Editorial du dernier Bulletin du mouvement des aînés vaudois,1 radio, presse écrite,2 et bientôt conférence (le 15 décembre 2015 à 18 h 00 au CHUV) : l’âgisme, soit la discrimination ou la stigmatisation fondée sur l’âge, est encore une question d’actualité.
Le discours ambiant concernant les personnes âgées reste en effet stigmatisant, en particulier en période d’annonces de hausse des primes d’assurance-maladie. Bon an, mal an, le fameux «vieillissement de la population» figure en tête des arguments avancés pour expliquer l’évolution à la hausse des coûts de santé. Pourtant, les résultats de nombreuses études macro- et micro-économiques suggèrent que l’effet du vieillissement «per se» sur l’évolution des coûts de santé est relativement faible (environ 10 à 20% seulement de cette évolution) et environ 4 (oui, quatre !) fois moins important que l’effet des changements de notre pratique médicale.3,4 Mais c’est évidemment moins contraignant d’incriminer le vieillissement, un phénomène sur lequel nous n’avons pas vraiment de prise.
«… plusieurs études ont démontré que le dépistage est tout aussi efficace et aussi rentable en termes coût-bénéfice jusqu’à 75 ans…»
Si nous n’avons pas ou peu de prise sur l’évolution de la structure d’âge de notre population, nous avons par contre les moyens d’influencer l’évolution de l’état de santé et fonctionnel futur de la population âgée. Cela passe en particulier par un investissement plus important dans la prévention et la promotion de la santé auprès des aînés, un secteur où la Suisse peut faire mieux. Un exemple ? Depuis 2013, l’assurance-maladie rembourse le dépistage du cancer du côlon et, bientôt, le canton de Vaud emboîtera le pas en lançant son programme de dépistage. On peut certainement s’en féliciter, mais l’enthousiasme devient plus réservé lorsque l’on s’aperçoit que, dans les deux cas, l’initiative ne concerne plus les personnes au-delà de… 69 ans. Pourtant, plusieurs études ont démontré que le dépistage est tout aussi efficace et (au moins !) aussi rentable en termes coût-bénéfice jusqu’à 75 ans, en particulier lorsque ces personnes n’ont pas encore bénéficié d’un dépistage jusque-là.5–7 En Suisse, l’incidence du cancer colorectal culmine dans les deux sexes vers 75-80 ans8 et il est fort probable que l’âge médian au moment du diagnostic est proche des 68 ans observé aux Etats-Unis.5
Alors comment interpréter ce critère d’âge limitatif ? «Agisme !» comme s’est exclamée une collègue avec laquelle nous préparions récemment un colloque de formation sur le thème de la prévention chez la personne âgée ? Peut-être. Mais je comprends plutôt cette frilosité comme l’expression d’une crainte d’un surdépistage chez des personnes âgées, polymorbides, qui n’en tireraient aucun bénéfice. Pourtant l’espérance de vie médiane résiduelle d’une Suissesse et d’un Suisse de 75 ans atteignait respectivement 14 et 11,9 ans en 2014, des chiffres bien supérieurs au seuil de dix ans d’espérance de vie avancé pour justifier un dépistage du cancer colorectal.9 Il n’y a donc pas vraiment de rationnel scientifique qui justifie de stopper le dépistage à 69 ans plutôt qu’à 75, comme proposé d’ailleurs dans les recommandations d’autres pays.5 Et diable ! A l’heure où le monde médical se gargarise volontiers de médecine «personnalisée», ne devrions-nous pas justement être capables de décider, chez celles et ceux qui seraient plus fragiles, en fonction non seulement de leurs comorbidités et de leurs antécédents de dépistage, mais aussi de leurs préférences ?
«… Alors comment interpréter ce critère d’âge limitatif ? «Agisme !» … »