Dix ans que la Revue Médicale Suisse a été lancée. Dix ans que deux revues ayant marqué la région, la Revue médicale de la Suisse romande et Médecine et Hygiène, ont décidé de réunir leurs forces et leurs esprits. Dix ans, c’est à la fois peu et beaucoup. Peu, au regard de l’âge des revues fusionnées, qui avaient accumulé les décennies dans la quiétude des années glorieuses. Et beaucoup si l’on considère les changements qui touchent désormais les médias et la médecine. Non seulement, en effet, les nouvelles technologies d’information, les réseaux sociaux et internet ont mis à mal le modèle de la presse, en médecine comme ailleurs. Mais la médecine elle-même se trouve embarquée dans une mutation où les données et l’information jouent un rôle central et dictent le tempo.
Entre vos mains, vous tenez la nouvelle maquette de la RMS. Pourquoi changer, direz-vous, pourquoi abandonner les couleurs pastel pour des habits plus sobres, originaux et simples ? Nous avons voulu que la forme accompagne un fond qui se renouvelle. Notre souhait est de rappeler que la Suisse romande est capable de produire une revue médicale qui accompagne et questionne la science. Nouveauté, donc, de la maquette d’une revue pour signifier la vitalité de son approche, faite de science pratique et de suivi des progrès, mais aussi de réflexions larges. Car, nous en sommes persuadés, un regard large reste crucial.
Jamais la dimension suisse des enjeux de santé n’a été aussi évidente. Mais en même temps, il nous semble nécessaire d’affirmer que la Suisse romande doit rester un lieu de production de savoir. Parmi les rôles d’une revue, il y a celui de donner une voix à un bassin culturel. La RMS publie la réflexion de deux grands centres universitaires, de multiples lieux de recherche biomédicale, d’hôpitaux et cliniques parmi les plus pointus du monde. Elle relaie les explorations scientifiques et pratiques de la médecine romande de premier recours, d’une extrême richesse. A tout cela, elle apporte un rayonnement international. Grâce à la qualité de ses auteurs, sa plateforme internet (www.revmed.ch) est davantage visitée en France qu’en Suisse. Elle est l’une des rares revues de médecine non spécialisée publiées en français et indexées dans Medline (plus de 14 000 citations dans Pubmed).
S’il faut insister sur l’identité de la RMS, c’est aussi parce que la production et la transmission de la connaissance médicale sont soumises à de nouvelles forces. D’immenses groupes d’intérêts ont une tendance croissante à vouloir les contrôler. Entreprises du big data, producteurs d’applications santé et de quantified self, systèmes de managed care, grandes organisations de soins, industries pharmaceutique et technologique, assureurs : face à cet ensemble roulant les mécaniques en Bourse, il revient aux journaux comme la RMS de fédérer les réflexions, de manifester une éthique de l’information, autrement dit de définir des règles, d’interroger les évidences, de dévoiler les discours et les attracteurs cachés. Même si, mis à mal par une forte baisse de la publicité, concurrencés par quantité de médias commerciaux et gratuits, la RMS et les autres journaux indépendants semblent parfois donner dans le combat donquichottesque.
Nous vivons en même temps un moment de rupture épistémologique. La fabrique du savoir bascule vers les bases de données et les interprétations algorithmiques. Mais les acteurs de ce nouveau monde ont la fâcheuse tendance de ne croire qu’en leurs chiffres et à ne pas voir que leurs interprétations reposent sur des a priori. La tâche des revues consiste à rappeler l’extrême complexité de l’humain, à ne pas abandonner les fragiles dimensions où se jouent sa liberté et sa singularité.
Mais les revues doivent aussi prendre acte que ce nouveau monde a renversé l’ancien et capter ses immenses possibilités. En Suisse, dans les prochaines années, il faudra organiser de nouvelles manières de faire de la formation continue. Pour la simple raison, déjà, que la manière actuelle n’est plus économiquement viable. Du côté de la RMS, nous avons des idées et des projets. Nous vous les présenterons au fur et à mesure de leur développement.
A Médecine et Hygiène, nous sommes par ailleurs convaincus que participer à l’information du grand public, travailler à son contenu et à sa forme, constitue l’une des tâches-clés des médecins. Cette information se situe dans un continuum avec l’ensemble du savoir médical. Mais surtout, sa transmission fait de plus en plus partie de la démarche soignante. En prescrivant des traitements toujours plus complexes, les médecins ne disposent pas du temps suffisant pour donner les explications et les multiples savoirs qui devraient l’accompagner. Devenus cothérapeutes, les patients ont d’immenses besoins en information. Sans compter que, d’une certaine manière, c’est toute la population qui se voit désormais en cothérapeute.
Pour investir ce domaine, en partenariat avec les sociétés cantonales de médecine de Suisse romande, nous avons lancé « Planète santé », une revue destinée au grand public et distribuée dans les cabinets médicaux. En 2012 s’est ajouté le site internet www.planetesante.ch, grand projet d’agrégation de contenu, de suivi journalistique de l’actualité et de création d’applications santé. A l’origine de ce site, un simple constat : lorsqu’ils ont une question en santé, les gens la tapent dans Google. Puis cliquent sur l’une des premières occurrences de la première page de résultats. Or la plupart de ces occurrences pointent vers de grands sites francophones d’information, au contenu orienté par des intérêts commerciaux. D’où la question : si les informations en santé des sites romands restent invisibles aux yeux de la population à laquelle elles s’adressent, pourquoi continuer leur production ? Exister sur internet exige d’être gros, très gros. Les acteurs de ce coin de pays n’ont pas d’autre alternative que d’organiser un vaste projet commun ou d’accepter leur marginalisation. Grâce à l’agrégation des contenus de toutes les institutions de santé indépendantes de Suisse romande, le site planetesante.ch réussit à se frayer un chemin vers la première page de Google. Regroupant des textes, images et vidéos de plus de 70 partenaires romands, visité par près de 20 000 personnes par jour, il n’est pas loin de gagner le pari.
Difficile, à la fin, de définir le projet qu’est la RMS sinon par ce mot : il est collectif. La revue repose sur une immense équipe qui, de semaine en semaine, lui apporte son contenu – donc son existence : les trois rédacteurs en chef adjoints, les plus de 170 membres du Conseil de rédaction et responsables de numéro, les 1500 auteurs annuels des articles, les collaborateurs de la rédaction, de la prépresse, du marketing et de l’administration. Elle repose également sur le précieux soutien de la Société médicale de la Suisse romande, des sociétés cantonales romandes de médecine et de la FMH. Et enfin, elle doit sa ligne à l’inspiration de Jennifer Freuler, qui signe la nouvelle maquette de la revue. Au nom de toute l’équipe de la RMS merci à vous, nos lecteurs, de nous accompagner dans cette aventure. Rien n’assure qu’elle aura la force de ses ambitions. Mais une chose est sûre : elle vaut la peine d’être menée.