Au fond, la bonne ou la mauvaise réussite de la vie, surtout sexuelle, de chacun pourrait dépendre des parents qu’on a eus. Pas des parents réduits à des images qui se dresseraient fatalement derrière nous tous, puisqu’ils nous ont engendrés et n’ont pas pu ne pas influencer notre enfance. Mais des parents ayant eu eux-mêmes une vie sexuelle, tantôt davantage centrée justement sur une propension à créer une nouvelle vie, ce qui, si nous regardons bien, a un double caractère de toute-puissance extraordinaire et la fascination de se prolonger chacun dans le temps et par là de défier la mort ; ou alors tantôt davantage centrée sur la perspective de faire surgir dans le corps des sensations très plaisantes qui, elles, ne défient pas la mort, mais défient la douleur.
ils nous ont engendrés et n’ont pas pu ne pas influencer notre enfance.
Il est vrai que de nos jours, on peut se trouver conditionné par la nécessité d’une conception effectuée par procréation assistée, où le plaisir érotique passerait en deuxième ligne, ou au contraire de devoir restreindre l’activité sexuelle à la pure recherche d’une satisfaction connectée uniquement au plaisir érotique. Situation qui, à quelques points de vue près, pourrait apparaître comme boiteuse alors qu’en réalité il ne s’agirait que de mettre l’accent d’un côté ou de l’autre de cette bipolarité sexuelle, et cela d’une manière chaque fois davantage marquée. Cette bipolarité sexuelle serait en outre sous l’emprise aussi, bien que d’une fantasmagorique « guerre des sexes », d’une permanente confrontation entre ce qu’on nomme « Nature » et au contraire ce qu’on nomme « Culture ».
Toujours est-il que si l’on se trouve en face d’une personne – peu importe qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon – nous demandant de l’aide pour un trouble sexuel, explicite ou quelque peu caché derrière d’autres problèmes, oserions-nous lui poser des questions plus accrochées à l’imaginaire qu’à une forme ou une autre de réalité ? Par exemple lui demander si elle a une idée ou une présomption par rapport à la vie sexuelle de ses propres parents : qu’en était-il, selon elle, du partage ou du mélange d’un désir érotique prioritaire ou, à l’opposé, d’un désir reproducteur dominant à sa guise ?
Bien sûr, on peut se référer à des parents voisinant l’idéal, et ainsi fabriqués sur mesure, que de toute manière on n’a pas eus. Mais si l’on avait eu la chance d’en disposer, cela aurait vraisemblablement évité à la personne qui nous demande de l’aide de devoir subir ce genre de troubles qui, mine de rien, ne sont pas comparables à n’importe quel trouble, car ils peuvent sans nul doute gâcher toute une vie. Alors que si l’on avait eu des parents sur mesure, ou juste une bonne mesure, on aurait pu disposer de la chance de devenir à notre tour des enfants sur mesure, des enfants très « comme il faut ».
Tout cela peut évidemment s’engouffrer dans des réflexions à la fois éthiques et philosophiques, certes quelque peu excessives et velléitaires. On pourrait en déduire qu’en enchaînant les destinées de chacun, on aurait pu éviter même les guerres, la corruption et la tricherie. Un monde entièrement sur mesure, dont tout un chacun aurait malgré tout le droit de souhaiter l’existence.
Il n’empêche qu’on aurait pu finir victime d’une étrange nostalgie. La nostalgie de l’erreur, de la faute originelle. La nostalgie de pouvoir se sentir faible, ayant besoin autant de protection que de compréhension. Pouvoir, en tant que parents, transformer des enfants qui sembleraient mal partis dans la vie en des créatures capables de surprendre par leur générosité soudaine, par leur promptitude à sauver des personnes en danger, à pardonner des torts subis. D’envisager une vie sexuelle pas seulement liée à des sensations, mais aussi à des affects, pas seulement subie en tant qu’instinct, mais modelée sur des désirs personnels nuancés d’une fois à l’autre selon les moments et les circonstances. Et également de faire surgir la capacité par nous tous de mettre en relief – tant pis si cela concerne un passé déjà lointain – les vertus bien cachées de nos parents, et de relativiser leurs défauts.