« Bonjour Docteur, vous tombez bien ! Ah, vous vous êtes fait mal en tombant ? J’ai appelé la police, ils m’ont amené ici. Pourtant, je veux déposer plainte, je sais tout, ne faites pas semblant, vous savez aussi ! Dans les oiseaux, ils ont mis des caméras, ils nous surveillent, j’ai les preuves, ils sont contre nous. Qui, ils ? Mais vous savez très bien ! Attendez ! Mais ne m’interrompez pas, Docteur, vous voyez bien que je parle avec eux, laissez-moi finir de converser avec eux. Moi, je veux être reconnu comme homme libre et que tous, on se donne la main et que cela fasse le tour de la terre. Ai-je au moins le droit de vouloir faire du bien aux autres ? Et cela, ça me rend… (pleurs). Non, ne me coupez pas, j’ai des choses à dire. Regardez ! Ils recommencent, ils prennent ce que je pense, ils volent mes idées. Là, je vois que vous vous méfiez, mais vous êtes avec eux. Vous êtes tous ensemble en fait, laissez-moi ! »
Chers lecteurs, auriez-vous envie de m’arrêter pour dire que mon texte est incohérent, que je saute du coq à l’âne, que ce ne sont que délires et hallucinations ? Auriez-vous envie de me questionner pour mieux comprendre où je veux en venir ?
Je suis face à lui. Il est vêtu d’un maillot de sport, d’un short et de tongs. Il est agité, logorrhéique, ses pensées filent à tout allure. Ses larmes coulent, ses mots sont désordonnés. Je ne comprends pas grand-chose mis à part sa douleur. Ses paroles dont le sens est peu perceptible me font vivre sa peur intense et son sentiment d’être incompris. Si son discours me semble surréaliste, son désespoir me paraît bien réel. Les émotions qu’il me transmet sont en fait bien plus concrètes et compréhensibles que son histoire.
Ce patient présente un tableau clinique marquant. J’ai l’impression que je m’en souviendrai toujours. Tout est floride !
La situation me paraît surréaliste. Elle me semble directement sortie d’un livre de médecine. Je me revois à mes cours universitaires devant mon professeur qui nous parlaient de certains symptômes… Lors de ces cours justement, nous pensions que le professeur avait choisi un tableau typique pour marquer nos esprits, pour que nous nous souvenions. J’avoue que de me retrouver face à ce patient avec des symptômes tant marqués, c’est pour moi impressionnant et c’est aussi… affolant ! Comment entrer dans son monde ? Comment comprendre ? Comment le soigner ?
Je repense alors à l’un des textes de Raymond Devos se nommant « Supporter l’imaginaire » :
« La force de l’imaginaire ! On s’imagine que l’imaginaire, c’est léger… c’est futile ! alors que c’est primordial ! Seulement, il faut faire attention ! Lorsqu’on a la prétention, comme moi, d’entraîner les gens dans l’imaginaire, il faut pouvoir les ramener dans le réel, ensuite… et sans dommage ! »1
Plongée dans mes réflexions, le patient m’interrompt :
« Docteur, psy…chiatre, c’est ça ? Je parie que cela ne fait même pas un mois que vous travaillez là ! Et que vous êtes même apeurée par le discours d’un patient comme moi. Vous n’êtes pas tranquille, hein ? Vous vous demandez bien ce que vous allez faire de moi, vous ne savez pas comment m’aider ? »
Et comme c’est troublant aussi… Le patient tient des propos incohérents et pourtant, il a compris mon embarras. Ce moment de lucidité me trahirait-il ?
Je lui réponds : « Je suis inquiète pour vous, je vous sens très mal avec tout cela ». Et finalement, je m’aventure à parler avec lui des oiseauxcaméras…
Et vous, qui me lisez, qui me voyez m’en aller, qui me laissez voyager, je peux compter sur vous pour veiller à mon retour à la réalité ? Au besoin, je pourrai vous parler