ou issus de la biotechnologie sont apparus dans les années 80. Il s’agit de médicaments dont le principe actif est fabriqué à partir d’un organisme vivant, par des techniques d’ADN recombinant. Les molécules ainsi produites sont plus grosses et complexes (tableau 3). Elles comprennent notamment des protéines telles que des hormones (insuline, érythropoïétine, hormone de croissance), des produits sanguins, des vaccins ou des anticorps monoclonaux. Du fait de la complexité de leur méthode de fabrication, des différences inévitables dans la structure tridimensionnelle peuvent survenir lors de tentatives de répliquer ces molécules, tant le produit fini est lié à la méthode de fabrication (the process is the product). C’est pourquoi, on emploie le terme de «biosimilaires» et non de génériques. La conséquence de ces différences potentielles est qu’au contraire des génériques, les biosimilaires nécessitent de nouvelles évaluations précliniques (pharmacocinétique et pharmacodynamique) et cliniques avant d’être approuvés (Agence européenne des médicaments (EMA)).
Du fait de la complexité de leur fabrication, les médicaments biologiques sont particulièrement dispendieux. L’attrait pour la production de médicaments moins chers, les biosimilaires, s’en trouve donc accru à l’échéance des brevets. Ceci est particulièrement important dans le domaine de l’oncologie, où ces molécules sont employées aussi bien dans le traitement du cancer que dans la prise en charge des effets indésirables des traitements. Il s’agit d’anticorps monoclonaux (trastuzumab, bevacizumab, cetuximab, rituximab) mais aussi d’hormones régulatrices de l’érythropoïèse (darbépoïétine alpha, époïétine alpha) ou de facteurs de croissance de la lignée granulocytaire (G-CSF : filgrastim, pegfilgrastim).
La nécessité d’effectuer de nouveaux essais cliniques engendre un coût de développement bien plus élevé pour les biosimilaires que pour les génériques. Toutefois, en prenant l’exemple de l’érythropoïétine ou des facteurs de croissance granulocytaire en Suisse actuellement, leur prix sur le marché peut être inférieur d’environ 15% par rapport à la molécule biologique originale, ce qui représente un potentiel d’économie substantiel (selon le Compendium suisse des médicaments).
De nombreuses controverses existent sur la sécurité et l’efficacité des biosimilaires. Cependant, des données plutôt favorables sur leur efficacité et leur sécurité existent, notamment concernant l’emploi de biosimilaires du G-CSF pour le traitement d’agranulocytoses chez des patients hémato-oncologiques11,12 ou de l’époïétine alpha en cas d’anémies secondaires dans des maladies oncologiques et hématologiques.13
A l’heure actuelle, il n’existe encore aucune base légale en Suisse offrant la possibilité aux pharmaciens de substituer un médicament biologique original par un biosimilaire. Cette décision revient donc au prescripteur. A noter qu’en France, la substitution par les pharmaciens est autorisée, mais uniquement en initiation de traitement (Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, art. 47). L’utilisation des biosimilaires en Suisse demeure marginale, malgré leur coût inférieur. Ceci peut s’expliquer par un «pouvoir d’achat» encore suffisant, rendant le pays moins prompt à autoriser leur mise sur le marché, en tenant également compte de certaines réserves quant à leur efficacité et leur sécurité.
L’ouverture à la concurrence des génériques suite à la perte du brevet constitue un manque à gagner subséquent pour les compagnies pharmaceutiques produisant la molécule originale. Par conséquent, celles-ci développent différentes stratégies pour tenter de prolonger le monopole de l’original (evergreening).
Une des stratégies employées consiste à introduire une innovation, même minime, impliquant la molécule originale, ce qui, sans forcément reporter l’échéance du brevet, peut permettre de maintenir ses ventes. Parmi ces innovations, citons le développement de nouvelles formulations de la molécule originale, par exemple de nouveaux dosages, de formes retard, de nouveaux modes d’administration, de nouvelles indications, voire des associations avec d’autres molécules existantes. Une autre stratégie consiste à développer des produits proches de la molécule originale, par exemple son métabolite ou l’un de ses énantiomères, en invoquant une meilleure biodisponibilité, une moindre variabilité interindividuelle de l’effet pharmacologique, ou une diminution des effets indésirables. L’évidence soutenant la supériorité clinique de ces remplacements est cependant variable.14–16
Les médecins et les institutions hospitalières, en tant que prescripteurs, se doivent ainsi de connaître les différents processus de développement des nouvelles molécules remplaçant les produits originaux, d’en reconnaître les avantages, notamment en termes de coûts, mais également de garder un esprit critique sur certains remplacements essentiellement motivés par une composante marketing de certaines firmes.
En résumé, la part de marché ouverte aux génériques est relativement bien exploitée et leur emploi, démontré sûr la plupart du temps, doit continuer à être encouragé. Certaines précautions doivent néanmoins être prises concernant les médicaments à marge thérapeutique étroite. Un contrôle du taux plasmatique ou d’un marqueur indirect de l’effet (INR pour les anticoagulants, thyréostimuline pour la lévothyroxine) après le remplacement de l’original par un générique peut être judicieux, mais cette mesure s’applique aussi si l’original est introduit à la place du générique ou si un générique est substitué par un autre. Le développement des produits biosimilaires devrait permettre des économies supplémentaires substantielles au vu du coût élevé des molécules biologiques. Une meilleure connaissance par les professionnels de la santé des processus de remplacement des molécules originales, de leurs avantages et leurs limites, des freins à leur utilisation, et des stratégies commerciales de certaines firmes sont indispensables à une prescription thérapeutique éclairée.
> Les médicaments génériques, dont le prix en Suisse doit être inférieur de 30% à l’original, permettent des économies substantielles en dépenses de santé de l’assurance obligatoire
> La validation avant la mise sur le marché des génériques passe par la réalisation d’études de bioéquivalence, et non par de nouveaux essais cliniques
> Leur utilisation est sûre et ne nécessite pas de précaution particulière, hormis les médicaments à marge thérapeutique étroite, pour lesquels une surveillance du taux plasmatique ou d’un marqueur indirect de l’effet après le remplacement peut être judicieuse
> Différents facteurs peuvent influencer la prescription de génériques par les médecins et leur acceptation par les patients
> Les médicaments issus des biotechnologies, qui sont fabriqués par des techniques d’ARN recombinant, peuvent être substitués par des biosimilaires, dont la méthode de fabrication engendre des différences inévitables dans la structure tridimensionnelle
> L’evergreening est une stratégie par laquelle les compagnies pharmaceutiques tentent de prolonger le monopole de la molécule originale à l’échéance du brevet en lui apportant des innovations mêmes minimes. L’évidence scientifique soutenant l’intérêt de ces innovations est assez variable