L’asthme et la BPCO sont deux maladies inflammatoires chroniques obstructives des voies aériennes. Elles sont considérées par beaucoup comme des pathologies distinctes tant du point de vue de leur physiopathologie que de leur traitement. Ces deux maladies peuvent être facilement différenciées en cas de présentation typique : il est aisé de poser un diagnostic d’asthme chez un jeune patient atopique présentant des crises de dyspnée aiguë, des sifflements respiratoires et une obstruction réversible aux fonctions pulmonaires, ou une BPCO chez un tabagique de 60 ans présentant une dyspnée lentement progressive et une toux chronique, en présence d’un syndrome obstructif non réversible. Il est par contre difficile de poser un diagnostic clair dans un nombre substantiel de cas qui présentent des traits des deux pathologies. Il a ainsi été démontré que les médecins de premier recours ne peuvent trancher entre asthme et BPCO dans près de 20% des cas.1 C’est dans cette situation qu’il faut évoquer la possibilité d’un syndrome de chevauchement entre asthme et BPCO.
Il s’agit d’une patiente de 48 ans tabagique à 22 UPA qui consulte pour une toux chronique. Elle aurait présenté au moins trois pneumonies et de nombreux épisodes de «bronchite» répondant bien à un traitement de corticoïdes systémiques et d’antibiotiques. Elle décrit également des épisodes de sifflements respiratoires (y compris nocturnes) et, rarement, des crises dyspnéiques pour lesquelles elle n’a pas consulté. Il n’y a pas de variation saisonnière des symptômes, ni au contact de ses chats. Elle n’a pas d’allergie connue et l’anamnèse familiale est négative pour les allergies et les maladies respiratoires. Le status est dans la norme. La spirométrie montre un syndrome obstructif de degré moyen (volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) 1,76 l, soit 63% du prédit) avec une réversibilité significative (VEMS après salbutamol 2,11 l, soit 75% du prédit). Un CT-scan thoracique montre un emphysème centro-lobulaire important, prédominant dans les lobes supérieurs. Compte tenu d’un emphysème étendu et d’un tabagisme modéré, un dosage de l’alpha1-antitrypsine est réalisé et se révèle dans la norme. Sur la base de la présentation clinique, un syndrome de chevauchement asthme-BPCO est suspecté, et un traitement de corticostéroïdes inhalés (CSI) associés à des bêta2-mimétiques est introduit. Deux mois plus tard, la patiente ne présente plus de toux, de dyspnée ni de sifflements respiratoires, et n’a pas présenté de nouvel épisode de «bronchite». Les fonctions pulmonaires sont améliorées (VEMS 2,34 l, soit 84% du prédit) mais l’obstruction persiste. L’évolution sous traitement renforce notre hypothèse diagnostique d’une forme de chevauchement entre une BPCO et un asthme à début tardif, probablement sans composante allergique. Il est proposé de poursuivre les CSI au long cours, en fonction du contrôle de l’asthme, et un plan d’action écrit lui est fourni.
Un lien entre l’asthme et la BPCO est suspecté de longue date. L’«hypothèse britannique» considère que le tabac engendre une hypersécrétion bronchique formant un terrain propice aux infections récurrentes, responsables par la suite de la limitation chronique du débit respiratoire.2 Au contraire, l’«hypothèse hollandaise» propose que l’hyperréactivité bronchique est un facteur prédisposant majeur au développement de maladies pulmonaires chroniques obstructives (asthme ou BPCO), les facteurs externes comme la fumée de tabac jouant un rôle secondaire. Des études épidémiologiques ont depuis confirmé un lien entre hyperréactivité bronchique et déclin du VEMS.3
En 1989, dans un plaidoyer pour une définition universelle de la BPCO, Snider introduit une représentation des différentes maladies pulmonaires sous forme d’un diagramme de Venn, pour illustrer les zones de chevauchement entre ces différentes maladies (figure 1).4 Par la suite, une tentative de quantifier ces différentes entités confirmera que les différents diagnostics peuvent cohabiter chez un même patient.5
Cette vision des maladies respiratoires chroniques sera quelque peu obscurcie par les grandes études cliniques sur l’asthme et la BPCO, qui excluent systématiquement les patients qui ne peuvent pas être clairement attribués à l’une ou l’autre maladie. Ceci contribue à forger l’image de deux maladies clairement séparées.
Depuis le début des années 2000, des voix s’élèvent cependant pour reconnaître le syndrome de chevauchement asthme-BPCO,6 et plusieurs sociétés de pneumologie incluent la «composante d’asthme» dans leurs recommandations sur la BPCO. En 2012, une première définition du «phénotype de chevauchement asthme-BPCO» est proposée par les pneumologues espagnols : chez un patient BPCO, le diagnostic est retenu en présence de deux critères majeurs (réponse aux bronchodilatateurs d’au moins 15% et 400 ml sur le VEMS, éosinophilie des expectorations, antécédent d’asthme) ou d’un critère majeur et un critère mineur (élévation des IgE totales, histoire d’atopie, réversibilité d’au moins 200 ml et 12% après bronchodilatateurs).7
Finalement, les comités GINA (Global Initiative for Asthma) et GOLD (Global initiative for Chronic Obstructive Lung Disease) se sont réunis en 2014 pour produire un document de consensus sur le sujet. Sans proposer de critères diagnostiques rigides, ils ont créé une liste de paramètres cliniques et paracliniques pouvant aider à distinguer asthme, BPCO et chevauchement des deux, qu’ils ont choisi d’appeler «Asthma-COPD Overlap Syndrome», ou ACOS.8
L’épidémiologie de l’ACOS est difficile à établir précisément en l’absence de critères diagnostiques consensuels. Les études épidémiologiques réalisées ont utilisé des critères diagnostiques imprécis pour le diagnostic de BPCO («emphysème», «bronchite chronique»), souvent sans confirmation spirométrique.5 Elles ont au moins le mérite de prouver que les diagnostics d’asthme, d’emphysème et de bronchite chronique peuvent coexister chez le même patient. Dans une étude de deux cohortes italiennes, un peu moins de 0,5% de la population générale pouvait être considéré comme souffrant d’un ACOS en présence d’un syndrome obstructif et d’un diagnostic combiné d’asthme, de bronchite chronique et/ou d’emphysème.9 Dans une autre étude uniquement basée sur des questionnaires, il a été estimé que la prévalence d’ACOS dans la population générale augmente avec l’âge, passant de 1,6% dans la tranche d’âge 20-44 ans à 4,5% dans la tranche d’âge 60-84 ans.10 En extrapolant ces chiffres à notre population, on peut estimer qu’il y a entre 10 000 et 40 000 patients souffrant d’ACOS en Suisse romande.
Une autre manière d’aborder le problème, plus parlante pour le clinicien, est de définir quelle proportion de patients souffrant de BPCO est en fait atteinte d’ACOS. Les études sur ce sujet rapportent une prévalence de 5 à 28,5% parmi les patients présentant un syndrome obstructif fixé, avec une prévalence possiblement plus élevée parmi les patients afro-américains.11–13
Ces chiffres suggèrent qu’environ un patient atteint de BPCO sur cinq présente une forme de chevauchement avec un asthme. Il s’agit donc d’une maladie fréquente que rencontrera tout médecin de premier recours.
Les mécanismes menant à la réduction de calibre des voies aériennes (remodelage) et au syndrome obstructif dans l’asthme et dans la BPCO sont différents sur certains points (figure 2).14 On retrouve une augmentation des sécrétions endoluminales dans les deux pathologies mais l’augmentation de la masse musculaire bronchique et la déposition d’une matrice collagène sous-épithéliale sont plus marquées dans l’asthme. Dans la BPCO, la baisse des forces de rappels élastiques due à l’emphysème rétrécit encore le calibre bronchique. Ces phénomènes touchent principalement les petites voies aériennes (< 2 mm) dans la BPCO, alors qu’ils touchent aussi les voies aériennes de plus grand calibre dans l’asthme.
Le type de réponse inflammatoire est également différent. Typiquement, les patients asthmatiques présentent un pattern Th2, des lymphocytes CD4+ et une inflammation des voies aériennes plutôt à éosinophiles qui répond bien à une corticothérapie. Au contraire, dans la BPCO, l’inflammation est caractérisée par un pattern Th1, des lymphocytes CD8+ et une inflammation neutrophilique avec une mauvaise réponse à la corticothérapie. Il faut cependant rappeler que ces dernières années, l’asthme a été scindé en plusieurs phénotypes parmi lesquels on trouve un asthme dit «neutrophilique», souvent d’apparition tardive,15,16
Considérant ces mécanismes distincts d’inflammation et d’obstruction bronchique entre l’asthme et la BPCO, il est logique de penser que plusieurs de ces facteurs puissent s’additionner en cas d’ACOS, même si l’on manque pour l’instant d’études pour prouver ce concept.
La seule étude longitudinale à disposition, avec des critères diagnostiques assez robustes, a malheureusement inclus des patients jeunes (de 20 à 45 ans), population dans laquelle on s’attend à trouver peu de BPCO et donc d’ACOS.17 Malgré cette limitation, les patients souffrant d’ACOS avaient des fonctions pulmonaires moins bonnes, plus de symptômes respiratoires, des scores de dyspnée plus hauts, et avaient un risque d’hospitalisation plus élevé que les patients souffrant d’asthme ou de BPCO. Ils avaient également une exposition au tabac plus faible, et plus souvent un profil «atopique» comparés aux patients atteints de BPCO.
Ces caractéristiques sont confirmées dans d’autres études,10,12,13,18,19 dans lesquelles on retrouve aussi des scores de qualité de vie abaissés chez les patients atteints d’ACOS. Les coûts de la santé sont 2 à 6 fois plus importants que pour les patients souffrant d’asthme ou de BPCO.11
Les définitions et critères diagnostiques des sociétés GINA et GOLD pour l’asthme, la BPCO et l’ACOS sont résumés dans le tableau 1. Pour l’ACOS, une définition est proposée mais des critères diagnostiques n’ont pas encore été définitivement fixés. La démarche diagnostique proposée par GINA/GOLD intègre des critères cliniques et dans une moindre mesure des examens complémentaires, en particulier la spirométrie.
L’anamnèse recherche l’âge de survenue des premiers symptômes respiratoires, leur variabilité dans le temps et avec la saison. On recherche un antécédent personnel ou familial d’asthme ou de BPCO, et d’éventuelles prescriptions de traitements inhalés. Il convient de quantifier la fumée de tabac et d’autres substances et de rechercher l’exposition à des polluants intérieurs tels que la fumée de bois, et d’éventuelles expositions nocives au travail. Une fois ces données recueillies, il est proposé de compter le nombre de caractéristiques en faveur d’un asthme et d’une BPCO. La figure 3 propose une manière d’établir une probabilité diagnostique basée sur l’anamnèse. Il s’agit d’une adaptation libre des recommandations GINA/GOLD par les auteurs et ne représente pas un réel score clinique validé.
La spirométrie est indispensable. Elle permet d’exclure une BPCO s’il n’y a pas de syndrome obstructif après bronchodilatateurs. Bien qu’une réversibilité significative après bronchodilatateurs (augmentation du VEMS d’au moins 200 ml et 12%) soit nécessaire au diagnostic d’asthme, celle-ci se retrouve communément chez les patients atteints de BPCO, sans qu’il s’agisse d’un phénotype stable dans le temps.20–22 Pour cette raison, le diagnostic d’un syndrome de chevauchement asthme-BPCO ne peut en aucun cas se baser sur une réversibilité significative aux fonctions pulmonaires seule, mais doit intégrer les éléments cliniques. La figure 4 résume comment les résultats de la spirométrie influencent la probabilité diagnostique clinique.
Les tests de provocation bronchique (test au mannitol, à la métacholine, etc.) sont utiles pour mettre en évidence une hyperréactivité bronchique chez un patient suspect d’asthme avec fonctions pulmonaires normales. Par contre, ils ne permettent pas, en cas de syndrome obstructif, de différencier un patient asthmatique d’un patient atteint de BPCO.23 Ils n’ont donc probablement pas d’utilité pour un diagnostic d’ACOS.
D’autres examens ne sont pas demandés d’office, mais sont parfois disponibles pour d’autres raisons ou demandés par le pneumologue. La mesure du NO exhalé est un examen non invasif, facile et reproductible, reflétant l’inflammation bronchique éosinophile. Un niveau élevé de NO exhalé chez un non-fumeur suggère une inflammation éosinophile et donc un asthme. La radiographie du thorax peut être d’une certaine utilité si elle montre des signes clairs d’hyperinflation, mais elle manque de sensibilité et de précision. Il n’est pas indiqué de pratiquer un scanner thoracique pour le diagnostic différentiel entre asthme et BPCO, mais cet examen est parfois effectué pour d’autres raisons. Chez un patient connu pour un asthme depuis l’enfance qui présente une obstruction «fixée», la présence d’un emphysème étendu est un argument en faveur d’un ACOS.
Aucune étude n’est encore disponible pour guider le traitement des patients atteints d’ACOS. Par analogie à l’asthme, où la prescription de CSI permet de diminuer les exacerbations, la morbidité et la mortalité, il est proposé de prescrire d’emblée un CSI aux patients symptomatiques, quel que soit le degré de sévérité d’obstruction à la spirométrie, en général en association avec un bronchodilatateur à longue durée d’action. Un traitement de bêta2-mimétiques à longue durée d’action sans corticostéroïde a été associé à une surmortalité chez les patients asthmatiques et ne devrait pas être prescrit. Cela contraste avec la BPCO, où le bénéfice des CSI est moindre, et où ils ne sont indiqués que lors d’obstruction sévère, associée à des exacerbations fréquentes.
En dehors du traitement inhalé, les patients atteints d’ACOS devraient également recevoir une recommandation et si besoin de l’aide pour le sevrage tabagique. Une activité physique régulière est recommandée, de même que les vaccins contre la grippe saisonnière et le pneumocoque. Dans les cas plus que légèrement symptomatiques, une réhabilitation à l’effort devrait être envisagée.
Un autre intérêt d’identifier un phénotype d’asthme est de rechercher une cause allergique pouvant provoquer des exacerbations, ceci menant potentiellement à des possibilités d’éviction.
La reconnaissance de l’existence du syndrome de chevauchement asthme-BPCO par les sociétés GOLD et GINA est un pas en avant dans la caractérisation phénotypique et la recherche clinique sur ce syndrome.24,25 Il paraît très probable que ce «syndrome», à l’instar de l’asthme et de la BPCO, sera séparé en plusieurs phénotypes dans le futur.
Les questions qui restent pour l’instant sans réponse sont nombreuses. En particulier, la possibilité de titrer les CSI à la dose minimale, comme dans l’asthme, l’utilisation des outils tels que le «score ACT» pour juger du contrôle de l’asthme, et la place d’un plan d’action écrit dans la gestion des traitements devraient constituer des sujets de recherche prioritaires.
Nous remercions le Pr John David Aubert, professeur associé du Service de pneumologie du CHUV pour sa relecture et ses conseils.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> Bien que l’asthme et la BPCO soient des maladies distinctes, il est assez fréquent de rencontrer des patients qui présentent des caractéristiques des deux maladies, ne permettant pas de poser un diagnostic clair
> Une spirométrie montrant une réversibilité significative aux bronchodilatateurs est une trouvaille très fréquente lors de BPCO, ne permettant pas à elle seule d’affirmer une composante asthmatique, et ne justifie pas la prescription d’un corticostéroïde inhalé
> Pour le diagnostic d’ACOS, il est proposé de se baser en grande partie sur les caractéristiques cliniques
> Chez les patients souffrant d’ACOS, bien que les traitements soient encore mal codifiés, il est probable qu’un bénéfice plus important puisse être attendu des CSI comparé à la BPCO, et leur introduction précoce se justifie