Les pneumopathies interstitielles diffuses (PID) se caractérisent par une infiltration du parenchyme pulmonaire avec un certain degré d’inflammation et de fibrose. On les classe selon leur étiologie : les PID idiopathiques, médicamenteuses, environnementales et en lien avec les maladies de système, en particulier avec les connectivites ou collagénoses (tableau 1). Nous aborderons dans cet article les PID liées aux quatre connectivites les plus fréquentes, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie, la dermatomyosite/polymyosite et le lupus érythémateux systémique (LES).
Les patients souffrant de PID se présentent le plus souvent avec une toux sèche et une dyspnée à l’effort. L’examen clinique est fréquemment caractérisé par des râles fins aux bases pulmonaires. Au début de l’affection, on note une hypoxémie à l’effort qui pourra évoluer en hypoxémie permanente avec l’aggravation de la maladie. Les épreuves fonctionnelles respiratoires mettent en évidence un syndrome restrictif ainsi qu’un trouble de la diffusion du CO, témoignant d’une atteinte du parenchyme pulmonaire.
Les PID liées aux connectivites, tout comme les PID idiopathiques, peuvent être classées en différents types (ou «pattern») histopathologiques auxquels correspondent des aspects radiologiques, caractéristiques sur le CT-thoracique à haute résolution. On distingue ainsi :
la pneumopathie interstitielle commune (UIP : usual interstitial pneumonia), illustrée par la figure 1 ;
la pneumopathie interstitielle non spécifique (NSIP), illustrée par la figure 2 ;
la pneumopathie organisée (OP) ;
la pneumopathie interstitielle lymphocytaire (LIP) et
la pneumopathie interstitielle aiguë (AIP) dont l’histopathologie correspond au dommage alvéolaire diffus (DAD).
Il faut noter que ces différents types histopathologiques se retrouvent dans tous les types de connectivite, mais c’est le type NSIP qui est le plus fréquemment retrouvé. Une analyse rigoureuse du CT-thoracique, qui devrait toujours avoir lieu dans le cadre d’une discussion pluridisciplinaire, permet de prédire avec une plus ou moins bonne précision le type histopathologique du cas étudié. On ne procède en principe pas à une biopsie dans les cas de PID associées aux connectivites car, d’une part, plusieurs types histopathologiques peuvent être présents simultanément chez le même patient1 et, d’autre part, le traitement de la pneumopathie sera autant conditionné par le type de connectivite que par celui de PID.2
La polyarthrite rhumatoïde (PR) est la plus fréquente des maladies inflammatoires rhumatismales chroniques, avec une prévalence de 1% dans la population générale. On retrouve une atteinte bronchopulmonaire dans 50% des cas : c’est l’atteinte extra-articulaire la plus fréquente et ses manifestations sont listées dans le tableau 2.
L’atteinte parenchymateuse est très fréquente lorsqu’on utilise des méthodes fines de détection. Toutefois, une PID cliniquement significative ne se retrouve que chez 10 à 14% des patients pendant les deux premières années d’évolution de la maladie, selon une revue récente.3 La PID survient parfois avant l’atteinte articulaire.4 Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés, notamment l’âge, le sexe masculin, la durée et la sévérité de la PR, ainsi que certains facteurs génétiques.4,5 Le tabagisme joue peut-être un rôle favorisant, particulièrement dans les types UIP, mais ce point est controversé.
La présence d’une PID cliniquement significative augmente la morbidité et la mortalité des patients atteints de PR avec une survie médiane de trois ans comparée à dix ans en l’absence de PID.6 Le type UIP (figure 1) est retrouvé un peu moins souvent que le type NSIP, mais il est plus fréquemment retrouvé dans la PR que dans les trois autres connectivites. La corrélation entre le diagnostic radiologique par CT-scan et l’histopathologie est relativement bonne avec une sensibilité de 81% et une spécificité de 85%.5,7 Le pronostic du type UIP dans la PR est le même que celui de la fibrose pulmonaire idiopathique et clairement moins bon que le type NSIP (survie médiane de 3,2 ans versus 6,6 ans). Le sexe féminin et une valeur élevée de DLCO (diffusing capacity of the lung for carbon monoxide) au moment du diagnostic atténuent quelque peu ce mauvais pronostic.8
Pour le suivi, une anamnèse et un examen clinique dirigés, associés à un cliché du thorax, sont recommandés sur une base annuelle pour la détection d’une atteinte pulmonaire.5 En cas de suspicion clinique, des fonctions pulmonaires avec diffusion du CO et un CT thoracique devraient être réalisés sans retard.
Le traitement repose sur des recommandations d’experts, car il n’existe pas d’essai randomisé contrôlé pour le traitement de la pneumopathie interstitielle dans la PR. Il convient tout d’abord de s’assurer qu’il s’agit d’une PID cliniquement significative, c’est-à-dire symptomatique ou associée à une atteinte fonctionnelle mesurable. En première ligne, on utilise un corticostéroïde par voie systémique (en général prednisone per os 1 mg/kg/jour), associé à des traitements d’épargne stéroïdienne comme l’azathioprine ou le mycophénolate mofétil qui permettent de réduire progressivement la dose d’entretien de prednisone à 0,2 mg/kg/jour environ. Plus récemment, les traitements biologiques utilisés dans le traitement de la PR (anti-TNF-alpha comme l’infliximab, antirécepteur de l’IL-6 comme le tocilizumab, antilymphocyte B comme le rituximab) ont été également appliqués en deuxième intention au traitement des PID associées à la PR. Comme ces médicaments peuvent eux-mêmes causer des pneumopathies interstitielles médicamenteuses, leur utilisation dans cette indication ne devrait se faire que par des centres experts.
Les PID de type UIP posent un problème thérapeutique en raison de leur mauvais pronostic. Dès lors se pose la question d’utiliser, par analogie, les nouveaux traitements de la fibrose idiopathique comme la pirfénidone (Esbriet) ou le nintedanib (Ofev). Il faut relever cependant qu’il n’existe aucune étude contrôlée sur l’utilisation de l’un ou l’autre de ces médicaments dans les PID associées à la PR. De plus, même si l’aspect radiologique et le pronostic sont semblables, l’histopathologie n’est pas absolument la même : l’UIP associée à la PR est caractérisée par des infiltrats inflammatoires pulmonaires de type lymphocytaire, caractéristiques de la maladie rhumatismale.9 Dès lors, les deux maladies ne peuvent être considérées comme identiques.
Les deux atteintes pulmonaires les plus fréquentes de la sclérodermie sont l’hypertension artérielle pulmonaire (qui survient typiquement dans la forme limitée et liée aux anticorps anticentromères, en particulier le syndrome CREST) et les PID (typiquement dans la forme diffuse et liée aux anticorps anti-topoisomérases/anti-Scl 70). Toutefois, les PID sont également décrites dans les formes limitées et peuvent même survenir dans les sclérodermies sans atteinte cutanée (scleroderma sine scleroderma). La prévalence des PID dans la sclérodermie est élevée, allant jusqu’à 100% à l’autopsie, 55-85% au CT thoracique et 40-75% avec atteinte cliniquement significative.10 Divers facteurs de risque ont été rapportés, tels que le score cutané, l’insuffisance rénale, l’hypothyroïdie, l’atteinte cardiaque, des facteurs génétiques (HLA DR3/DRw52a), le reflux gastro-œsophagien et l’ethnie afro-américaine. Le type NSIP est le plus souvent retrouvé (> 70% des cas), mais n’est pas exclusif (UIP, OP). Un quart des PID seront diagnostiquées dans les trois ans suivant le diagnostic de sclérodermie10 et l’absence d’atteinte parenchymateuse au moment du diagnostic est un facteur de meilleur pronostic.11 Toutefois, 60% de la mortalité dans la sclérodermie est attribuée à l’atteinte pulmonaire, qu’il s’agisse d’une PID ou d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP).
Chez les patients atteints de sclérodermie, il est recommandé de rechercher, lors du bilan initial, une atteinte pulmonaire par un examen des fonctions pulmonaires, un CT-thoracique, une échocardiographie et un dosage du NT-proBNP.12 Si ce bilan initial est normal, et en l’absence de symptômes respiratoires, nous recommandons la répétition de ces examens sur une base annuelle. L’apparition d’une anomalie doit diriger les investigations vers une PID ou une atteinte vasculaire pulmonaire.
Il existe aujourd’hui un algorithme pronostique pour les PID de la sclérodermie en fonction du degré d’atteinte radiologique au CT-scan et de l’atteinte fonctionnelle (mesure de la capacité vitale forcée – CVF). La maladie pulmonaire est alors qualifiée de limitée ou étendue et cette distinction est associée à la survie des patients (figure 3).13
La sclérodermie est la seule connectivite pour laquelle des essais randomisés contrôlés ont été menés en ce qui concerne les PID, portant sur l’utilisation du cyclophosphamide. Son effet s’est montré favorable, quoique modeste.14 Comme la toxicité du médicament ne permet pas son usage pour une durée très prolongée, le relais est généralement pris par de l’azathioprine. Les autres alternatives comprennent le mycophénolate mofétil et les traitements biologiques (imatinib, rituximab, basiliximab). La prednisone est généralement associée au traitement, mais seulement à faible dose (0,2 mg/kg/jour) en raison de la crainte de provoquer une crise rénale sclérodermique avec les corticostéroïdes. Une nouvelle étude randomisée comparant le cyclophosphamide au mycophénolate est actuellement en cours (Scleroderma Lung Study II).
La dermatomyosite (DM) et la polymyosite (PM) sont deux myopathies inflammatoires très proches, caractérisées par les critères diagnostiques exposés dans le tableau 3.15 La DM, et beaucoup plus rarement la PM, peut être l’expression d’un syndrome paranéoplasique. Il existe des formes particulières, telles que la dermatomyosite amyopathique et le syndrome des antisynthétases. La prévalence des PID dans la DM/PM est de l’ordre de 35 à 40%, mais peut atteindre 70 à 90% dans le syndrome des antisynthétases. La prévalence est également plus élevée dans la DM amyopathique. Elle est par contre moins élevée en cas de néoplasie associée à la DM. Les PID peuvent survenir assez fréquemment avant les autres manifestations de DM/PM, particulièrement dans le syndrome des antisynthétases.15
Le syndrome des antisynthétases se caractérise, en plus de la sérologie, par la présence d’au moins l’un des critères suivants : myosite, pneumopathie interstitielle, arthrite, fièvre, phénomène de Raynaud et atteinte trophique des doigts, décrite comme des «mains de mécanicien». La pneumopathie interstitielle est presque toujours de type NSIP (figure 2). Il existe plusieurs types d’auto-anticorps antisynthétases : les plus fréquemment retrouvés sont l’anti-Jo1, qui représente à lui seul 80% des anticorps antisynthétases, l’anti-PL7 et l’anti-PL12.15 A noter que le dosage doit être demandé spécifiquement au laboratoire, puisqu’il peut être positif alors que les anticorps antinucléaires (FAN) sont négatifs.
La fréquence et la gravité potentielle de l’atteinte pulmonaire imposent un examen des fonctions pulmonaires et une imagerie thoracique lors de tout bilan initial d’une DM/PM, répété annuellement en l’absence de symptômes respiratoires, plus fréquemment dans le cas contraire. En raison de l’atteinte musculaire, une mesure de la force des muscles inspiratoires (sniff inspiratory pressure – SNIP et mouth inspiratory pressure – MIP) doit être incluse dans les examens fonctionnels respiratoires.16 Enfin, il faut noter que la DM/PM est souvent associée à des troubles de la déglutition qui peuvent entraîner un diagnostic différentiel de pneumonies d’aspiration.
Comme pour les autres connectivites, le type NSIP est le plus souvent retrouvé, mais des formes mixtes NSIP/OP sont fréquentes. L’évolution est le plus souvent lente et progressive, mais elle peut également être fulminante, notamment dans le syndrome antisynthétases et dans la DM amyopathique.17
Le traitement des pneumopathies interstitielles dans la DM/PM est lui aussi basé sur des avis d’experts.17 On utilise généralement des corticostéroïdes en première ligne, complétés par l’azathioprine, le mycophénolate mofétil ou le cyclophosphamide. Plusieurs séries de cas font état d’un effet particulièrement favorable des inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus, ciclosporine) dans le syndrome des antisynthétases ou la DM amyopathique. Il existe également des traitements de sauvetage, tels que le rituximab.
Le poumon peut être atteint de différentes manières dans le LES. Les PID sont plus rares que dans les autres connectivites. Si le type NSIP est le plus souvent retrouvé, il existe également des formes aiguës et graves sous forme d’hémorragie alvéolaire diffuse ou de pneumopathie lupique aiguë, associées à un dommage alvéolaire diffus dont le pronostic est sévère.18 Les pneumopathies d’origine infectieuse représentent un diagnostic différentiel fréquent.
Une atteinte très particulière est représentée par le shrinking lung syndrome19 qui se caractérise par une dyspnée, des douleurs pleurales facultatives, une surélévation des diaphragmes, une diminution progressive des volumes pulmonaires et l’absence d’atteinte parenchymateuse ou pleurale visible au CT thoracique. Une atteinte lors des tests de la force des muscles inspiratoires (MIP/SNIP) est souvent présente, mais le mécanisme physiopathologique n’est pas élucidé et apparaît plus complexe qu’une simple myopathie du diaphragme Cette entité est rare, typiquement associée au LES, mais a été décrite exceptionnellement aussi dans la DM/PM. Le pronostic est généralement favorable, avec une amélioration spontanée dans une majorité des cas.19
Les PID représentent une part importante de la morbidité des connectivites. Leur reconnaissance précoce est essentielle pour le pronostic de ces patients. Comme le traitement repose avant tout sur des avis d’experts, leur prise en charge devrait être déterminée de manière optimale par des réunions de concertation multidisciplinaire où participent rhumatologues, radiologues, immunologues et pneumologues. Malgré le faible nombre d’essais randomisés contrôlés, l’arsenal thérapeutique est relativement large et doit être adapté de cas en cas.
> Les pneumopathies interstitielles diffuses (PID) sont fréquentes dans les connectivites et conditionnent de manière importante le pronostic vital des patients
> Le CT thoracique à haute résolution et l’exploration fonctionnelle respiratoire (fonctions pulmonaires) sont indispensables à leur évaluation
> La stratégie thérapeutique devrait idéalement, pour chaque cas, faire l’objet d’une réunion de consensus multidisciplinaire, car les recommandations de traitement relèvent le plus souvent d’avis d’experts, par manque d’essais randomisés contrôlés