La société actuelle, dans le monde occidental, offre un panoramique pas toujours bien discernable en ce qui concerne la différenciation entre une classe sociale et une autre. Le terme de classe moyenne, souvent utilisé, renforce encore davantage ce jeu des frontières entre les diverses classes. D’autant plus que le niveau éducatif global, comprenant aussi bien la scolarité primaire que la scolarité secondaire, ne montre pas une disparité particulièrement marquée à cet égard. Ce qui, en outre, implique une semblable philosophie de l’existence, qui dépendra éventuellement de l’âge des sujets considérés plus que d’une classe sociale exclusive.
Pour ce qui est du contexte strictement économique, ce sera davantage lié aux perspectives de gains professionnels plutôt que, de nouveau, à l’appartenance préalable à une classe sociale déterminée. Le tout, ensuite, pourra être davantage connecté au budget familial, par rapport aux dépenses envisagées qui peuvent comprendre, par exemple, les frais concernant l’éducation des enfants, les frais dits de représentation, les dépenses dues au logement, etc. Une valeur intrinsèque attribuée à l’argent en soi pourrait en définitive ne pas tellement entrer en ligne de compte, mais plutôt ce qu’en pratique l’argent peut permettre de réaliser ou d’envisager : les aspects relationnels et d’échanges communicatifs entre différents couples, en l’occurrence des couples ayant des buts socioculturels similaires, ou des couples en situation de voisinage ou de parenté. Dans ces échanges informatifs entre couples – et cela bien entendu selon le degré d’amitié et d’estime réciproque – peuvent apparaître, au moins de temps à autre, dans des confidences réciproques quant à la vie amoureuse en général et la vie sexuelle en particulier, par exemple, la fréquence des rapports. Des confidences de ce genre peuvent à la fois ne représenter que des moments d’un certain laisser-aller, nécessaire en soi pour échapper à des discours trop sérieux et contenus, mais sont censés aussi constituer de possibles influences émotionnelles susceptibles de modifier la vie sexuelle d’un couple donné. Non seulement la vie proprement intime d’un couple, mais également les rapports des deux membres avec leurs entourages respectifs, y compris l’entourage professionnel. De plus, il existe des modalités relationnelles particulières, de nouveau, pour les deux membres d’un couple, telles des activité sportives ou de fitness régulières, des voyages en commun ou des périodes de vacances aptes à changer la donne dans une vision préétablie à propos de ce que doit être un couple à la page.
A cet égard peut planer sur l’ensemble l’image d’un couple idéal, ou presque idéal, que tout un chacun ne se sentira jamais capable d’égaler. Dans ce cadre d’un couple idéal, à la fois alléchant mais irréalisable, s’insèrent facilement la capacité de gain ou les chiffres d’affaires ordinaires.
Tout d’abord, le fait même de cohabiter instaure une situation d’intimité, avec des avantages immédiats, doublés évidemment de certains désavantages. Par exemple, on aura l’avantage de ne pas être seul, ce qui implique l’impossibilité parallèle de pouvoir facilement être seul avec soi-même. Des émotions vivaces seront fatalement mises en commun, ce qui peut déterminer des superpositions pas aisées à percevoir dans leur nature première. Ainsi, de l’agressivité pourrait faire naître la conviction d’un conflit permanent avec son partenaire, alors qu’il pourrait simplement s’agir d’un apport de vitalité que cette agressivité provoquerait en premier lieu. D’autre part, dans certains couples, une agressivité réciproque pourrait engendrer une impasse vis-à-vis d’un rapport sexuel et, par contre, un rapport sexuel pourrait représenter un moyen habituel de se réconcilier après une dispute.
D’autre part encore, l’érotisme en tant que tel, incluant aussi le désir d’une satisfaction, pourrait ne pas coïncider du tout pour les deux partenaires du couple, ni quant au moment ni quant à des conditions considérées comme favorables ou au contraire défavorables. D’autant plus qu’un désir érotique donné pourrait se profiler, pour l’un ou pour l’autre des deux partenaires, comme une nécessité impérative de décharge, ou au contraire comme une simple disponibilité envers le plaisir érotique. Une conséquence de cet état de choses pourrait aboutir à donner l’impression que le lien émotionnel des deux partenaires montrerait une faiblesse intrinsèque telle à faire craindre une impossibilité absolue de rester unis.
Dans quelle mesure un impact économique et financier jouerait-il donc un rôle dans des élans érotiques ou des ressentis émotionnels appropriés ? Cela peut évidemment se rattacher à une supposée réalité comme à de purs fantasmes. Une pénurie d’argent pourrait à son tour produire, vis-à-vis de celui des deux qui est la source principale des gains, des accusations ouvertes ou sournoises de ne pas être suffisamment performant. Mais cela pourrait aussi n’être qu’un prétexte pour développer une situation persistante de conflit. Conflit qui ensuite pourrait cacher un besoin de maintenir disponible une source d’agressivité pouvant se révéler comme la seule émotion forte que ce couple serait capable d’engendrer.
A nouveau ici on pourrait faire appel à des facteurs à retenir tantôt comme déterminants, tantôt comme secondaires. A savoir la présence ou non d’enfants, l’âge respectif des deux partenaires, leur état de santé, la vision de chacun de son propre passé et surtout de l’avenir. Plus de nouveau aussi une activité de type sportif ou culturel de l’un des deux – ou des deux, mais avec une mise en œuvre différente quant au temps et à la structure.
Ce qui pourrait ramener à une confrontation décalée, pour les deux, entre d’un côté des sensations corporelles assez intenses, et de l’autre des émotions variées quant à leur éventuel aspect envahissant ou juste superficiel.
Il ne serait pas aisé non plus d’établir une connexion avec des fantasmes que, si l’on disposait de davantage d’argent, tout pourrait être réglé bien autrement. D’une manière paradoxale, cependant, l’un ou l’autre des deux partenaires du couple penserait, en secret ou ouvertement, qu’une recherche forcenée d’argent constituerait en soi la pierre de touche de tous les problèmes.
Quoi qu’il en soit, l’érotisme en tant que tel, dont l’existence dans un couple très stable, mais aussi moins stable, est donnée comme escomptée, n’est pas si facile à gérer. Il peut être déjà vécu à sa base différemment chez la femme et chez l’homme. Pour la première, par exemple, l’érotisme semble beaucoup compter sur la nouveauté et la surprise, susceptibles en tout cas d’éviter une routine à son endroit. Tandis que pour l’homme, une tendance à la routine guette déjà tout au départ d’une relation amoureuse. Egalement, la gestion des affects et des émotions peut subir de fréquents soubresauts, qui ne sont pas toujours de nature nuisible. Etablir à ce propos des liens éventuellement très stricts avec une situation économique donnée pourrait être vu tantôt comme une réalité effective, tantôt, encore une fois, comme un quelconque prétexte.
La problématique de l’interférence des facteurs socio-économiques dans la vie du couple, en plus de nécessiter l’attention de la psychologie pour en identifier et décrire les composantes, mérite de voir relever d’importantes questions connexes, d’ordre social ou même macro-économique, tout particulièrement dues à leur caractère de variable interdépendante dans un système complexe.
Pour illustrer, citons une dimension au caractère éminemment basique et d’autant plus fondamentale, la natalité, une conséquence parmi d’autres de la vie intime des couples. La classe moyenne, de manière presque axiomatique, se trouve être dans une société saine la bénéficiaire évidente de la croissance économique effective et de l’amélioration du niveau de vie, stimulant ainsi la capacité matérielle et possiblement la volonté de fonder un foyer et établir une descendance. Vu l’inouïe capacité de l’humain à dompter son environnement, la descendance évolue dans des conditions supérieures à celles proposées aux aïeux, permettant à sa contribution productive et innovatrice d’augmenter, de génération en génération, vis-à-vis de la précédente. Ce miracle de la productivité, si séduisant soit-il, ne doit pas obscurcir l’importance prépondérante qu’a la croissance démographique, elle-même le fruit de cette vie de couple marquée par les réalités socio-économiques. En effet, la croissance économique réelle, celle qui permet de qualifier de « classe moyenne » d’aujourd’hui un groupe vivant de manière largement supérieure à la royauté d’il y a un siècle, a comme composante mathématique essentielle l’incessante augmentation de la population terrestre, générant un nombre grandissant de contributeurs et consommateurs. Le fait qu’ils soient continuellement plus ingénieux que leurs prédécesseurs explique comment les êtres humains ont pu transformer la croissance démographique en un multiplicateur de croissance économique et non l’inverse, permettant, toutes choses égales par ailleurs, à cette dynamique positive d’avoir gagné de l’ampleur au fil du temps, jusqu’à ce que d’autres facteurs socio-économiques agissant sur la vie du couple prennent le dessus sur la natalité, stabilisant son évolution, changeant peut-être la perception de ce qu’implique avoir des enfants, limitant l’effet lubrificateur de l’aisance matérielle et renforçant le poids des aspect restrictifs. Ces évolutions de la pensée ont parfois un prix, une stabilisation débordante qui se mue en dynamique vicieuse, et qui rappelle la vérité ressentie comme presque paradoxale que la classe moyenne détient elle-même les clés de son destin : l’exemple du Japon, victime de manière presque prototypique de l’éventuelle surcorrection vers une natalité aujourd’hui largement insuffisante pour se remplacer, flotte donc dans l’insuffisance économique chronique, elle-même affectant dans une prochaine vague de conséquences une série de dynamiques sociales, y inclus donc reproductives, qui auraient tendance à une fois encore renforcer le problème dans une série d’itérations dangereuses. Les ébauches de réponse de la classe dirigeante des pays touchés, allant des propositions les plus banales (immigration choisie) aux plus cocasses (Journée de la Reproduction, jour férié en Russie créé en 2007) auront-elles l’impact escompté ? Le couple peut-il si facilement se faire « manipuler » ? L’apprenti sorcier regrettera-t-il son hubris ?
Un deuxième aspect s’inscrivant directement dans la lignée des interdépendances économico-sociales dans la vie du couple s’en prend aussi, pour une description simpliste du problème telle que la suivante, à la natalité comme vecteur important du couple. En effet, la transmission de l’inégalité, vaste notion mais comprise ici comme le degré de concentration des richesses d’une société, est directement concernée par la taille de la famille que le couple compte fonder, du fait que le nombre d’enfants représente évidemment le diviseur, au moment de la transmission de l’héritage, de l’excédent de capital accumulé par épargne ou, déjà, par héritage. Sous certaines hypothèses, l’impact d’une diminution de la natalité peut avoir des conséquence exponentielles sur la concentration et l’accumulation de richesses, et en toutes circonstances, comme le rappelle l’économiste Thomas Piketty dans ses travaux, l’analyse historique sur les derniers siècles montre qu’en transition démographique avec ralentissement économique, une société ne verra que l’importance relative de l’héritage augmenter, et pour ainsi dire ses inégalités se renforcer, une dynamique généralement comprise comme elle-même désavantageuse à la croissance ultérieure. Typiquement, on voit la concentration de la richesse dans une société influer directement sur des notions grossières comme la stabilité politique ou la croissance économique, mais la mobilité sociale, la définition des idéaux communs (le rêve américain par exemple), les visions de l’avenir, le sens ultime de l’aisance matérielle et la relation à l’argent, bref, d’innombrables facettes intrinsèquement liées à la dynamique du couple se voient façonnées par la transmission et l’évolution des inégalités. Naturellement, une fois de plus, les conséquences de deuxième, troisième et énièmes ordres transformeront, en contrebas, cette complexe chaîne causale socio-économique en la réalité du jour.
Certes, la vie intime du couple est rythmée par d’innombrables incursions de facteurs financiers ou économiques, et l’économie, étant pour ainsi dire la somme des agissements productifs ou consommateurs de tous ces couples, n’échappe donc pas à l’importance de leurs vies intimes. Les arts et la littérature au travers des âges soulignent le rôle important de ces facteurs sur le couple et son intimité de façon changeante mais bien réelle. Leur importance est d’autant plus capitale aux inflexions de grandes tendances séculaires, comme les temps présents pourraient se révéler être, auxquels points des équilibres établis peuvent significativement changer suite aux intéractions complexes entre environnement et acteurs. L’importance de ces questions n’est pas à sous-estimer, et explique l’effort continuel d’intégration entre les différentes sciences sociales pour y répondre.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La situation socio-économique et ses conséquences peuvent avoir une influence sur la vie sexuelle du couple