Le corps humain peut-il être un terrain d’entraînement ? L’affaire commence en février dernier avec la publication à Lyon, dans le média Metronews1d’un document disponible sur le site de la Faculté de médecine Lyon-Sud Charles-Mérieux. Sur l’un des textes mis à la disposition des étudiants (publié comme «document officiel») il est précisé que l’apprentissage de l’examen clinique de l’utérus et des annexes par le toucher vaginal et le palper abdominal se fait au bloc «sur patiente endormie». Une autre feuille de stage précise que l’étudiant devra être «présent parfaitement à 8h30 tous les jours, au bloc opératoire» pour rendre compte d’un certain nombre d’actes dont le «toucher vaginal sous anesthésie générale».
On apprend alors que ces textes venaient d’être retirés par l’Université de son site internet – et ce après un «signalement via Twitter» d’un pharmacien. L’affaire prend corps et Metronews enquête. L’un des praticiens, cité dans l’en-tête du premier document comme tuteur, et qui exerce à l’Hôpital de Lyon-Sud, nie fermement avoir utilisé ce carnet de stage, dont il affirme ne pas «connaître l’existence». Il réfute aussi l’idée d’inciter ses étudiants à pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc pour s’exercer. «Dans chacun des quatre blocs opératoires, il y a un interne et un externe qui participent comme aide à l’intervention», précise-t-il. Il affirme que de tels «entraînements» au bloc lui semblent «monstrueux». «Je n’ai jamais entendu dire qu’une telle pratique se fasse à Lyon-Sud», ajoute-t-il.
«Les médecins n’abusent pas de la personne qui est endormie. On travaille ensemble, et à l’occasion de la chirurgie, l’interne et l’externe vont apprendre, explique alors le Pr Carole Burillon, doyenne de l’UFR de médecine et maïeutique Lyon-Sud. On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus, mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent.» Consentement ? «Cette question est extrêmement délicate, explique alors Bénédicte Bévière, spécialiste de bioéthique, maître de conférences à la Faculté de droit de Besançon. Si, à la lecture des dispositions légales, les informations données sur l’intervention doivent être claires, précises, suffisantes, appropriées pour permettre à la personne de donner un consentement “éclairé”, en pratique, il est compliqué pour les praticiens de détailler chaque acte.»
L’affaire fait parler, prend vite de l’ampleur via la Toile. Certain(e)s se souviennent d’avoir été témoin de touchers vaginaux sur des patientes endormies. On rapporte des scènes : un «senior du service» recommandant aux juniors d’«apprendre sur les patientes au bloc». Les oppositions s’affûtent. Des naïfs, inconscients, s’expriment : «Je ne vois pas en quoi ça dérange les patientes, parce qu’elles ne le savent pas». La polémique prend d’autant plus vite que personne ne sait ce qu’il en est de la réalité et de la fréquence d’une telle pratique. Un «grand témoin» prend la parole. Il affirme que «ces touchers vaginaux sans consentement» sont fréquents. On replace la chose dans un contexte plus général : le manque de respect chronique des médecins français en général, des gynécologues en particulier ; l’absence de réflexion éthique des enseignants en médecine français… On commence à parler de viol : acte de pénétration sexuelle commis par contrainte ou par surprise.
Dans L’Obs, le Pr Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français s’explique : «Je récuse le terme “entraînement”. Il s’agit de formation. L’examen clinique fait partie de l’apprentissage. Avant toute chirurgie gynécologique, le médecin pratique toujours un toucher vaginal lorsque la patiente est sous anesthésie(…). Sous la responsabilité du médecin, un étudiant peut être amené à pratiquer lui aussi un tel examen. Les étudiants palpent beaucoup mieux les structures lorsque la patiente est anesthésiée, car les muscles sont détendus. Ce type d’examen est pratiqué dans un bloc, avec un anesthésiste autour, une infirmière… C’est de la médecine, on n’est pas dans un fantasme de viol !»
Préciser à la patiente qu’elle va subir un toucher vaginal et que cet examen pourra également être pratiqué par un étudiant ? «C’est aller trop loin dans la pudibonderie ! Après quarante ans d’expérience, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire signer un papier avant cet examen. Le corps médical est très respectueux des patients.»
Ces explications ne seront pas entendues. Une tribune est publiée2 sur la Toile qui rencontrera un écho certain.
Neuf mois plus tard, l’affaire est devenue un sujet politique. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes vient d’annoncer qu’elle avait reçu un rapport3 sur ce sujet – rapport qu’elle avait demandé au Pr Jean-Pierre Vinet, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine. Ce document porte sur la formation clinique des étudiants en médecine et, en particulier, sur les conditions d’apprentissage de l’examen pelvien (vaginal et rectal) sur des patient(e)s endormi(e)s. La ministre estime que les conclusions de ce rapport sont très préoccupantes : lorsque l’examen est réalisé sous anesthésie générale, le consentement préalable du patient n’est pas systématiquement demandé. Elle «condamne avec une extrême fermeté ces pratiques illégales et annonce des mesures concrètes pour y mettre un terme».
Il ressort de l’enquête que lorsque l’examen pelvien est réalisé chez une personne sous anesthésie générale, le consentement préalable du patient n’est recueilli que dans 67% des cas pour les étudiants du diplôme de formation générale en sciences médicales ; et dans 80% pour les étudiants du diplôme de formation approfondie.
Il existe certes, ici ou là en France, des examens encadrés pour 100% des jeunes étudiants et pratiqués, de plus en plus, par simulation.
Des mesures vont être prises (mission d’inspection, envois d’instructions, incitation à l’apprentissage par simulation). Si tout va bien chaque CHU français sera, d’ici 2017, équipé d’un «centre de simulation en santé». Rien n’est prévu pour apprendre à éclairer l’obtention d’un consentement du patient. Sans consentement le corps humain peut-il être un terrain d’entraînement ?