La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) a été estimée comme la troisième cause de mortalité dans le monde en 2010, ceci après la cardiopathie ischémique et l’accident vasculaire cérébral.1 2,9 millions de personnes sont décédées dans le monde en 2010 de cette atteinte respiratoire chronique. Le diabète se trouve dans cette classification à la neuvième place et la cardiopathie hypertensive à la quatorzième. Bien que le nombre de décès liés à la BPCO ait globalement diminué à l’échelle mondiale depuis les années 1990, sa prévalence reste surtout remarquable dans les pays développés et après l’âge de 50 ans. Les décès liés au diabète et à la cardiopathie ischémique et hypertensive ont, quant à eux, clairement augmenté en nombre global.
Il existe de plus en plus d’indices que la BPCO soit une pathologie plus complexe qu’une pure atteinte des voies aériennes et du poumon. Les données de la littérature récente convergent pour faire appel à une approche plus systémique de cette maladie, comprenant les comorbidités cardiovasculaires qui y sont très souvent associées, comme cela a aussi été mis en avant par les dernières recommandations de la Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD).2
En effet, quel clinicien n’est pas confronté régulièrement à un patient BPCO souffrant simultanément d’hypertension artérielle, diabète et surpoids ?
Dans une étude canadienne portant sur une population de plus de 7 millions d’habitants de l’Ontario, une prévalence de 12,6% de BPCO diagnostiquées par un médecin a été constatée.3 Un tiers des patients avec maladie cardiovasculaire souffrait également d’une BPCO. Les patients atteints de BPCO utilisaient un cinquième des services de santé pour diabétiques et représentaient 40% des hospitalisations pour motif cardiovasculaire. Ces résultats soulignent la nécessité de se consacrer en tant que professionnel de la santé aux importantes comorbidités cardiovasculaires de ces patients obstructifs chroniques. Ils illustrent aussi l’impact socio-économique majeur des personnes souffrant d’une BPCO sur le système de santé d’un pays.
Les théories discutées pour expliquer ces associations relèvent de trois concepts : la propagation de l’inflammation pulmonaire vers la circulation systémique ; l’hypothèse de prédispositions génétiques communes entre BPCO et autres maladies et l’exposition à des facteurs environnants communs dont notamment le tabagisme.4 En effet, il a pu être démontré que les sujets atteints de BPCO souffrent plus fréquemment de diabète, d’hypertension artérielle systémique ou d’une maladie cardiovasculaire et que cette association implique un risque plus élevé d’hospitalisation et de mortalité par rapport aux sujets avec une atteinte respiratoire similaire mais sans ces comorbidités (tableaux 1 et 2).5,6
Parmi les sujets avec une BPCO de stade GOLD 3 ou 4, 14,5% souffrent d’un diabète sucré.5 Le diabète de type 2 est associé avec une fonction pulmonaire diminuée, et ce déficit peut être mesuré déjà des années avant le diagnostic du diabète.7 En effet, dans une étude prospective, une baisse du volume expiré maximal par seconde (VEMS) et de la capacité vitale forcée (CVF) était associée à une plus haute incidence de diabète.8 A noter toutefois que ce n’était pas le cas du rapport de Tiffeneau (VEMS/CVF) – il s’agissait donc d’un trouble ventilatoire restrictif et non obstructif qui prédisait un risque plus élevé de développer un diabète.
Les mécanismes postulés pour expliquer l’association entre la diminution respiratoire fonctionnelle et l’incidence de diabète incluent une accumulation de collagène dans le tissu pulmonaire, après glycosylation,9 une diminution de la force musculaire chez les sujets diabétiques, et la possible implication de certaines hormones, leptine et résistine, connues pour leur rôle dans l’intolérance au glucose et la résistance à l’insuline.10 Un état d’inflammation chronique associée à la maladie pulmonaire pourrait également jouer un rôle. En effet, il a été démontré que les patients BPCO non hypoxémiques non diabétiques présentent plus souvent une résistance à l’insuline que des sujets sains et que ceci est associé à une augmentation de certains marqueurs d’inflammation systémique (IL-6, TNF-α, CRP).11
L’hypertension artérielle (HTA) est la comorbidité la plus fréquente associée à une BPCO. En effet, selon les études, jusqu’à 50% des patients BPCO souffrent d’une HTA.5,6,12 L’augmentation du taux de mortalité chez ces patients, par rapport à ceux sans HTA, reste à l’heure actuelle un sujet débattu.
A la recherche d’un lien entre BPCO et le risque cardiovasculaire augmenté qui lui est associé, il a été démontré que les sujets atteints de BPCO avaient une rigidité plus élevée des parois artérielles ainsi que des valeurs plus importantes de pression artérielle systolique et diastolique par rapport aux sujets contrôles, et ceci après ajustement pour l’âge et pour la consommation de tabac.13 La dysfonction endothéliale sous-jacente pourrait être en relation avec un état inflammatoire systémique puisque les valeurs mesurées de CRP se trouvaient trois fois plus élevées chez les patients BPCO.
Les patients avec une BPCO sont plus à risque de développer une angine de poitrine ou un infarctus du myocarde.14 En effet, la mortalité cardiovasculaire des patients avec BPCO est deux fois plus importante que celle des patients sans BPCO.15 Il reste à élucider si cette association repose sur le tabagisme, qui est très souvent un facteur de risque commun, ou s’il y a un lien de causalité direct entre BPCO et maladies cardiovasculaires. Une hypothèse consiste à attribuer l’accélération de l’artériosclérose coronaire à un état d’inflammation à bas bruit comme esquissé un peu plus haut.13,16 Ce qui est sûr, c’est que les patients avec une BPCO ont un profil de risque cardiovasculaire défavorable17 et sont souvent sous-diagnostiqués en cas d’infarctus du myocarde18 comme d’insuffisance cardiaque.19
La BPCO est associée traditionnellement à un déficit pondéral, voire une cachexie, surtout en cas d’emphysème. Il est vrai que l’indice de masse corporelle (IMC) est un facteur pronostique indépendant dans la BPCO, raison pour laquelle il a été proposé comme un des paramètres définissant la sévérité de l’atteinte de cette maladie,20 sa diminution étant liée à une mortalité accrue.21
Cependant, un grand nombre de patients BPCO présente au contraire une obésité, souvent lorsque le tableau clinique est marqué par une bronchite chronique.22 Cette observation pourrait être liée à une certaine sédentarité, elle-même favorisée par les symptômes respiratoires et en particulier la dyspnée à l’effort. Contrairement à l’association entre obésité et asthme, celle entre obésité et BPCO a beaucoup moins été étudiée jusqu’à présent. Il est probable que le surpoids modifie la présentation clinique de BPCO en se répercutant sur la perception de la dyspnée ainsi que sur la capacité d’effort, mais des études futures seront nécessaires pour mieux comprendre ces interactions.23
L’hypothèse suggérée par certains résultats qu’un surpoids diminue la mortalité chez les patients avec une BPCO doit donc être interprétée avec beaucoup de précaution.24,25 En effet, c’est plutôt l’index de la masse sans graisse (fat free mass index, FFMI) dont une valeur basse, signifiant une perte de masse musculaire, est indicatrice d’effets délétères, et ceci même si l’IMC total, lui, reste normal. Le mécanisme menant à cette perte musculaire n’a pas encore été tout à fait compris mais une association avec des taux élevés d’inflammation systémique est supposée. Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu’une augmentation des taux d’IL-6 et TNFα a été observée chez les sujets tabagiques et obèses.26
C’est une question ouverte de savoir si les comorbidités décrites plus haut sont liées par un mécanisme pathogénique aux anomalies pulmonaires qui caractérisent la BPCO ou si elles coexistent simplement avec le trouble respiratoire, apparaissant progressivement avec l’âge. Comme la plupart de ces comorbidités sont associées à une inflammation systémique chronique à bas bruit, une hypothèse consiste à identifier cette dernière comme un élément-clé reliant BPCO et comorbidités.27 Cette théorie découle aussi de l’observation que le tableau clinique et le degré du trouble ventilatoire obstructif ne corrèlent pas toujours et que, par conséquent, la compréhension de la BPCO doit prendre en compte d’autres facteurs, comme l’imagerie, la tolérance à l’effort et l’IMC,20 mais aussi s’orienter vers une approche globale de l’individu atteint de BPCO, au-delà du seul organe pulmonaire.
A la recherche de biomarqueurs et paramètres génétiques pouvant prédire la progression de la BPCO, l’étude ECLIPSE s’est avérée une pierre angulaire dans cette nouvelle approche.28 Dans cette population étudiée, les patients avec une BPCO et une comorbidité cardiovasculaire présentaient une augmentation des taux de divers marqueurs inflammatoires (IL-6, IL-8, fibrinogène pour les sujets atteints de trouble cardiaque et pour ceux avec une HTA) par rapport à ceux avec une BPCO sans ces comorbidités.29
Le marqueur le plus robuste investigué jusqu’à présent est le fibrinogène, une protéine plasmatique de la phase aiguë. Elle a été associée aux symptômes, à la capacité d’effort, au taux d’exacerbation, à l’index de BODE et à la mortalité chez les patients BPCO.30,31 Un lien plus faible a été observé avec d’autres protéines comme CC16 (Clara cell secretory protein-16), SP-D (surfactant protein-D) et CCL18 (PARC, pulmonary and activation-regulated chemokine). Il est cependant intéressant de noter qu’environ 30% des patients avec une BPCO ne présentent pas de signes d’inflammation systémique alors que chez 16% on trouve, au contraire, une augmentation persistante de marqueurs inflammatoires, et que ce dernier groupe est caractérisé par une mortalité six fois plus élevée.32 Une autre observation remarquable est le fait que l’association des marqueurs inflammatoires est différente chez les fumeurs avec fonction pulmonaire normale par rapport aux fumeurs avec BPCO. Plus précisément, le premier groupe semble caractérisé par une augmentation de leucocytes, IL-8 et TNFα, alors que le second présente une augmentation encore plus importante de leucocytes ainsi qu’une élévation des taux de CRP, IL-6 et fibrinogène (figure 1). Ces panels de marqueurs inflammatoires ont été dérivés en partie du complexe moléculaire appelé «inflammasome».
Des analyses génétiques, notamment issues d’ECLIPSE, suggèrent une prédisposition pour le début, le maintien et l’arrêt de tabagisme.33 Plusieurs régions de gènes ont par ailleurs été associées à la BPCO et son développement chez les fumeurs mais ces résultats restent à confirmer et leur signification clinique à comprendre.34
Selon une étude dans la population britannique, publiée en 2010, les non-fumeurs constituent 12,3% des sujets avec une BPCO et possèdent un risque particulièrement accru de développer une maladie cardiovasculaire à un âge relativement jeune (35-44 ans).35 Par ailleurs, l’association entre diabète et accident vasculaire cérébral d’une part et BPCO d’autre part est forte chez les jeunes fumeurs, mais rejoint la prévalence des sujets BPCO non fumeurs à un âge plus avancé. Ces observations renforcent l’hypothèse que le seul facteur de risque du tabagisme ne suffit pas pour expliquer l’association entre BPCO et comorbidités cardiovasculaires. Elles pointent plutôt à nouveau vers plusieurs facettes d’un état inflammatoire sous-jacent qui interagit avec la consommation de tabac de manière complexe à différents moments du vieillissement.27
L’étude suisse SAPALDIA (Swiss Cohort Study on Air Pollution and Lung Diseases in Adults) a mis en évidence que la pollution atmosphérique, définie par l’exposition aux particules inférieures à 10 μm (PM10), est associée à une dégradation des fonctions pulmonaires.36 Par la suite, parallèlement à l’amélioration de la qualité de l’air en Suisse durant les dernières années, une diminution du déclin du VEMS comme du débit maximum à mi-expiration (DEM25-75) a été observée.37 D’autre part, il a été démontré qu’une exposition de courte durée à des PM10 est associée à une augmentation des taux circulants d’IL-1β, IL-6 et TNFα.38 Cette observation est intéressante si l’on considère que l’inflammation induite par des particules fines a été proposée comme l’un des mécanismes importants menant à une augmentation du risque cardiovasculaire comme de la mortalité cardiovasculaire.39
L’ensemble de ces données semble diriger vers un rôle de la pollution dans l’inflammation systémique chronique, similaire à celui attribué aux facteurs de risque cardiovasculaires classiques, se répercutant non seulement sur le risque cardiovasculaire mais aussi sur la fonction pulmonaire.
L’étude CoLaus a recruté, à partir de 2003, une cohorte de plus de 6000 participants afin d’évaluer la prévalence comme les déterminants moléculaires des facteurs de risque cardiovasculaires dans la population générale de Lausanne, âgée de 35 à 75 ans.40 Sur la base de ces données et parmi beaucoup d’autres variables, les taux de divers biomarqueurs d’inflammation (IL-1β, IL-6, TNFα, CRP) ont pu être mesurés38 et des analyses génétiques réalisées pour ce collectif.41
Le projet PneumoLaus, débuté récemment, se propose d’investiguer la prévalence de troubles respiratoires dans cette même population générale lausannoise et d’en étudier l’association avec des facteurs de risque cardiovasculaires comme avec d’autres comorbidités pertinentes.
Le traitement médicamenteux actuel de la BPCO repose aujourd’hui encore largement sur sa présentation clinique. En diagnostiquant mieux les comorbidités fréquentes liées à cette maladie, souvent traitables, et interagissant avec elle, le devenir des patients pourrait être amélioré sur tous les plans. La notion nouvelle d’un syndrome inflammatoire systémique chronique, se répercutant sur l’ensemble de l’individu, pourrait contribuer à une meilleure prise en charge de ces patients souffrant pour la plupart d’entre eux de plusieurs maladies chroniques.
> Les patients atteints de BPCO souffrent plus souvent de diabète, d’hypertension artérielle et de maladies cardiovasculaires que les sujets avec une fonction respiratoire conservée
> Les comorbidités cardiovasculaires d’un patient avec BPCO se répercutent sur son pronostic et doivent être intégrées dans sa prise en charge globale
> L’exposition aux particules fines de la pollution atmosphérique a un effet défavorable sur la fonction pulmonaire, qui s’atténue avec l’amélioration de la qualité de l’air
> Plusieurs biomarqueurs d’inflammation systémique sont en train d’être étudiés comme facteurs de prédiction de la progression de la BPCO et pourraient s’avérer utiles pour la pratique clinique dans le futur