Il s’agit d’un homme de 46 ans, cuisinier de formation et actuellement employé d’usine, sans antécédents familiaux ni personnels notables hormis une hypercholestérolémie traitée chez la mère. Il fumait 15 cigarettes par jour et a pris 20 kg en une année depuis qu’il a arrêté de fumer. L’histoire actuelle commence lorsqu’il consulte l’infirmière de son entreprise parce qu’il n’est pas bien et fatigué depuis un ou deux jours (J1). Il se sent comme « shooté », décrit des bouffées de chaleur et dit qu’il a très soif et urine toutes les 15 minutes. Il a perdu 8 kg en dix jours et ne se plaint ni de céphalées ni de troubles visuels. La glycémie capillaire est à 24 mmol / l et la TAH à 190 / 90 mmHg.
Le patient est adressé en urgence au cabinet de son médecin qui l’examine et ne constate rien de particulier au status, hormis une langue sèche. Le patient pèse 103 kg et mesure 170 cm (IMC 35,6 kg / m2), la TAH est à 180 / 88 mmHg, le pouls à 117 / minute, il n’y a pas d’œdème, de signe du pli cutané, d’odeur cétonique de l’haleine ni de trouble de la conscience. L’ECG est normal, mais la glycémie capillaire est à 25,2 mmol / l et les urines contiennent du glucose et des corps cétoniques en grandes quantités.
Le médecin administre 10 U d’insuline glargine (Lantus) SC au cabinet (17 h 00), recommande au patient de bien s’hydrater en buvant des bouillons salés en évitant le sucre et le convoque le lendemain pour un bilan plus complet.
Pendant la nuit, le patient dort peu, urine et boit toutes les heures. Le lendemain matin (J2), le poids est à 105 kg, la TAH à 150 / 80 mmHg, le pouls régulier à 80 / minute. Le sérum prélevé est lactescent ; les résultats de dosages biologiques sont résumés dans le tableau 1. Il reçoit 10 U SC de Lantus et 10 mg d’olmésartan (Olmetec) PO.
Le soir du même jour, le patient transpire et ne se sent pas bien. Il pèse 104,2 kg et la glycémie est toujours haute (tableau 1) ; la TAH est basse à 110 / 68 mmHg et le pouls régulier à 80 / minute. Le traitement d’olmésartan est interrompu et le patient reçoit un litre de NaCl à 0,9 % en perfusion au cabinet, ce qui permet de faire disparaître les symptômes. La TAH remonte à 146 / 84 mmHg et le poids à 105 kg. Le traitement d’insuline glargine est poursuivi sous supervision médicale à raison de 14-0-14 U (le patient est capable de contrôler ses glycémies après avoir reçu une instruction par une infirmière en diabétologie au cabinet médical).
Le matin du quatrième jour, le patient dit avoir passé la nuit sans se lever pour uriner. Il se plaint en revanche pour la première fois de céphalées et de troubles de la vision. Le poids est de 104,5 kg, la TAH à 150 / 80 mmHg et le pouls toujours régulier à 80 / minute.
Depuis lors et au cours du mois suivant, les glycémies se normalisent aprèsaddition d’un traitement combiné de sitagliptine et de metformine (Janumet 50 mg / 850 mg, 1 comprimé par jour) et les doses d’insuline glargine peuvent être réduites à 10 U le matin (tableau 2). Le poids et la TAH restent stables à respectivement 104 kg et 130 / 80 mmHg. Les céphalées persistent. Un traitement d’aspirine (100 mg / jour) et de rosuvastatine (Crestor 20 mg / jour) est instauré au cours de la deuxième semaine de prise en charge, auquel est ajouté le fénofibrate (Lipanthyl 200 mg / jour) deux semaines plus tard. Le patient part en vacances de ski la semaine suivante, l’insuline est arrêtée et remplacée par un traitement de gliclazide (Diamicron). Le patient téléphone tous les jours au médecin, les glycémies sont stables, il se sent bien, fait du ski mais se fatigue rapidement.
Selon les recommandations de l’ADA 2004,1 les critères d’hospitalisation sont un déséquilibre métabolique important avec risque vital, un diabète inaugural chez l’enfant ou l’adolescent, des comorbidités sévères, un diabète déséquilibré pendant la grossesse. A cela peut s’ajouter l’absence au cabinet des ressources pour un enseignement rapide des autocontrôles, des injections d’insuline, de la prévention et du traitement de l’hypoglycémie. Ce patient présente plusieurs critères qui justifieraient une hospitalisation de jour au moins : la tachycardie, la présence de corps cétoniques dans l’urine et l’acidose métabolique associée et l’hypertriglycéridémie sévère. Ces derniers éléments justifient une évaluation acido-basique (pH, trou anionique), de l’osmolalité, une hydratation et une insulinothérapie intraveineuse avec un suivi des électrolytes.
L’administration d’insuline doit être associée aux autocontrôles et à l’enseigne ment par rapport aux hypoglycémies. Le nombre d’injections dépendra de la durée de vie de l’insuline et du profil glycémique. L’insuline NPH (Huminsuline Basale ou Insulatard) et l’insuline détémir (Levemir) n’offrent généralement pas une couverture de 24 heures et nécessitent parfois deux injections contrairement à l’insuline glargine (Lantus) ou l’insuline dégludec (Tresiba), mais sont plus maniables pour ajuster le traitement selon les glycémies.
L’acidose est un reflet du déséquilibre métabolique. L’insulinothérapie est donc indiquée et les antidiabétiques oraux ne seront introduits qu’après correction métabolique et de l’acidose en prenant garde aux contre-indications médicamenteuses (insuffisance rénale, risque d’acidose lactique pour la metformine, antécédents ou risque de pancréatite pour les inhibiteurs de la dipeptidyl-peptidase IV (DPP-IV). En raison de l’hypertriglycéridémie sévère (> 20 mmol / l) et du risque de pancréatite, nous ne préconisons pas les inhibiteurs de la DPP-IV dans cette situation.
Le gliclazide (Diamicron) est efficace et a une action rapide mais avec un effet qui peut s’estomper avec le temps. Lorsque les glycémies se normalisent et qu’une origine auto-immune est écartée, un passage aux sulfonylurées est envisageable en association avec la metformine. Cependant, l’utilisation des sulfonylurées nécessite un contrôle de la glycémie avant la conduite d’un véhicule, mais ces recommandations sont en voie de révision et seront publiées prochainement sur le site de la Société suisse d’endocrinologie et diabétologie (www.sgedssed.ch/fr) Les nouvelles recommandations seront plus souples en présence d’un risque faible d’hypoglycémie comme avec les insulines lentes seules ou le gliclazide.
L’histoire familiale aide à définir l’origine du diabète. L’absence d’histoire familiale ou la présence d’une acidose peuvent faire suspecter un diabète de type 1 ou un LADA (Latent Autoimmune Diabetes of Adult). Nous recommandons dans ce cas de doser les AC anti-GAD, anti-IA2 et anti-îlots de Langerhans. L’hypertriglycéridémie sévère (>20 mmol / l) pourrait être une cause de pancréatite et de décompensation diabétique (voir ci-après).
L’hypertriglycéridémie sévère (> 20 mmol / l) avec pancréatite peut précipiter une acidocétose en raison de l’atteinte pancréatique et de l’augmentation des hormones de contre-régulation. Le traitement dans la phase aiguë repose sur l’insulinothérapie intraveineuse et une hydratation intensive, suivies d’un traitement de fibrates au long cours si nécessaire.2 A contrario, l’hypertriglycéridémie peut également être secondaire à la décompensation diabétique.3 L’insuline étant indispensable à l’action de la lipoprotéine lipase, une carence relative en insuline, telle qu’observée dans l’acidocétose, peut s’accompagner d’une hypertriglycéridémie. Cette dernière régresse rapidement et complètement avec une insulinothérapie adaptée.
Au vu de l’accumulation des facteurs de risque, ce patient présente un risque cardiovasculaire élevé. Le score de risque pourra être calculé une fois son diabète équilibré. L’introduction d’un IECA ou d’un sartan se justifie si la pression est >140 / 90 mmHg (ou >130 / 80 mmHg chez une personne jeune) ou en présence d’une microalbuminurie même si la pression artérielle est normale. Les bloqueurs du système rénine-angiotensine ne doivent pas être prescrits en prévention primaire en l’absence d’hypertension ou d’albuminurie.4
La reprise du travail est à envisager de manière individuelle lorsque le patient est autonome avec la gestion de l’insulinothérapie, les autocontrôles glycémiques et informé des mesures à prendre en cas d’hypoglycémie et lors de la conduite d’un véhicule.
Chez ce patient qui présente apparemment une hyperthyroïdie infraclinique, le dosage de la TSH devra être répété en l’ab sence de sérum lipémique et complété par un dosage des anticorps thyroïdiens et des AC antirécepteurs de la TSH. La présence d’une atteinte thyroïdienne auto-immune doit faire rechercher un diabète de type 1 ou un LADA.
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