Cosmopolites, les hépatites virales représentent un poids pathologique considérable. C’est aussi un domaine où, depuis trois décennies, les avancées thérapeutiques réalisées sont majeures. Une riche synthèse sur ce thème vient d’être faite dans le cadre d’une séance thématique organisée, le 12 janvier, par l’Académie nationale française de médecine. L’actualité est aujourd’hui tout particulièrement riche sur les deux fronts, vaccinal et médicamenteux. La perspective d’une immunisation contre l’infection par le virus de l’hépatite virale de type C se rapproche à grande vitesse tandis que les hépatites chroniques deviennent curables. Une large réduction de ce fléau viral, sinon son éradication, n’est plus, en 2016, une totale illusion. On observera dans le même temps que la France, qui a été pionnière dans les différentes méthodes de contrôle des hépatites virales, est aussi le pays où les polémiques contre la vaccination (contre l’hépatite B notamment) sont les plus vives et constituent un blocage des plus inquiétants.
« En vingt ans, les progrès dans la connaissance des hépatites virales ont été considérables, résument le Dr Anne Laurain et le Pr Stanislas Pol (Département d’hépatologie, Hôpital Cochin, Paris ; Inserm, Institut Pasteur). L’alphabet des virus hépatotropes s’est élargi et, aux virus A et B, se sont ajoutés les virus C, D, E et G dont les génomes ont été caractérisés, permettant de définir différents types, sous-types ou isolats, dont l’importance en termes de physiopathologie et de réponse aux traitements antiviraux a été récemment établie. »
Dans le même temps, les connaissances épidémiologiques, virologiques et thérapeutiques n’ont cessé de croître, permettant aujourd’hui de mieux prendre en charge de manière diagnostique et thérapeutique des personnes ayant une hépatite aiguë ou chronique. « L’identification de marqueurs “ chronologiques ” des infections virales hépatotropes permet d’informer mieux les patients en termes non seulement pronostiques, mais aussi en termes de réponse thérapeutique, si un traitement antiviral est indiqué, ajoutent le Dr Laurain et le Pr Pol. Enfin, l’identification des facteurs associés à la progression de la fibrose jusqu’à la cirrhose dans les infections chroniques hépatotropes permet de mettre en place les meilleurs traitements prophylactiques (abstinence d’alcool, correction des déficits immunitaires) et d’anticiper les traitements antiviraux. Les progrès en matière de transplantation hépatique et de thérapeutiques antivirales pour limiter l’impact de la récidive virale sur le greffon ont permis d’optimiser le pronostic médiocre des cirrhoses virales actives et du carcinome hépatocellulaire. »
La situation évolue à grande vitesse. Ainsi, tant pour le VHB que pour le VHC, on estime aujourd’hui en France que près de la moitié des personnes infectées connaissent leur statut (séroprévalences respectives de 0,65 % et 0,84 % de la population adulte assurée sociale). Il faut ajouter que l’accès au traitement est (toujours en France) assez facile et pris en charge à 100 %. « Les analogues nucléosidiques de deuxième génération permettent une virosuppression virale B chez tous les patients observants mais doivent être poursuivis à vie, contrairement à l’interféron dont une cure de quarante-huit semaines permet environ un tiers de virosuppression durable et 10 % de perte de l’Ag HBs, soulignent les deux spécialistes de Cochin. Et l’infection par le VHC peut être guérie par des combinaisons d’antiviraux oraux dans plus de 95 % des cas : les manifestations hépatiques et extra-hépatiques sont majoritairement réversibles en cas de guérison virologique. »
Parallèlement aux progrès médicamenteux antiviraux, on observe le développement prometteur de recherches visant à la mise au point d’une prévention vaccinale contre l’infection par le VHC. C’est là un sujet encore peu connu de la communauté médicale. Pour autant, c’est là un sujet essentiel. A la lumière de la séance thématique de l’Académie française de médecine, on peut rappeler quelques données sur ce sujet majeur de santé publique.
On estime entre 130 et 150 millions le nombre de personnes porteuses d’une infection chronique par le VHC. Les régions les plus touchées sont l’Afrique, l’Asie centrale et l’Asie de l’Est.1 En France, une enquête de l’Institut de veille sanitaire avait, en 2004, estimé la prévalence des anti-VHC à 0,84 % (soit 367 055 adultes) et la prévalence de l’ARN VHC à 0,53 % (soit 232 196 adultes). Parmi ces porteurs, 43 % ignoraient leur séropositivité vis-à-vis du VHC. Le nombre de morts associées au VHC a été évalué à 3618 pour l’année 2001. Les anticorps anti-VHC sont détectés chez environ 60 à 90 % des sujets ayant une hépatite chronique active sans Ag HBs détectable. On ne dispose que de peu de données épidémiologiques actualisées mais de nombreux éléments laissent penser que la prévalence et l’incidence dans les pays industrialisés sont en forte diminution. C’est là une heureuse conséquence des politiques d’hémovigilance incluant les diagnostics génomiques viraux ainsi que des politiques de réduction des risques (incluant notamment des programmes d’échange de seringues destinés aux toxicomanes les plus défavorisés).
on observe le développement prometteur de recherc hes visant à la mise au point d’une prévention vacc inale contre l’infection par le VHC
Le VHC se transmet pour l’essentiel par voie parentérale. Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que la transfusion de produits sanguins a joué un rôle important dans la diffusion de l’infection avant l’introduction des marqueurs indirects d’infection « non-A, non-B ». Cette introduction s’est faite, en France, en novembre 1988 et le dépistage des anticorps anti-VHC y a débuté en mars 1990. « Ceci explique la prévalence des anticorps anti-VHC de l’ordre de 90 % chez les hémophiles, de 5 à 10 % chez les sujets transfusés ou ayant reçu des lots de gammaglobulines polyvalentes ou spécifiques anti-D contaminées avant un traitement par solvant / détergent, soulignent encore le Dr Laurain et le Pr Pol. Aujourd’hui, le risque de transmission du VHC par transfusion est devenu infime en France. »
Il en va bien différemment dans les pays développés où l’usage de drogues par voie intraveineuse, le partage de seringues ou du matériel de préparation restent aujourd’hui le mode prioritaire de transmission du virus de l’hépatite C. Ceci ne doit pas faire oublier qu’il existe d’autres modes de consommation de drogues qui peuvent être à l’origine de la transmission du VHC. Ainsi, l’usage de drogues par voie nasale qui peut entraîner des lésions de la muqueuse, effractions qui peuvent constituer des voies de contamination en cas de « partage de paille ».
Les résultats d’une enquête française, menée à partir d’un échantillon aléatoire de 1500 usagers de drogue, trouvent une séroprévalence du VHC de 44 %.2 Cette séroprévalence est en baisse puisqu’elle était de 60 % lors de l’enquête de 2004. Le risque de transmission virale lors des soins (injections, dialyse, certains actes endoscopiques) semble avoir joué un rôle dans la transmission du VHC jusqu’à la fin des années 1990. Mais il est désormais en nette diminution du fait d’une amélioration du respect des précautions universelles d’asepsie.
En France, la prévalence des anti-VHC est, chez le personnel soignant, de 3% – une réalité que l’on peut relier à des piqûres accidentelles. Les effractions cutanées avec du matériel contaminé lors de tatouages, mésothérapie, percements uniques ou multiples, acupuncture ou rasages collectifs sont toujours susceptibles de transmettre le VHC. D’autres voies de contamination parentérale (médecine traditionnelle par ventouses ou scarifications rituelles) sont également possibles. Enfin, le risque de transmission sexuelle est généralement considéré comme extrêmement faible chez les couples hétérosexuels stables. « Il peut être augmenté en cas de rapports sexuels traumatiques, en particulier chez les homosexuels masculins atteints par le VIH, résument les spécialistes de Cochin. Le risque de transmission de la mère à l’enfant est de l’ordre de 5 % mais est multiplié par quatre en cas d’infection associée au VIH, suggérant que l’augmentation de la multiplication virale liée à l’immunosuppression favorise la transmission maternofoetale. Comme elle survient majoritairement après l’accouchement, on peut considérer que l’infection virale C ne contre-indique pas une grossesse normalement menée et délivrée et l’allaitement maternel. »
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les recherches dont les derniers résultats laissent penser qu’un vaccin contre l’infection par le VHC pourrait ne plus trop tarder à voir le jour.
(A suivre)