La constitution d’un couple a vraisemblablement une origine qui pourrait se situer assez loin dans le temps. Sans en venir à des hypothèses, d’ailleurs peu vérifiables, qui parleraient de bases génétiques, reste la possibilité de supposer que par exemple les rapports surtout émotionnels que des enfants auraient vécus avec leurs propres parents finiraient par influencer leur choix d’un partenaire, une fois devenus adultes à leur tour.
Et il se pourrait même qu’une influence de ce genre ait été plus marquante par le fait que les parents en question se seraient fréquemment disputés en présence de leurs enfants. Autrement dit, que des conflits parentaux explicites auraient possédé plus de « force de frappe » sur leurs propres enfants que des manifestations amoureuses de ces mêmes parents, qui probablement seraient restées davantage cachées ou trop discrètes.
L’enjeu principal de la réussite ou non d’un couple pourrait se relier en premier lieu à sa durée dans le temps. Donnée qui, peut-être, pourrait n’être pas si valable, dans le sens que certains couples, à cause surtout de la présence d’enfants, s’efforceraient de persister envers et contre tout, et cela malgré une résignation et un dépit plus qu’évidents. De toute manière, si un couple qui paraîtrait avoir à son origine de bonnes bases aboutissait à un divorce plus tôt que prévu, cela nous inciterait encore davantage à nous demander ce qui pourrait être prioritaire : une forte attirance réciproque ayant donc pour les deux une source lointaine, ou au contraire un « quid » profond qui aurait poussé les deux partenaires à se lier avec quelqu’un leur ayant paradoxalement permis de justifier l’impossibilité de devenir chacun trop dépendant de l’autre. Un banc d’essai aurait pu être en principe le développement et le maintien d’une vie sexuelle au moins prétendue satisfaisante. Vie sexuelle qui, d’autre part, aurait pu aboutir également à la même contradiction que nous venons de présumer déjà active au moins subconsciemment au moment du choix du partenaire. Car si la vie sexuelle d’un couple devenait la source d’une trop grande dépendance réciproque, la meilleure façon d’éviter le danger serait de la rendre de moins en moins satisfaisante.
Toujours est-il qu’il pourrait se révéler probable que la liaison d’un couple aille à sa perte à cause de conflits majeurs pas du tout reliables aux rapports sexuels. Ainsi, il s’agirait plutôt d’une résonance négative de la part de ces conflits, le plus souvent relatifs à un manque de communication sur la vie sexuelle que l’inverse.
Pour fouiller quand même davantage du côté de la sexualité tout court, il vaut peut-être mieux prendre en considération une sorte de confrontation entre des sensations liées surtout au corps, et des émotions qui se placent plutôt du côté de la psyché, autrement dit de la subjectivité.
En réfléchissant par contre sur la notion de couple, c’est-à-dire de ce qu’un couple devrait être selon des modèles en définitive d’allure culturelle, on risque alors d’entrevoir une autre notion, celle de couple idéal, par principe inatteignable. D’autre part, à propos toujours de la sexualité, cet idéal de couple met fatalement en exergue aussi le rôle pour tout couple de se configurer en tant que parents. Ce qui amène en conséquence à différencier la sexualité reproductrice de la sexualité proprement érotique, avec un inévitable dommage pour cette dernière, qui risque de se voir reléguée au rôle de moyen fonctionnel pour « fabriquer » des enfants. En outre, il se peut que ce genre de dissociation ait un impact direct au sein du couple en devenant une cause importante de conflits ultérieurs, dans le sens où l’un des deux partenaires viserait surtout la perspective d’enfanter tandis que l’autre viserait d’abord une satisfaction sexuelle persistante.
Dans ce contexte, il faut peut-être rappeler une tendance, bien plus développée chez l’homme que chez la femme, à s’assurer une activité sexuelle régulière et, au fond, très répétitive dans tous ses aspects jusqu’à atteindre une forme de monotonie, voire des allures obsessionnelles. Alors que la femme semblerait être bien plus friande d’une sexualité de quelque façon imprévisible et par là surprenante. Ce qui pourrait aussi impliquer d’un coup la surprise d’être enceinte, même si au départ elle ne désirait pas avoir un enfant, en tout cas à ce moment-là.
Pour exprimer sous une autre forme ce genre de problématique, on pourrait supposer que la femme viserait davantage une sexualité plus subjective, se fondant surtout sur le ressenti plus que sur sa fréquence.
En outre, le fait d’avoir un enfant, ou simplement de se trouver enceinte, ne se limite pas pour une femme au possible désir d’enfant. Il implique aussi la réassurance de ne pas être stérile, mais encore une fois cela représenterait pour elle une objectivation concrète découlant de l’activité sexuelle, alors que l’homme semblerait disponible à désirer la naissance d’un enfant s’il peut se sentir prêt intérieurement, c’est-à-dire au niveau de sa subjectivité, à devenir père. Surtout donc se sentir important à cet égard, capable d’un vécu émotionnel. Par contre, un excès de désir d’enfant pourrait être la cause majeure – ce qui semble statistiquement prouvé – d’une dépression post-partum qui concernerait surtout la mère, mais atteindrait aussi le père. Autrement dit, un excès de participation émotionnelle euphorisante pour les deux dans l’activité sexuelle pourrait se commuer en une charge émotionnelle antithétique, ce qui mettrait de nouveau en exergue un déficit, tout relatif soit-il, un apport érotique insuffisant propre à une sexualité trop centrée sur l’enfantement.
N’oublions pas ensuite l’interférence possible sur la sexualité en tant que telle de l’activité professionnelle de l’un ou des deux partenaires, avec ses engagements narcissiques tels à déplacer la source de gratifications ou de frustrations majeures en dehors de l’érotisme en tant que tel. Il faut souligner ultérieurement des intrications éventuelles avec les représentations mentales dépendant à leur tour des modèles socioculturels. Intrications qui impliquent des va-et-vient avec, bien sûr, des charges émotionnelles et l’apport de la sensorialité prédominante à un moment donné plutôt qu’à un autre. Prenons un exemple précis : l’enfant qui pleure est toujours ressenti par les parents comme malheureux ou, à l’opposé, ne faisant que des caprices. Alors que maintes fois l’enfant pourrait pleurer ou pleurnicher pour imposer son existence au couple parental, ce qui, en termes analogues à ceux prononcés par Descartes, équivaudrait à répéter le fameux « Je pense, donc je suis » en signifiant « Je pleure, donc je suis ». Tout cela pourrait aller de pair avec l’interférence de la sexualité reproductive par rapport à la sexualité érotique.
Ouvrons-nous maintenant à une tout autre perspective, celle de la constante confrontation, pour l’appeler ainsi, entre mémoire et oubli. Au lieu donc de voir ou d’entrevoir mémoire et oubli comme des entités opposées s’annulant réciproquement, saisissons-les dans une sorte de dialectique ou, si l’on préfère, une forme de complicité. Cela peut d’ailleurs valoir autant pour la sexualité reproductive que pour celle que nous nommons la sexualité érotique. Mémoire, pour chaque membre du couple, restée toujours présente, voire active, de sa propre enfance, qu’elle ait été vécue comme fondamentalement agréable ou désagréable, souvenirs susceptibles, si flous soient-ils, d’induire des visées réparatrices ou au contraire de vouloir faire revivre à son enfant quelque chose de similaire. A cet égard, il s’ensuit qu’il puisse y avoir ou non des divergences de taille entre les deux parents. Tantôt ce qui gît dans la mémoire de l’un comme souvenir perceptif considéré comme agréable pourrait être vu par l’autre comme une expérience subjective dont leur enfant n’aurait que des conséquences fâcheuses. Tantôt par contre les deux parents tendraient de concert à imposer à tout prix à leur enfant des convictions procédant de leurs souvenirs et jugées par eux comme très utiles, sinon nécessaires.
Si nous nous déplaçons maintenant du côté d’une sexualité éminemment érotique, le « dialogue » incessant entre mémoire et oubli pourrait être censé nous jouer de drôles de tours. Chacun des deux partenaires en cause peut être dominé par une recherche obsédante à la fois de percevoir des sensations érotiques qui n’auraient jamais été effacées de sa mémoire corporelle, sensations peut-être quelque peu fantasmatiques dans le sens d’un plaisir obligatoire par principe, mais jamais vraiment atteint, ou alors de devenir capable de déconnecter un plaisir éprouvé de sentiments de transgression et par là de la culpabilité inlassablement associée au plaisir. Bref, être enfin devenu capable, chacun des deux, même si c’est avec une intensité différente, de s’ouvrir à un plaisir à l’état pur qui, entre autres, devrait pouvoir s’obtenir chaque fois sans des soubresauts inquiétants.
C’est ici que nous pourrions envisager une perspective à la fois complexe ou faisant craindre d’empiéter sur un terrain périlleux, c’est-à-dire un mélange avec une possible pathologie doublée en plus d’une série de préjugés. Il s’agit de se pencher, quelque peu au moins, sur le domaine de ce qu’on qualifie – en hésitant encore un tantinet – de perversions, ou en les nommant de manière plus pudique des paraphilies. Des paraphilies vraiment « maudites », il n’y a plus aujourd’hui que l’inceste et en particulier la pédophilie. Toutes les autres paraissent à la rigueur ne constituer qu’une affaire privée à ne pas condamner d’avance. Tout en ne sachant pas si cela pourrait apparaître comme le signe d’un érotisme débordant, ne serait-ce en réalité qu’une sorte de bouée de sauvetage face à un érotisme en soi défaillant. D’autant plus que par exemple une paraphilie qui semble statistiquement assez répandue, le sadomasochisme (coincé souvent dans un sigle, celui de SM), possède des sous-produits tels le bondage ou la mise en œuvre d’une violence postiche, et se réduit à une forme de jeu érotique plus près des jeux érotiques infantiles que d’une source de stimulus spontané.
En tout cas, ce qu’il y a à retenir en tant que dénominateur commun des différentes paraphilies, c’est une incontournable ritualité. En effet, le sujet qui s’y adonne s’affranchit déjà au départ de l’attente ou de la mise en évidence d’un quelconque désir spontané le poussant à une activité érotique quelle qu’elle soit. Par contre, il préconise une activité sexuelle en l’encadrant d’emblée dans un moulage préfabriqué qui est censé garantir, quoi qu’il arrive, une forme de satisfaction. Le cas échéant, cette satisfaction pourrait découler d’un contrôle autant sur la douleur que sur le plaisir.
Il faut encore souligner le fait que tout pervers « pratiquant » est d’une fidélité à toute épreuve à son partenaire stable, de telle façon qu’il a de la peine à en faire le deuil si jamais ce partenaire habituel vise à le quitter.
Nous devons également jeter un regard, par rapport à tout couple, du côté du sommeil. Surtout en pensant que nous tous serions à partager entre un soi-disant « homo diurnus » dominateur de l’état de veille et un « homo nocturnus », quelqu’un pour qui le sommeil serait beaucoup plus qu’une « recharge de batteries ». En particulier, en dormant nous pouvons tous être en proie, ne serait-ce qu’à travers des rêves, à de fortes émotions.
Si la sexualité se configure comme une activité irrégulière et à bien des égards facultative, le sommeil, à l’opposé, se dessine déjà au départ dans l’existence de chacun en tant qu’activité nécessaire se déroulant avec une certaine régularité. Au fond, si la sexualité ne semble pas assumer le rôle d’une véritable fonction, sinon dans le cas d’une sexualité visant la reproduction, le sommeil se présente d’emblée comme une fonction proprement dite. En effet, si tout le monde se laisse captiver par l’idée que dormir un certain nombre d’heures dans le cadre du rythme circadien est absolument nécessaire pour la survie, personne ne pensera que sa propre survie dépendrait de la fréquence de son activité sexuelle. Une prise de position conceptuelle approfondie face au sommeil nous amène néanmoins à nous poser une question en soi quelque peu particulière : l’homme dormant diffère-t-il ou pas du tout de l’homme éveillé ? En tout cas, il paraît indiscutable que l’homme dormant non seulement rompt tout contact avec le monde extérieur, mais atteint un contact maximal avec son propre organisme, tel à nous permettre de conjecturer que le sommeil pourrait induire une forme de perturbation identitaire, toute larvée soit-elle, et cela chaque fois qu’il s’impose. Il y aurait en somme une transformation quotidienne, pour chacun, d’une personnalité à une autre. Lors de tout endormissement, en somme, comme lors de tout réveil, il y aurait une sorte de « passage de frontière » non réductible à un seul changement de niveau de conscience, mais bel et bien un saut existentiel radical. Ce qui nous amènerait entre autres à établir une forme de lien avec la sexualité, dans le sens d’attribuer aux parasomnies une quelconque équivalence avec les paraphilies. Dans ce cas, mettre en relief un aspect apte à faire dériver l’individu, comme pour la sexualité, vers des entités cliniques de type pathologique, tout en devant souligner de nouveau qu’il serait tout aussi probable que, comme pour les paraphilies, se produirait une situation de type hypo-érotisme.
On pourrait aussi, éventuellement, découvrir des problèmes concrets par exemple chez un insomniaque habituel à érotiser son corps. En d’autres termes, un état de sommeil susceptible d’être qualifié comme égo-syntonique se confondrait facilement avec une sexualité tout autant égo-syntonique.
Quelques mots, ensuite, à propos de l’activité onirique virtuelle dans tout sommeil. Si nous plaçons les rêves, y compris les cauchemars, au rang aussi d’une fonction spécifique ancrée au sein de la fonction plus générale propre au sommeil, nous serions censés peut-être parler respectivement de « eu-onirisme » favorisant de nouveau l’intégration de ces deux personnalités se succédant à travers le passage régulier entre des niveaux de conscience dissemblables, différents, pour ne pas dire opposés. Par contre, ce qu’on serait autorisé à appeler « dysonirisme » jouerait le rôle contraire de ressentir peut-être son propre corps, ou au moins quelqu’une de ses parties, en tant que « corps étranger » et par là menaçant. Menaçant l’individu, mais menaçant bien sûr aussi la relation de couple. Bref, nous pourrions, sait-on jamais, mettre en exergue, en dessous d’une perturbation du rythme du sommeil, un malaise plus profond, celui d’un rapport troublé entre un individu donné et son corps, autant que d’un malaise se projetant également sur le corps de son partenaire.
L’alimentation, quant à elle, se configure en tant que troisième « pilier » vital pour chaque individu, à côté de la sexualité d’une part et du sommeil d’autre part. Soulignons pour mémoire quelques nuances différentielles entre ces entités en principe physiologiques, mais pouvant développer leurs pathologies respectives. La sexualité se présente comme une fonction vitale indispensable seulement par rapport à la survie de l’espèce, son érotisation au point de vue biologique n’étant qu’un produit stimulant complémentaire. Alors que le sommeil ne relève que d’une fonction très individuelle nécessitant, dans le cadre d’un couple, une séparation circadienne des corps, qui ne se retrouveront réunis qu’au réveil. Dans ce contexte, l’alimentation se place à côté du sommeil quant à son besoin de régularité, et par ailleurs se rapproche de la sexualité puisque le cadre d’une vie requiert à des moments donnés une confrontation rapprochée entre les deux individus formant un couple. On peut y ajouter qu’au moment de la prise ensemble de nourriture, chacun des deux assiste à une sorte de confirmation réciproque de volonté de vivre, alors que dans l’échange sexuel, cette volonté de vivre reste toujours relativement voilée. En outre, en ce qui concerne l’érotisation du processus nutritionnel, elle est bien plus discrète que dans le contact sexuel ; cependant elle est une partie essentielle, répétons-le, d’une évidente volonté de vivre, à certains égards bien plus marquante que la sexualité dans toutes ses expressions.
D’où la conséquence que des problèmes surgissant à un moment ou à un autre dans n’importe quel couple pourraient trouver une solution relativement durable ou parant au pire à travers un échange nutritionnel, bien davantage que dans un échange sexuel.
Quoi qu’il en soit, l’acte nutritif possède une prolongation naturelle dont ne dispose pas la sexualité, dans le sens que la satisfaction relative à un acte sexuel se « brûle » en un temps restreint. Par contre, une satisfaction nutritionnelle doit se compléter à travers la durée nécessaire à la digestion des aliments ingurgités. La digestion, en effet, est en tant que telle apte à garantir une satisfaction authentique et pas seulement présumée. Caractéristique qui fait donc exprimer par l’alimentation une forme de « sincérité » possédant dans ce cas une nette suprématie sur la sexualité. A remarquer entre autres une possible synchronisation des rythmes de mastication et de digestion des aliments perfectionnant la syntonie du couple, en arrivant même à concevoir des « orgasmes gastriques » simultanés, différemment des paraphilies, qui en définitive ne représenteraient pas seulement un besoin de contrôle d’une voracité nutritionnelle, mais un rapport perverti face à la nourriture, recouvrant éventuellement un affaiblissement de l’envie de vivre tout court.
Encore quelques mots, avant de conclure, sur un possible, ou au moins non impossible lien entre trois attitudes en contrepoint par rapport à la sexualité, au sommeil et à l’alimentation. C’est-à-dire entre respectivement l’abstinence sexuelle, l’insomnie et le jeûne. Seule l’insomnie, entre les trois perspectives, semble assumer un caractère pathologique certain, mais les deux autres ne seraient-elles en principe que purement physiologiques ? La réponse est trop difficile, aussi préférons-nous laisser la question ouverte…
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ A première vue, lorsqu’on parle de problèmes de couple, on pense à des difficultés d’ordre sexuel. Ensuite, on peut se replier sur une incapacité foncière des deux membres composant le couple en question à communiquer entre eux, à tenir compte d’une façon minimale du point de vue de son interlocuteur
▪ Néanmoins, négliger ou sous-évaluer l’importance de la manière de se nourrir, jour par jour, peut avoir pour conséquence de perdre de vue un facteur susceptible d’être déterminant autant pour expliquer la racine d’une mésentente que pour obtenir un réajustement relationnel efficace