Toute lésion du tractus respiratoire par des toxiques ou des micro-organismes inhalés fait augmenter la sécrétion de mucus. Cela se traduit cliniquement par l’apparition d’expectorations qui peuvent prendre un aspect muqueux ou purulent, lorsqu’elles contiennent des cellules inflammatoires et/ou des micro-organismes pathogènes. Dans l’inconscient collectif, tant des médecins que des patients, la purulence des expectorations est forcément corrélée à une surinfection bactérienne. Au lit du malade, le médecin de premier recours peut se retrouver démuni et doit souvent se baser uniquement sur des critères cliniques pour poser un diagnostic. Aussi, la purulence des expectorations est souvent recherchée à l’anamnèse. L’aspect purulent des expectorations est-il dès lors utile pour prédire la nécessité d’introduire une antibiothérapie face à un patient qui tousse ?
Une muqueuse de 5 µm d’épaisseur tapisse les voies respiratoires et protège l’épithélium bronchique des toxiques inhalés. Cette couche sécrétoire est continuellement renouvelée et la quantité sécrétée peut augmenter lors de tout processus inflammatoire. L’aspect purulent des expectorations est défini par des sécrétions épaisses et souvent jaunâtres ou verdâtres. Ceci découle de la libération de leucoprotéines et leucoverdines par des foyers d’inflammation nécrosés, ainsi que de la présence de granulocytes et, dans une moindre mesure, de produits bactériens (figure 1).1
Pour pouvoir nous aider dans notre analyse décisionnelle, la purulence des expectorations ne devrait pas se baser uniquement sur l’anamnèse. En effet, une étude a révélé qu’il existe souvent une discordance dans la définition de la purulence rapportée par le patient et celle observée par le médecin.2 Dans la mesure du possible, il convient donc d’objectiver la couleur des expectorations avec l’aide d’un tableau standardisé (sputum colour chart) (figure 2).3 Un de ces tableaux standardisés consiste en neuf valeurs qualitatives ; les valeurs 0 et 1 correspondent à des expectorations mucoïdes avec une coloration blanchâtre, plus ou moins épaisses, et les valeurs 2 à 8 représentent des expectorations jaunâtres à verdâtres foncées. Les différentes catégories de purulence sont basées sur la concentration de myéloperoxidase relâchée par les neutrophiles, correspondant à une certaine couleur. En utilisant ce tableau standardisé, Stockley et coll. ont trouvé que 40 % des patients présentant des expectorations mucoïdes avaient auparavant déclaré à tort avoir des expectorations purulentes à l’anamnèse.4
Un grand nombre de patients consultent en ambulatoire pour une infection des voies respiratoires supérieures (IVRS), ceci regroupant la rhinosinusite, la grippe et la pharyngite. Bien que la grande majorité des IVRS soit d’origine virale, 60-80 % des patients reçoivent une prescription d’antibiotique.5 Or, seule une minorité des IVRS évoluent défavorablement avec le développement d’une surinfection bactérienne. A titre d’exemple, seulement 5 % à 10 % des pharyngites aiguës sont causées par une infection à streptocoque et nécessitent une antibiothérapie. Le score de Centor comme aide à la prescription d’antibiotique ne prend pas en considération la présence de sécrétions purulentes. Une toux productive parle même contre une pharyngite bactérienne.6
Dans le cas d’une rhinosinusite aiguë, la purulence des sécrétions, comme seul facteur, ne permet pas de distinguer une origine virale ou bactérienne. Selon les recommandations internationales, l’introduction d’une antibiothérapie peut se discuter seulement après un minimum de sept jours d’évolution ou lors d’une évolution en deux temps avec des symptômes et signes initiaux de rhinosinusite virale qui s’améliorent en 5-6 jours, puis s’aggravent, avec notamment la présence d’un écoulement purulent.7 Lors des épidémies de grippe, les experts estiment qu’une antibiothérapie peut être discutée en présence d’expectorations verdâtres, uniquement après plusieurs jours d’évolution. Il y a donc une dimension temporelle à respecter lors d’infection des voies aériennes supérieures avant d’initier une antibiothérapie.8 Force est donc de constater que la purulence des expectorations ne suffit pas pour discriminer une infection bactérienne d’une infection virale. L’initiation d’une antibiothérapie dès le début des symptômes d’IVRS et ce, même en présence d’expectorations purulentes, n’est donc pas justifiée.
Actuellement, plus de 60 % des patients souffrant d’une bronchite aiguë seraient traités par antibiotiques, surtout lors d’expectorations purulentes, bien qu’une origine virale soit le plus souvent évoquée. Ceci s’explique notamment par l’insistance des patients qui n’acceptent pas l’évolution naturelle de la bronchite virale, pouvant prendre plusieurs semaines avant une résolution complète des symptômes. Il a pourtant été démontré que, dans le contexte d’une bronchite aiguë, la mise en évidence d’expectorations purulentes n’est pas associée à la présence d’une infection bactérienne. La sensibilité et la spécificité des expectorations purulentes pour prédire une infection bactérienne sont respectivement de 0,79 (IC 95 % : 0,63-0,94) et 0,46 (IC 95 % : 0,04-0,53).9 Cela a incité des chercheurs espagnols à mener un essai clinique randomisé, auprès de 416 adultes âgés de 18 à 70 ans, suivis en ambulatoire, sans antécédent respiratoire particulier et présentant des symptômes de bronchite aiguë avec, au premier plan, une toux, des expectorations purulentes et un autre symptôme respiratoire.10 Comparées à la prise de placebo, ni la prise d’ibuprofène ni celle d’antibiotique n’ont été associées à une chance accrue de résolution de la toux.
Ces études renforcent l’importance du traitement symptomatique de la bronchite aiguë dans la population sans antécédent respiratoire. Il faut toutefois admettre que la distinction entre une bronchite et une bronchopneumonie n’est pas toujours aisée. Les recommandations internationales insistent sur l’importance des symptômes et des signes généraux faisant évoquer une bronchopneumonie (dyspnée, hypoxémie, fièvre > 39°, trouble de l’état de conscience). De plus, seul un infiltrat visible sur une plage pulmonaire à la radiographie thoracique permet de conclure au diagnostic de bronchopneumonie. Une radiographie du thorax devrait donc systématiquement être demandée lors d’une suspicion de bronchopneumonie. A noter que l’analyse microbiologique systématique des expectorations n’est pas recommandée chez un patient sans antécédent respiratoire et sans signe de sévérité, au vu du faible rendement des différents examens.11 Bien que non diagnostique, certains auteurs se sont risqués à établir une corrélation entre la couleur des expectorations et les différents types de pathogènes rencontrés, en se basant uniquement sur des données observationnelles (tableau 1).12 On retrouve notamment souvent des expectorations couleur « rouille » lors d’une infection à Streptococcus pneumoniae.
Dans la population atteinte de maladie respiratoire chronique, dont la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et les bronchiectasies, la situation est relativement différente. Une surinfection bactérienne est souvent à l’origine des exacerbations sévères, qui sont grevées d’une morbi-mortalité élevée. La prescription rapide d’antibiotique peut fortement améliorer le pronostic de ces patients. Cependant, d’autres facteurs déclenchants peuvent être responsables d’une exacerbation, comme par exemple une infection virale ou l’exposition aux allergènes ou à certains polluants. La prescription ou non d’un traitement antibiotique lors d’une exacerbation légère de BPCO ou de bronchiectasies peut donc représenter un dilemme pour le médecin de premier recours. Il semble que, dans cette population, la purulence des expectorations objectivée à l’aide d’un sputum color chart plutôt que rapportée, puisse aider le médecin de premier recours dans son analyse décisionnelle.13 L’équipe de Stockley et coll. a en effet démontré que l’aspect purulent des expectorations corrélait avec une charge bactérienne importante.4 Soler et coll. sont même allés jusqu’à effectuer des bronchoscopies pour démontrer une corrélation entre l’aspect des expectorations et une infection bactérienne. Cette étude a pu démontrer une forte association entre la purulence des expectorations et la présence de bactéries pathogènes dans les bronches distales.14
De plus, trois paramètres cliniques, les « critères d’Anthonisen » établis dans les années 80, restent encore largement cités et utilisés chez les patients BPCO (tableau 2). L’intérêt principal de ces critères réside dans leur côté pragmatique permettant de standardiser la prise en charge des exacerbations de BPCO, une antibiothérapie étant recommandée si les trois ou deux critères, dont la purulence des expectorations, sont présents. Ces critères donnent ainsi beaucoup de poids à la présence d’expectorations purulentes. Toutefois, la validité de cette pratique chez les patients avec une BPCO légère à modérée n’était pas établie. Plus récemment, une étude a révélé que si l’on n’instaure pas d’antibiotique, des expectorations purulentes et une protéine C-réactive (CRP) > 40 mg / l sont les seuls facteurs associés à un risque d’échec clinique.15 Inversement, l’absence d’expectorations purulentes lors d’exacerbations de BPCO légère à modérée a une bonne valeur prédictive négative et semble permettre de ne pas initier de traitement antibiotique.16 Plusieurs auteurs soulignent le fait qu’une culture positive sur des expectorations non purulentes peut être due à la colonisation des bronches dans cette population atteinte de maladie respiratoire chronique. La surinfection bactérienne provoque une réponse immune avec un recrutement marqué de neutrophiles, ce qui entraîne un changement d’aspect des expectorations. Par conséquent, l’aspect non purulent des expectorations peut être utilisé comme critère clinique relativement fiable pour justifier l’abstention d’un traitement antibiotique dans cette population.16 Il convient toutefois de garder à l’esprit que certains patients issus de cette population n’arrivent pas à produire des expectorations.
Ces études n’ont toutefois pas cherché à établir une corrélation entre la purulence des expectorations et les biomarqueurs fréquemment utilisés en clinique. Stolz et coll. ont trouvé une relation étroite entre les exacerbations de type I selon Anthonisen et une valeur de CRP augmentée.17 En revanche, Soler et coll. n’ont démontré qu’une faible association entre les différentes classifications d’Anthonisen et la valeur de procalcitonine.16 Il est donc possible que la procalcitonine reflète une inflammation systémique et non pas une inflammation localisée bronchique. La purulence des expectorations et l’augmentation de la procalcitonine pourraient représenter des voies distinctes dans le processus infectieux.16 Ces biomarqueurs, surtout la procalcitonine, ont toutefois démontré leur utilité, notamment pour ne pas initier d’antibiothérapie, mais ne sont pas toujours faciles d’accès au lit du malade.
Dans l’analyse décisionnelle face à un patient qui tousse, il faut d’emblée distinguer deux populations : les patients sans antécédent respiratoire et ceux souffrant d’insuffisance respiratoire. L’aspect purulent des expectorations ne peut pas être utilisé comme seul critère pour initier une antibiothérapie lors d’IVRS chez des personnes en bonne santé. Une mauvaise évolution sur plusieurs jours, associée à la présence d’expectorations purulentes, peut toutefois justifier une antibiothérapie dans ce contexte. Chez les insuffisants respiratoires, l’aspect purulent des expectorations est souvent associé à une surinfection bactérienne et une antibiothérapie peut apporter un bénéfice clinique. Un suivi strict de l’algorithme illustré dans la figure 3 permettrait de réduire l’utilisation systématique des antibiotiques qui contribuent à une sélection de souches bactériennes résistantes et génèrent des coûts importants pour notre système de santé.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’aspect purulent des expectorations doit être objectivé par un professionnel de la santé avec l’aide d’un tableau standardisé, afin de pouvoir l’utiliser dans l’analyse décisionnelle
▪ Lors d’une infection des voies aériennes supérieures (IVRS), la purulence des expectorations ne suffit pas pour discriminer une infection bactérienne d’une infection virale et ne justifie pas l’initiation d’une antibiothérapie
▪ L’introduction d’une antibiothérapie peut se discuter seulement après un minimum de sept jours d’évolution d’une IVRS ou lors d’une évolution en deux temps, avec notamment la présence d’expectorations purulentes
▪ Chez les insuffisants respiratoires, l’aspect purulent des expectorations est souvent associé à une surinfection bactérienne et une antibiothérapie peut apporter un bénéfice clinique
▪ L’absence d’expectorations purulentes semble avoir une bonne valeur prédictive négative, permettant parfois de surseoir au traitement antibiotique lors