Les pathologies pulmonaires non infectieuses après transplantation de cellules souches sont un ensemble de complications pouvant survenir précocement ou tardivement après la transplantation. Avec une présentation parfois peu spécifique et la possibilité qu’il s’agisse toujours d’une complication infectieuse, leur diagnostic n’est pas toujours aisé. Leur traitement, reposant notamment sur les corticostéroïdes, n’est pas toujours couronné de succès et la mortalité reste importante. Cet article passe en revue les tableaux cliniques, radiologiques, fonctionnels ainsi que les options thérapeutiques pour les complications non infectieuses les plus fréquentes, en portant un accent tout particulier sur la bronchiolite oblitérante
Après une transplantation de cellules souches hématopoïétiques, les complications pulmonaires les plus classiquement redoutées sont les infections (bactériennes, virales ou fongiques) favorisées par la neutropénie et l’immunosuppression. Le patient greffé médullaire peut cependant aussi présenter des pathologies pulmonaires non infectieuses (PPNI), précoces ou tardives (survenant avant ou après le 100e jour postgreffe), telles que le syndrome de prise de greffe, l’hémorragie alvéolaire, la pneumonie organisée, le syndrome de pneumonie idiopathique, la bronchiolite oblitérante ou enfin, le syndrome lymphoprolifératif post-transplantation (tableau 1). Le diagnostic de ces entités n’est pas toujours aisé, en raison d’une présentation clinique et radiologique parfois peu spécifique. Avant tout diagnostic, le clinicien doit impérativement écarter un processus infectieux. Ces complications sont à l’origine d’une morbi-mortalité importante.
Avant une transplantation de cellules souches hématopoïétiques, les patients reçoivent au préalable un conditionnement myélo-ablatif ou non myélo-ablatif, selon leur âge et leur état général. Les traitements atténués limitent la durée et l’intensité de la neutropénie et un effet graft-versus-leukemia/lymphoma permet d’éradiquer les cellules tumorales résiduelles au moment de la greffe.1 Ces traitements moins intensifs semblent diminuer le taux d’infections, mais leur bénéfice sur les complications pulmonaires non infectieuses est controversé.
La prévalence des PPNI varie entre 5 et 30% selon les séries. De nombreux facteurs de risque des PPNI ont été évoqués tels qu’une maladie à haut risque, le type de conditionnement, l’irradiation corporelle totale ou les infections virales.2 Les facteurs prédisposants sur lesquels la majorité des auteurs s’accordent sont la présence d’une maladie greffe-contre-hôte (GVHD) chronique touchant un autre organe et un don de moelle venant d’un donneur non apparenté. Le pronostic des patients est d’habitude réservé, avec une mortalité de 30-50% à un an et de 60-70% à cinq ans, habituellement liée à une insuffisance respiratoire.3 En revanche, grâce à l’effet graft-versus-leukemia/lymphoma associé à la GVHD, les patients avec PPNI tardive (bronchiolite oblitérante, pneumonie idiopathique) ont un taux de rechute de la maladie moins élevé que les sujets sans GVHD et atteinte pulmonaire.4
Il s’agit de la complication non infectieuse la plus fréquente, retrouvée chez 2 à 3% des patients après transplantation de cellules souches. La bronchiolite oblitérante (BO) est à la base une entité histologique, synonyme de bronchiolite constrictive, se traduisant par une fibrose péribronchiolaire avec prolifération fibroblastique. Cette atteinte histologique conduit à un rétrécissement, voire une obstruction de la lumière des bronchioles respiratoires et correspond fonctionnellement à un syndrome obstructif. Chez les patients transplantés pulmonaires, la BO représente un rejet chronique de l’organe transplanté alors qu’il s’agit vraisemblablement d’une forme de GVHD chez le transplanté médullaire.5 Malgré ces différences dans la physiopathologie, la présentation clinique, histologique et radiologique est globalement identique, de même que la prise en charge.6
La dyspnée accompagnée d’une toux sèche est classique, mais jusqu’à 20% des patients peuvent être asymptomatiques. L’auscultation pulmonaire met en évidence des sibilances.7 La BO survient dès le quatrième mois postgreffe et peut être diagnostiquée jusqu’à dix ans après la greffe, avec une médiane à un an.2 Les critères diagnostiques ont récemment été mis à jour par le National Health Institute : 1) un rapport VEMS/CVF < 0,7 ou au 5e percentile (volume expiratoire maximal par seconde/capacité vitale forcée) ; 2) un VEMS < 75% du prédit avec un déclin de > 10% en deux ans ; 3) l’exclusion d’une infection et 4) la présence d’un piégeage (air-trapping) ou de bronchiectasies au scanner thoracique, ou d’un piégeage statique aux fonctions pulmonaires, défini comme une élévation anormale du rapport volume résiduel/capacité pulmonaire totale (tableau 2).8
Le suivi spirométrique du greffé médullaire n’est pas défini par des recommandations officielles, mais les centres universitaires s’accordent sur un contrôle systématique des fonctions pulmonaires à 3, 6, 9, 12, 18 et 24 mois, puis de façon annuelle afin de dépister des patients avant même que les symptômes ne se déclarent.
La présence d’une GVHD concomitante est définitivement reconnue comme un facteur favorisant le développement d’une BO, comme décrit dans une cohorte de 63 patients avec une BO. Ainsi, on dénombre 5,5% de BO parmi les 1145 patients greffés, proportion qui croît à 14% au sein du groupe de patients avec une GVHD. Un mismatch des sexes entre donneur et receveur, un conditionnement par busulfan, la prévention de la GVHD par méthotrexate ne sont pas unanimement reconnus comme facteurs de risque.9 Un travail récent retient comme facteur de mauvais pronostic la survenue de la BO dans la première année postgreffe (et tout particulièrement dans les six mois), un terrain de GVHD aiguë ou chronique et le fait d’être traité par prednisone, biais évident sachant que les patients les plus gravement atteints sont les patients traités les plus agressivement.10 Dans les différentes revues de la littérature et séries, on conclut à une survie à cinq ans entre 10 et 50% chez les patients avec une BO.
Alors que la radiographie du thorax est normale, la présentation radiologique la plus classique au scanner thoracique consiste dans la présence d’un piégeage, le plus souvent déjà visible sur les coupes en inspirium et s’accentuant d’autant plus sur les coupes en expirium. Le parenchyme pulmonaire prend un aspect en «mosaïque», les zones hypodenses correspondant aux zones de piégeage aérique (figure 1). Les bronchiectasies et les épaississements de parois bronchiques sont deux autres images fréquemment retrouvées (figure 2).11
Les traitements de la BO sont nombreux et le niveau de preuves de leur efficacité est plutôt faible (tableau 3) du fait que les études randomisées contrôlées (RCT) sont encore peu nombreuses.12 Par défaut, la prise en charge des greffés médullaires se fait le plus souvent par analogie aux transplantés pulmonaires pour lesquels la littérature est plus abondante.
Les corticostéroïdes systémiques, habituellement administrés à 1 mg/kg/jour avec des doses dégressives par la suite, restent la «pierre angulaire» du traitement, malgré l’absence de preuve solide.13,14 Il n’existe pas de consensus quant à la durée de la thérapie, les recommandations parues dans l’European Respiratory Journal en 2014 déconseillant de prescrire un traitement prolongé à haute dose (> 30 mg/jour).15 Les effets indésirables sont non négligeables.
L’intensification du traitement immunosuppresseur est en général la deuxième étape du traitement. A ce titre, on dispose de quelques études chez les transplantés pulmonaires, où le tacrolimus ou l’évérolimus paraissent plus efficaces que l’azathioprine et le sirolimus mais aucune étude s’est concentrée sur la BO du greffé médullaire. Les experts recommandent d’être critique face à l’augmentation de l’immunosuppression, en raison des effets secondaires potentiellement graves (infections opportunistes) et de son effet souvent modeste sur l’évolution de la BO.12
L’azithromycine a une action modulatrice sur la production de cytokines, un effet sur le chimiotactisme des neutrophiles ainsi qu’un effet prokinétique, diminuant le reflux gastro-œsophagien, incriminé dans la pathogenèse de la BO. Ce traitement a fait ses preuves dans d’autres pathologies respiratoires chroniques. C’est pourquoi, beaucoup d’espoirs ont été placés sur ce traitement dans la BO. Vos et Gottlieb ont conduit des études rétrospectives et observationnelles respectivement, où 30 à 40% des patients montraient un gain sur le VEMS sous azithromycine, mais avec un taux de rechute significatif.16,17 Une étude pilote non randomisée chez le greffé médullaire s’est révélée concluante, suivie d’un essai randomisé de 22 patients finalement négatif.18,19 En 2015, Corris et coll. finalisent un RCT chez le transplanté pulmonaire et objectivent un gain de 280 ml sur le VEMS dans le groupe des seize «completers» sous azithromycine, après un suivi de douze semaines.20
La photophorèse extracorporelle est un nouveau traitement lors duquel les globules blancs prélevés du sang du patient sont irradiés par des UVA en présence d’un agent photosensibilisant avant d’être réinfusés. Elle est utilisée dans le traitement des GVHD, en particulier la forme cutanée. Son avantage est l’absence d’effet immunosuppresseur mais ce traitement nécessite un accès veineux et présente un coût important. Une étude rétrospective de Lucid et coll. sur neuf patients souffrant d’une BO a conclu à une réponse clinique et fonctionnelle chez 67% d’entre eux après une année.21 Une étude prospective par le groupe de Greinix et coll. est en cours avec des résultats très encourageants qui pourraient conduire prochainement au recours systématique à la photophorèse en cas de BO.
Les corticostéroïdes inhalés, associés à des bêta-agonistes à longue durée d’action, ont permis une stabilisation du VEMS dans de petites séries rétrospectives.22,23 Le premier RCT mené par Bergeron et coll. sur 32 patients avec une BO, traités par formotérol et budésonide à haute dose (1600 μg/j), a observé une amélioration significative de 260 ml sur le VEMS dans le groupe traité.24 La sélection des patients par des critères d’inclusion très stricts (répondeurs au salbutamol, VEMS supérieur à 40%) est une faiblesse pour la généralisation de ces résultats. Toutefois, ce traitement comporte peu d’effets indésirables et est presque systématiquement prescrit dans le cadre d’une BO.
L’utilisation du montélukast, antagoniste des récepteurs des leucotriènes, se justifie par son action inhibitrice sur la bronchoconstriction et sur l’action chimiotactique des leucotriènes sur les éosinophiles, participant à l’inflammation dans la BO. Sa toxicité est faible. Or et coll. ont étudié son effet sur dix-neuf patients greffés médullaires présentant une GVHD, parmi lesquels cinq avaient une BO. Trois de ces cinq patients (60%) ont montré une amélioration du VEMS sous traitement.25 En combinaison avec la fluticasone et le montélukast, la dose cumulée de prednisone a pu être diminuée de 7163 à 1819 mg (p = 0,002) dans un collectif de huit patients, sans chute du VEMS.26 D’autres études de phase II sont en cours.
Enfin, la transplantation pulmonaire est considérée comme l’«ultima ratio» en cas de BO réfractaire. Une revue de la littérature récente a montré une survie comparable aux transplantés pulmonaires pour d’autres pathologies, avec une médiane de survie de 36 mois après la transplantation pulmonaire (range 1-168 mois, 79% de patients en vie à 36 mois).27
Le syndrome de prise de greffe peut survenir déjà dans les 24 heures précédant l’apparition de neutrophiles, et à tout moment par la suite. Il est considéré comme étant le reflet du relargage de cytokines par les cellules, de lésions endothéliales liées aux traitements de chimio et radiothérapie et d’une augmentation de la perméabilité capillaire. Il touche entre 5 et 20% des greffés. Les critères de Maiolino consistent en une fièvre non infectieuse associée à un rash couvrant > 25% de la surface corporelle, à des infiltrats pulmonaires ou à des diarrhées. Des infiltrats en verre dépoli et un épaississement des septa sont caractéristiques au scanner thoracique. La réponse aux corticostéroïdes est généralement favorable mais la mortalité est de 20-25%, particulièrement en cas de GVHD aiguë précoce.28
L’hémorragie alvéolaire diffuse est une complication pulmonaire précoce, survenant juste après la prise de greffe, avec une incidence de 5%, chez les patients allogreffés. Sa physiopathologie repose sur les lésions endothéliales liées au conditionnement, à la tempête cytokinique et aux variations hémodynamiques.29 Elle est retrouvée chez 10% des patients greffés médullaires autopsiés. Les patients sont dyspnéiques, hypoxémiques et ne signalent des hémoptysies que rarement. Le diagnostic se base sur le scanner thoracique d’une part, montrant des infiltrats en verre dépoli, de disposition centrale, prédominant dans les lobes inférieurs (figure 3) et sur le lavage bronchiolo-alvéolaire.30 Le traitement consiste en une corticothérapie précoce à haute dose. La mortalité est importante, pouvant aller jusqu’à 80%, étant moindre en cas d’hémorragie alvéolaire précoce (avant J30) et d’autogreffe de moelle.31
Ce syndrome se définit comme une atteinte alvéolaire diffuse sans étiologie infectieuse, cardiaque ou hémorragique. Il débute typiquement entre le 20e et le 60e jour postgreffe et est souvent précédé par une GVHD aiguë. Son incidence, entre 3 et 17%, semble diminuée depuis l’utilisation de conditionnements non myélo-ablatifs. Il se traduit fonctionnellement par un syndrome restrictif, radiologiquement par des infiltrats interstitiels diffus et histologiquement par une image de dommage alvéolaire diffus.32,33 Le traitement repose sur les corticostéroïdes, mais sans preuve solide.
La pneumonie organisée est en général une complication tardive, diagnostiquée autour du 100e jour postgreffe. Une série rétrospective de 9550 patients greffés médullaires a montré une incidence d’environ 2%.34 On peut trouver un syndrome restrictif aux fonctions pulmonaires mais pas de façon systématique et le scanner thoracique met en évidence des consolidations péribronchovasculaires ou sous-pleurales, mais également des infiltrats en verre dépoli (figure 4). A l’histopathologie, le diagnostic définitif se base sur la présence de bourgeons de tissu conjonctif dans les alvéoles et bronchioles respiratoires (corps de Masson), caractéristiques d’une pneumonie organisée. En pratique, le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques et radiologiques. Le traitement consiste en corticostéroïdes à raison de 0,75 à 1 mg/kg/jour, après avoir exclu une infection par une bronchoscopie avec lavage broncho-alvéolaire.1,2
Les complications pulmonaires non infectieuses du greffé médullaire sont des pathologies graves, avec une morbi-mortalité très importante. De par leurs présentations clinique et radiologique souvent peu spécifiques, elles peuvent être sous-diagnostiquées. Dans la démarche diagnostique, un processus infectieux doit être systématiquement recherché.
Les facteurs de risque de ces complications pulmonaires ont été débattus, avec la certitude qu’une GVHD concomitante est un facteur prédisposant et que la survenue d’une complication dans l’année suivant la greffe est de mauvais pronostic. Le traitement repose encore sur les corticostéroïdes systémiques et l’augmentation du traitement immunosuppresseur sans qu’il y ait de preuve solide. Les stéroïdes inhalés, associés aux bronchodilatateurs, l’azithromycine, le montélukast et la photophorèse se compliquent de moins d’effets secondaires et certaines études de bonne qualité montrent des résultats prometteurs. Des essais randomisés contrôlés à plus grande échelle sont encore nécessaires.
> Les pathologies pulmonaires non infectieuses peuvent survenir précocement ou tardivement après transplantation de cellules souches hématopoïétiques
> Avant de poser un diagnostic, un processus infectieux doit impérativement être écarté
> La présence d’une GVHD (maladie greffe-contre-hôte) touchant n’importe quel organe est un facteur de risque, en particulier pour la bronchiolite oblitérante, la pneumonie organisée et la pneumonie idiopathique
> La bronchiolite oblitérante doit être évoquée devant tout syndrome obstructif nouveau. Le scanner thoracique doit être réalisé avec des coupes en inspirium et en expirium à la recherche d’un piégeage
> Le traitement de la bronchiolite oblitérante repose pour l’instant sur les corticostéroïdes et l’intensification de l’immunosuppression mais des traitements alternatifs montrent des résultats encourageants et plusieurs études sont en cours
Non-infectious pulmonary complications following hematopoietic stem cell transplantation are entities occuring early or late, depending on whether they occur before or after 100 days post-transplantation. They have firstly to be differentiated from infectious complications, which is not always easy, as their clinical and radiological aspects can mimic a viral or bacterial pneumonia. Corticosteroids are the most given treatment but a significant subset of patients have a fatal outcome. This article will review the clinical, radiological, functionnal features and the therapeutic options of six entities (engraftment syndrome, diffuse alveolar hemorrage, idiopathic pneumonia syndrome, organizing pneumonia, bronchiolitis obliterans, post-transplantation lympho-proliferative disease).