La dyspnée est définie comme un symptôme, soit une sensation à la fois sensorielle et émotionnelle, de respiration difficile et inconfortable [1]. L’intensité de la dyspnée est en grande partie indépendante du status respiratoire objectif du malade tel que décrit par les signes cliniques, les explorations fonctionnelles et la mesure des gaz sanguins.
La dyspnée et la douleur utilisent les mêmes voies neuronales et il existe une relation proportionnelle entre la présence de dyspnée et le degré de douleur. La dyspnée peut susciter de l’angoisse pour le patient mais aussi pour son entourage et pour l’équipe soignante.
Sa prévalence en milieu hospitalier varie en fonction de la population considérée. Les études montrent que 5% des patients consultent les urgences pour une dyspnée, mais ce chiffre est probablement sous-estimé, la dyspnée pouvant être au second plan lors du tri initial. Dans les centres tertiaires, parmi les patients souffrant d’une maladie sévère telle que sepsis, défaillance multiple d’organes ou cancer pulmonaire, elle touche jusqu’à 50% des patients.
La dyspnée relève de mécanismes complexes et souvent multiples. Son évaluation par des instruments de mesure multidimensionnels permet de mieux en cerner la complexité et d’en appréhender le traitement de manière plus spécifique.
Le présent article se propose de discuter la dyspnée aiguë intrahospitalière dans ses enjeux diagnostiques et thérapeutiques.
La dyspnée est une sensation subjective de difficulté respiratoire à ne pas confondre avec la détresse respiratoire qui consiste en des signes objectifs tels la tachypnée (>25 resp./min), le tirage intercostal ou sus-claviculaire et l’utilisation des muscles accessoires. Elle dépend de nombreux facteurs physiologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux.
La dyspnée est une expérience multidimensionnelle qui relève de mécanismes multiples, non entièrement élucidés. Elle résulte d’un déséquilibre entre la commande centrale délivrée aux muscles respiratoires et l’exécution de cette commande. Ce déséquilibre passe par des informations afférentes venant des voies aériennes (VA), du parenchyme pulmonaire et de la paroi thoracique ainsi que par des chémorécepteurs présents au niveau central, médullaire et périphérique (figure 1).
Le diagnostic différentiel de la dyspnée inclut des maladies pulmonaires, cardiovasculaires, neuromusculaires, hématologiques, rénales, endocriniennes, rhumatologiques et psychiatriques. Les diagnostics les plus pertinents à discuter lors de dyspnée aiguë intrahospitalière sont décrits dans le tableau 1.
Les instruments de mesure qui évaluent l’impact de la dyspnée sur la capacité d’effort sur une période de temps, tels le Medical Research Council breathlessness scale (MRC) ou la classification de la New York Heart Association (NYHA), sont utiles pour l’évaluation et le suivi des patients en ambulatoire. Ils sont difficiles à utiliser dans un contexte de dyspnée aiguë intrahospitalière.
En milieu hospitalier, des échelles unidimensionnelles telles qu’une échelle visuelle analogique (EVA) ou numérique, par exemple l’échelle de Borg (tableau 2) sont utilisées. Elles présentent deux principaux désavantages: d’une part, elles sont reproductibles uniquement si l’on utilise toujours les mêmes instructions, d’autre part il s’agit d’échelles de mesure globale qui ne donnent pas d’informations sur la perception de dyspnée ni sur la réponse émotionnelle. Récemment, des instruments de mesure multidimensionnels tels que le profil multidimensionnel de dyspnée (MPD) ont été développés pour tenir compte, en plus de l’intensité, des dimensions sensorielles (perception) et affectives (impact) de la dyspnée [4].
Quand la communication verbale est altérée (patients en fin de vie, aux soins intensifs, avec une atteinte cérébrale), l’auto-évaluation de la dyspnée est impossible et ce symptôme risque d’être sous-estimé. Des échelles observationnelles incluant des signes respiratoires et comportementaux telles que l’échelle observationnelle de détresse respiratoire (respiratory distress observation scale [RDOS]) ont été développées (tableau 3). Les résultats de ces échelles correllent bien avec les questionnaires d’auto-évaluation chez les patients pouvant communiquer [5].
Près de la moitié des patients qui se présentent aux urgences avec une dyspnée ont simultanément plusieurs pathologies médicales, ce qui complique le diagnostic différentiel. Or, une erreur diagnostique, surtout si la dyspnée s’accompagne d’une insuffisance respiratoire, est liée à une augmentation de la durée de séjour, un risque de ré-hospitalisation, une mortalité plus importante et des coûts plus élevés.
L’anamnèse initiale est importante: elle permet de poser un diagnostic chez deux tiers des patients hospitalisés pour dyspnée. Il convient avant tout de distinguer une origine haute d’une origine basse de la dyspnée afin de reconnaître les situations menaçant les voies aériennes supérieures, ce qui constitue une urgence vitale pouvant rapidement mener à l’arrêt cardio-respiratoire. La dyspnée haute doit être suspectée dans un contexte perprandial, lors de notion ou de risque de fausse route, lors d’apparition brutale de la dyspnée et lors de dyspnée aux deux temps respiratoires.
Une fois exclue l’obstruction des voies aériennes supérieures, l’anamnèse permet surtout de distinguer une origine cardiaque d’une origine pulmonaire (tableau 4). La perception du patient aide également au diagnostic différentiel. On reconnaît quatre perceptions principales de dyspnée, chacune corrélée à un processus physiopathologique. La perception d’effort respiratoire contraignant est associée à un problème de mécanique respiratoire (paroi thoracique ou diaphragme). L’oppression thoracique est principalement retrouvée dans les syndromes obstructifs, alors que la sensation de manque d’air est surtout décrite dans les troubles des échanges gazeux, les variations de pH ayant la plus grande implication sur la sensation de dyspnée. Ainsi un patient avec une hypercapnie chronique compensée sera moins dyspnéique qu’un patient présentant une hypercapnie aiguë avec acidose respiratoire. La sensation de difficulté à prendre une inspiration profonde est associée à l’hyperinflation ou au syndrome d’hyperventilation. Ces diverses perceptions ne sont cependant ni spécifiques ni exclusives.
A l’examen clinique, les signes de gravité motivant une prise en charge urgente doivent être recherchés en premier (tableau 5). Hormis le stridor qui parle pour une obstruction des voies aériennes supérieures, ces signes n’aident cependant pas au diagnostic. Les signes cliniques classiques des pathologies les plus courantes provoquant une dyspnée sont résumés dans le tableau 6. La rougeur cutanée par vasodilatation et la diaphorèse sont des signes non spécifiques d’hypercapnie.
Selon le status hémodynamique du patient, l’électrocardiogramme peut apporter des éléments diagnostiques. La radiographie du thorax est de faible sensibilité et spécificité. Elle fait toutefois partie intégrante des critères diagnostiques de certaines pathologies telle la pneumonie acquise à domicile: elle demeure l’examen radiologique de dépistage. En l’absence d’éléments diagnostiques, elle doit être complétée par un CT-scan thoracique. L’utilisation de l’ultrason au lit du patient est de plus en plus fréquente en raison de la rapidité de sa réalisation et de l’absence d’irradiation. L’échographie a été démontrée comme augmentant la probabilité clinique de plusieurs pathologies thoraciques, tels notamment l’œdème pulmonaire et l’embolie pulmonaire. Elle est la méthode de choix pour le diagnostic et l’évaluation d’un épanchement pleural (sensibilité et spécificité proches de 100%). Dans le pneumothorax, sa performance est égale, voire supérieure, à la radiographie standard.
Peu de paramètres biologiques sont nécessaires:
Hématocrite ou hémoglobine: pour identifier une éventuelle anémie.
D-dimères: lorsqu’on suspecte une embolie pulmonaire. Associé à un score de probabilité clinique, sa valeur prédictive négative est élevée. Sa valeur prédictive positive est par contre faible surtout chez les patients hospitalisés depuis plusieurs jours ou âgés de plus de 60 ans [6]. Chez les patients de plus de 75 ans, une étude multinationale a montré qu’un seuil ajusté à l’âge, au lieu du seuil traditionnel de 500 µg/ml, peut améliorer la performance diagnostique [7].
NT-proBNP: pour éliminer une cause cardiaque. Sa mesure lors de dyspnée aux urgences diminue la morbidité et les coûts de prise en charge. Chez les patients hospitalisés pour exacerbation de BPCO ou pour pneumonie communautaire, le NT-proBNP a une valeur pronostique sur la mortalité à 30 jours. La valeur prédictive négative d’un taux de NT-proBNP <300 pg/ml est de 100 à 94 % pour exclure un OAP (œdème aigu du poumon) selon que la clairance à la créatinine est normale ou non (<60 ml/min/1,73 m²). La spécificité à ce seuil est cependant faible. Il faut l’élever à 450 pg/ml pour les patients de moins 50 ans et à 900 pg/ml pour ceux de plus de 50 ans pour une spécificité allant de 72 à 88% selon la fonction rénale [8]. La fibrillation auriculaire élève le taux de NT-proBNP même en l’absence d’insuffisance cardiaque ce qui diminue également la performance diagnostique de ce test. Chez les patients en hémodialyse, le NT-proBNP ne peut pas être utilisé vu son accumulation.
Troponine T hypersensible: pour identifier un syndrome coronarien aigu. Si la dyspnée en tant que symptôme principal est rare dans les syndromes coronariens aigus (10%), elle concerne près de la moitié des patients qui se présentent sans douleurs rétrosternales. La performance diagnostique de la troponine T est cependant plus faible dans ce cas, la meilleure performance étant obtenue si l’on considère une augmentation du taux de troponine T sur un intervalle de 6 heures (Se 77,8%, Sp 87,3%).
Gazométrie artérielle: est surtout utile pour identifier et quantifier l’insuffisance respiratoire. Elle est recommandée dans le bilan de nombreuses maladies associées à une dyspnée: insuffisance cardiaque, exacerbation de BPCO, embolie pulmonaire. Elle n’a cependant pas de valeur diagnostique discriminante sauf lors de crise d’hyperventilation vu qu’il s’agit de la seule entité avec pH très élevé. Le pH étant la valeur principale pour le diagnostic et pour la stratification du risque, une mesure des gaz veineux est souvent suffisante.
Protéine C réactive (CPR): elle permet de distinguer les patients avec une pneumonie de ceux présentant une exacerbation de BPCO ou d’asthme ou une insuffisance cardiaque. Parmi les patients avec BPCO ou asthme exacerbé, un seuil de 48 mg/l a été proposé pour le diagnostic de pneumonie et pour poser l’indication à une antibiothérapie (Se 91%, Sp 93%) [9]. Cependant chez les patients avec un syndrome obstructif chronique avec ou sans bronchiectasies, l’augmentation de la purulence des expectorations associée soit à une péjoration de la dyspnée, soit à une augmentation de l’encombrement bronchique reste une indication à une antibiothérapie indépendamment des valeurs de CRP.
Procalcitonine: sa valeur est corrélée à celle de la CRP. Au seuil de 0,1 ng/ml, elle est très sensible dans le diagnostic de pneumonie lors d’admission aux urgences pour dyspnée (se 97%, VPN 99%). Cette sensibilité reste élevée chez les patients présentant une insuffisance cardiaque concomitante. Elle a une meilleure valeur prédictive que la CRP pour le diagnostic de bactériémie lors de pneumonies communautaires. Son rôle exact est cependant encore sujet à controverse.
Le degré d’urgence de la prise en charge médicale de la dyspnée est conditionné par la présence de signes d’alarme clinique (tableau 5). En présence de ces signes, les premières mesures thérapeutiques doivent être prises sans délai.
Une fois les mesures d’urgence prises, la première ligne de traitement médicamenteux de la dyspnée est le traitement du mécanisme physiopathologique identifié. L’anémie doit être corrigée selon les recommandations concernant les transfusions issues des guidelines européennes qui proposent un taux d’hémoglobine cible entre 70 et 90 g/l selon les maladies associées. L’hyperhydratation majore la dyspnée et celle-ci doit être maintenue au plus juste, éventuellement et selon la pathologie sous-jacente, en association avec des diurétiques. En cas de bronchoconstriction, les aérosols de bronchodilatateurs de courte durée d’action (-mimétiques et/ou anticholinergiques) sont recommandés. Lors de compression tumorale des voies aériennes ou de lymphangite carcinomateuse, les corticostéroïdes peuvent réduire l’œdème associé à la tumeur et l’indication à une radiothérapie doit être discutée. Une revue des traitements des diverses pathologies pouvant se manifester par une dyspnée dépasse l’objectif de cette revue et nous renvoyons le lecteur aux récents guidelines de prise en charge de ces pathologies.
Dans les traitements symptomatiques de la dyspnée, on doit mentionner:
L’oxygène: les données sur l’efficacité de l’oxygène pour le contrôle de la dyspnée sont contradictoires et l’utilisation systématique d’oxygène lors de situations médicales aiguës est remise en cause. L’éventuel effet bénéfique de l’oxygène résulterait du changement du pattern respiratoire (via la stimulation de chémorécepteurs) et de la stimulation de récepteurs dans les VAS (voies aériennes supérieures) sensibles au flux de gaz. L’hyperoxie (oxie = quantité d’oxygène dans les tissus) peut cependant être délétère. Lors de pneumopathie obstructive sévère, l’hyperoxygénation entraîne la baisse du drive respiratoire hypoxique, favorise le déséquilibre ventilation/perfusion en levant la vasoconstriction pulmonaire hypoxique et déplace la courbe de dissociation de l’hémoglobine pour le CO2 vers la droite (effet Haldane), ce qui résulte en une élévation de la paCO2 [10]. Dans l‘insuffisance cardiaque, l’hyperoxie diminue le débit cardiaque et favorise la vasoconstriction coronarienne. En dehors des situations palliatives, l’oxygénothérapie doit donc être ciblée et monitorée. L’hyperoxémie (oxémie = quantité d’oxygène dans le sang) est définie par une paO2 >90 mm Hg. La paO2 peut être estimée par la saturation en O2, mais cette estimation est faussée en cas de carboxyhémoglobine ou de mauvaise perfusion périphérique. Dans tous les cas, la saturation en oxygène ne doit pas dépasser 94–98%. Pour les patients à risque d’hypercapnie, une cible de saturation de 88–92% est en général employée.
Les opioïdes: leur efficacité est prouvée par de nombreuses études pour pallier la dyspnée réfractaire. Ils agissent en diminuant le drive respiratoire et modifient la perception de la dyspnée. Les effets secondaires sont essentiellement la constipation, car la dépression respiratoire est rare aux doses proposées dans ce contexte. La dose initiale est en général de 2 à 5 mg per os aux 4 heures de morphine orale avec, si besoin, un titrage par paliers de 20 à 30%. L’utilisation d’opioïdes dans les exacerbations de pneumopathie chronique est plus discutée et doit être réservée à des patients sélectionnés. Dans l’œdème pulmonaire cardiogénique, les opioïdes n’ont pas montré de bénéfice.
La CPAP (ventilation en pression positive continue): Elle augmente la pression intrathoracique et permet d’améliorer la fonction ventriculaire gauche chez les patients avec insuffisance cardiaque.
La VNI (ventilation non invasive): elle réduit la sensation de dyspnée en réduisant la demande sur les muscles respiratoires. Elle est surtout efficace chez les patients se plaignant d’effort respiratoire contraignant. Les indications de choix restent l’œdème aigu du poumon et l’exacerbation de BPCO où la VNI améliore le pronostic vital [11]. Les contre-indications à la VNI sont résumées dans le tableau 7 [12].
Dans tous les cas, il convient de réduire l’anxiété et de traiter tout symptôme douloureux associé. Les mesures non médicamenteuses sont importantes: installation demi-assise du patient, aération de la pièce, réduction des bruits, comportement calme des soignants, relation d’aide. De multiples techniques, tels l’hypnose, la relaxation et le massage, peuvent également améliorer la dyspnée.
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
La dyspnée est un symptôme complexe qui peut être dû à des pathologies de presque chaque système d’organes. Le bilan initial et sa prise en charge dépendent de la rapidité de survenue des symptômes et du risque vital. Après les premières mesures thérapeutiques d’urgence, le bilan diagnostique doit être une approche multidisciplinaire. L’évaluation de la réponse thérapeutique nécessite des mesures objectives et répétées du symptôme de dyspnée, et des échelles de mesure pouvant être appliquées aux patients sans moyen de communication doivent être développées.