Le cancer colorectal (CCR) touche annuellement 4000 personnes en Suisse et 1600 en décèdent. Dans le canton de Vaud, 375 personnes sont diagnostiquées avec un CCR chaque année et 130 en décèdent.1 Les bénéfices du dépistage systématique ont été démontrés dans des études randomisées contrôlées (baisse du taux de mortalité et d’incidence du CCR) et des programmes de dépistage existent dans nombre de pays.2,3 L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a inscrit en 2014 dans la liste de remboursement le dépistage du CCR par coloscopie tous les dix ans ou test de recherche de sang occulte dans les selles tous les deux ans, et ce pour les personnes âgées de 50 à 69 ans. Le canton de Vaud déploie actuellement un programme cantonal de dépistage organisé du CCR permettant à des personnes à risque moyen pour ce cancer de réaliser l’un de ces tests avec exemption de la franchise.
Ce programme comporte deux caractéristiques importantes : d’une part, le rôle central joué par le médecin de famille (MF), médecin interniste généraliste ou médecin de premier recours, dénommé dans ce programme médecin de famille et d’autre part, la place de l’information et du partage de la décision.
Le but principal du programme vaudois est de diminuer la mortalité liée au CCR. Ce programme se démarque des autres programmes de dépistage par une volonté d’optimiser l’information individuelle et l’autonomie de décision des personnes concernées envers une acceptation ou un refus de participation. L’un des objectifs du programme est en effet de s’assurer d’une décision informée des patients au sujet du dépistage du CCR avec leur MF. Il s’agit d’un changement de paradigme pour les programmes de dépistage : viser 100 % des personnes avec décision informée plutôt que 100 % de personnes dépistées.4 C’est aux MF que revient la tâche d’informer leurs patients sur les bénéfices et les modalités de dépistage dans le cadre d’un entretien individuel. Le programme prévoit à ce propos en premier niveau de participation un entretien de décision partagée autour du dépistage, d’une durée de 15 à 30 min, pris en charge hors franchise afin de permettre à chacun de décider avec son médecin, ceci sans barrière financière. Il reste possible à chaque nouvelle participation au programme vaudois de changer d’option de test de dépistage.
La décision informée au sujet du CCR a été étudiée dans plusieurs études randomisées contrôlées au sein de cabinets médicaux.5,6 Dans une étude réalisée en Californie, l’effet de trois situations sur l’acceptation du dépistage a été évalué : test FIT (recherche immunologique de sang dans les selles) uniquement (situation A), coloscopie uniquement (situation B) ou choix entre les deux modalités (situation C).5 Dans la situation A, 67 % des patients ont choisi le test FIT, dans la situation B, 38 % ont choisi la coloscopie. Dans la situation C, 38 % ont préféré la coloscopie et 31 % le test FIT. Ainsi, offrir un choix entre le FIT et la coloscopie ne mène pas à une diminution du choix de la coloscopie, il encourage même le taux de participation au dépistage.
Le programme prévoit l’envoi fractionné d’une invitation aux hommes et femmes du groupe d’âge concerné, leur proposant de rencontrer leur MF pour prendre une décision éclairée envers le dépistage du CCR. Trois modalités d’inclusion sont donc prévues (figure 1) : a) directement par le MF pour un patient de sa consultation ; b) suite à une demande de consultation de la part d’un patient et c) suite à une demande de consultation après avoir reçu une lettre d’invitation. En cas de choix du test de recherche de sang occulte dans les selles, les pharmaciens ont la responsabilité de transmettre le kit de test aux personnes incluses et d’en expliquer l’utilisation. En cas de choix de la coloscopie, les gastroentérologues ont la responsabilité d’en assurer la réalisation, puis de présenter les recommandations de suivi en cas de détection de lésion. Les pathologistes ont la responsabilité d’effectuer l’analyse des prélèvements tissulaires réalisés lors des coloscopies de dépistage et suite à un FIT positif. Le périmètre des prestations prises en charge hors franchise est le suivant :
consultation d’inclusion / exclusion du MF.
Test de recherche de saignement occulte : kit de test + analyse.
Coloscopie de dépistage et coloscopie sur FIT positif.
Analyses histologiques sur prélèvement pratiqué lors de la coloscopie de dépistage ou coloscopie sur FIT positif.
Transmission de rapport standardisé de complication tardive après coloscopie.
A noter : un médecin identifiant un patient éligible dans sa consultation peut lui proposer un dépistage du CCR, même si celui-ci n’a pas reçu de lettre d’invitation.
Les MF ont la responsabilité d’évaluer avec le patient les critères d’éligibilité et d’exclusion dans le programme (tableau 1), et ceci quelle que soit la porte d’entrée du patient dans le processus (suite à une lettre d’invitation ou spontanément, c’est-à-dire par son MF ou lui-même). Le critère principal d’éligibilité au programme est un âge compris entre 50 et 69 ans. Seules les personnes domiciliées dans le canton sont éligibles. En effet, le canton de Vaud a obtenu, ainsi que le canton d’Uri, une exemption de franchise octroyée par l’OFSP dans le cadre de la participation à un programme de dépistage. Les critères d’exclusion du programme cantonal vaudois comprennent les situations de risque élevé ou très élevé de CCR (tableau 1). Par ailleurs, étant donné la latence estimée à dix ans pour obtenir un éventuel bénéfice sur la santé d’un dépistage précoce d’un CCR, la participation d’une personne avec une maladie grave limitant son espérance de vie à moins de dix ans devrait être reconsidérée.
Les critères d’inclusion dans le programme vaudois de dépistage du CCR sont ainsi plus stricts que pour la prise en charge du dépistage par l’assurance de base, qui stipule simplement que les personnes doivent avoir entre 50 et 69 ans.7 Une personne résidant en Suisse, présentant un niveau de risque moyen, élevé ou très élevé de CCR, peut actuellement bénéficier d’une prise en charge par l’assurance-maladie d’une coloscopie de dépistage, cependant sans exonération de la franchise.
Les personnes de 50 à 69 ans, domiciliées dans le canton de Vaud, recevront une lettre d’invitation accompagnée d’une brochure d’explication sur le dépistage leur permettant de prendre connaissance du dépistage avant leur rencontre avec le MF. Ces envois se feront progressivement dès 2016, en commençant par les personnes les plus âgées de la tranche d’âge 50-69 ans.
La brochure « Cancer colorectal, j’en parle à mon médecin » (figure 2) donne des orientations générales concernant l’importance de prendre en compte le risque de CCR, l’existence de tests de dépistage et de leurs avantages et inconvénients. Elle encourage une discussion et ne cherche pas à convaincre de se faire dépister.
Comme pour les autres aides décisionnelles (AD) développées à la PMU, des données probantes pour la réalisation de la brochure ont été utilisées, notamment les critères de l’IPDAS (International Patient Decision Aids Standards).8,9 Le message et la mise en forme du texte suivent les critères recommandés par le « Clear communication index » développés par les Centers of Disease Control (CDC).10 Le texte a été travaillé et validé par le comité de pilotage du programme vaudois. Des représentants des sociétés de médecine de famille, d’oncologie, de gastroentérologie, de chirurgie, de santé publique et du canton sont membres de ce comité de pilotage, afin d’assurer l’équilibre de ses décisions. La version finale de la brochure a fait l’objet d’une évaluation par deux focus groupes d’hommes et de femmes issus de différents milieux socio-économiques et culturels.
Comme recommandé dans la littérature médicale, c’est la présentation en risques absolus qui a été privilégiée : sans dépistage, 2 personnes sur 100 décéderont de CCR avant 80 ans en Suisse. Avec un dépistage, 1 personne sur 100 décédera de CCR. La diminution du risque (absolu) est donc de 1 % et celle du risque relatif de 50 % ! La présentation en fréquences naturelles facilite la compréhension des risques et bénéfices des options, autant pour les médecins que pour les patients.11 Le choix des couleurs rouge et bleu permet la différenciation par des personnes avec daltonisme, tout comme la possibilité d’imprimer le document en noir et blanc. Par ailleurs, les personnes ne décédant pas du CCR sont en gris clair, permettant d’augmenter le contraste avec celles qui en décèdent, et ainsi d’en faciliter la compréhension par des personnes plus âgées.12,13 L’utilisation de personnages ressemblant à des icônes relativement standardisées dans la vie courante est associée à une meilleure compréhension que les représentations avec des visages souriants « smileys » ou faisant la moue !14
La qualité de vie n’est pas représentée dans le graphique afin de favoriser le message principal sur la diminution de la mortalité : la complexité de graphiques intégrant la qualité de vie pourrait en effet générer une diminution de la compréhension des messages.8 Par ailleurs, la qualité de vie varie grandement entre les personnes pour une même pathologie, ce qui nécessiterait de contraster l’intensité de la diminution de la qualité de vie. La mortalité permet une représentation dichotomique évidente.
La figure 4 présente les bénéfices et les risques selon la modalité de dépistage. Cette figure est disponible dans le document de résumé épidémiologique à destination des MF, sur le site de la PMU et prochainement sur celui de Swiss cancer screening.15 Le format de ce document est basé sur un travail de professionnels de santé québecquois, visant à faciliter l’accès à l’information pertinente aux praticiens.16 Ces chiffres ont été estimés par l’IUMSP, sur la base d’études effectuées en Europe ou en Amérique du Nord et des études de modélisation, puis validés par le comité de pilotage du programme.2,17–20
Pour 1000 personnes choisissant le test FIT, celui-ci sera positif pour 60 à 80 d’entre elles, nécessitant dès lors une coloscopie, alors que pour 1000 personnes choisissant la coloscopie, environ 300 d’entre eux auront une coloscopie anormale. Le test FIT permet ainsi de fortement réduire le recours à un examen invasif.17
Pour 1000 personnes réalisant un test FIT en première intention, 3 à 4 cancers, 23 à 25 adénomes avancés et 10 à 12 autres adénomes seront détectés à l’issue de 50 à 70 coloscopies d’investigation complémentaire. Pour 1000 personnes optant pour la coloscopie, 5 à 7 cancers seront directement identifiés, ainsi que 95 à 100 adénomes avancés et 200 à 240 autres adénomes.17
De manière synthétique, le dépistage permet une diminution du risque relatif de décès par CCR de 50 %. Il faut bien comprendre que ce chiffre est la synthèse des données pour le FIT (20-50 %) et celles pour la coloscopie (50-70 %) avec à chaque fois des fourchettes d’estimation relativement larges en raison des caractéristiques des programmes de dépistage, en particulier de la fréquence et de l’adhérence aux tests.18
Le test FIT n’est pas parfait : 20 à 40 personnes sur 1000 réalisant ce test auront un résultat faussement négatif (présence d’une lésion précancéreuse ou d’un cancer alors que le test est négatif). Une partie de ces lésions pourront cependant être détectées grâce à un dépistage régulier (tous les deux ans).4 La coloscopie n’est pas parfaite elle aussi : pour 5-10 personnes sur 1000 la réalisant à titre de dépistage, un CCR ou un adénome avancé ne sera pas identifié. On estime que 2-4 personnes sur 1000 réalisant une coloscopie de dépistage nécessiteront une hospitalisation en raison de complications telles qu’une hémorragie sévère, notamment suite à la résection d’un polype.19,21
La figure 5 présente les aspects pratiques de la réalisation du test FIT et de la coloscopie ainsi que leurs avantages et inconvénients. Ce tableau peut être utilisé durant la consultation. Une vidéo disponible sur le site internet de la PMU, et plus tard sur Swiss cancer screening, présente les différents outils de communication dans le contexte d’un entretien de décision partagée d’inclusion dans le programme de CCR au cabinet médical.15
Les frais de la coloscopie ou du test FIT, y compris la coloscopie de confirmation en cas de test FIT positif, sont pris en charge par l’assurance-maladie. La franchise étant prise en charge dans le cadre du programme vaudois de dépistage, il ne persiste à charge du participant que la quote-part de 10 %. Un forfait a été négocié entre les différentes parties impliquées dans le programme. La quote-part restant pour le test FIT est de CHF 4.60. Pour la coloscopie, celle-ci se situe entre CHF 80.- et 160.- en fonction de l’identification ou non de polypes. A cela s’ajoute la consultation médicale comprise entre 15 et 30 minutes, soit CHF 7.80 à 15.60. La présentation des conséquences financières d’un test est un domaine négligé des aides décisionnelles,22 malgré l’intérêt des participants à connaître les coûts à leur charge.23 Le tableau rappelle également le risque de complications sévères de la coloscopie avec recours à une hospitalisation, estimé à 2 / 1000. La présentation des risques de complication est associée à une augmentation de la confiance des participants dans les aides décisionnelles et leur médecin.24
La présentation sous forme de tableau est recommandée dans le cadre de décisions avec des avantages et inconvénients.8,25,26 Les tableaux permettent une augmentation de l’intérêt des participants à chercher des informations sur les conséquences des options et de parler avec leur médecin.25 Il faut cependant être attentif au fait que les tableaux sont non seulement informatifs, mais que leur présentation sous forme de comparaison entre deux options oriente la décision.8 Il est donc essentiel que les tableaux et les aides décisionnelles soient conçus par des personnes indépendantes de conflits d’intérêt. Finalement, les tableaux doivent être synthétiques. La parcimonie dans l’information améliore la qualité des choix dans le cadre de représentations graphiques.27
Les prochaines années permettront d’évaluer le déroulement du programme (taux de participation, choix des modalités de dépistage, etc.). Les disponibilités en gastroentérologues, en lien avec l’augmentation du nombre de coloscopies, sont l’une des thématiques clés pour la suite. Les impacts financiers et les capacités à réaliser la surveillance requise pour les personnes nécessitant des coloscopies de suivi (détection de lésion type adénome ou polype) seront également des éléments à investiguer. Des adaptations seront peut-être nécessaires. Une extension de l’accès au programme pour les personnes âgées de 70 à 74 ans pourrait être évoquée. Par ailleurs, le remboursement de la consultation d’inclusion par le MF, officiellement reconnue comme un acte de prévention facturable, est inédite en Suisse. L’impact sur d’autres mesures de prévention assurées par les MF sera certainement intéressant à évaluer.
Le programme cantonal vaudois de dépistage du CCR est conçu afin de permettre aux personnes âgées de 50 à 69 ans de prendre une décision informée au sujet de ce dépistage, ceci dans le cadre d’une consultation médicale chez leur MF. Les tests de dépistage tout comme la consultation chez le MF bénéficient non seulement d’un remboursement par l’assurance de base, mais également d’un remboursement de la franchise. Reste à charge les 10 % de quote-part pour les patients. Des outils de communication pour favoriser la décision partagée ont été développés et validés par un comité pluridisciplinaire en utilisant le plus possible les données probantes de la littérature. Des supports d’informations synthétiques sont disponibles pour les médecins et la population : aide à la décision sous forme de brochure grand public, fiches factuelles utilisables durant la consultation chez les MF. Les prochaines années permettront d’évaluer les performances du programme et les adaptations éventuelles nécessaires à son bon déroulement.
Remerciements : Le Comité de pilotage du programme vaudois de dépistage du cancer colorectal est composé des Prs J. Cornuz (président), N. Demartines, G. Dorta, F. Levi, F. Paccaud, et des Drs J.-L. Bulliard, C. Ducros, S. Jotterand, L. Perey, T. Larequi, C. Nichita, P. A. Rey, P.-Y. Rodondi, J. Thorens et P. Wiesel.
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le programme cantonal de dépistage du cancer colorectal vise à permettre aux résidants vaudois âgés de 50 à 69 ans de décider d’un dépistage et de la modalité de dépistage avec leur médecin de famille
▪ Les deux modalités de dépistage retenues sont la recherche immunologique de sang dans les selles (FIT) et la coloscopie
▪ Le programme prend en charge la franchise pour la consultation médicale d’inclusion et pour le dépistage, y compris la coloscopie d’investigation complémentaire en cas de test FIT positif
▪ Des outils de partage de décision visent à permettre aux médecins et aux personnes visées par le dépistage de prendre une décision partagée sur la base de données indépendantes