La Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG) est une association française de formation continue. Elle emmène quelques médecins français et suisses pour la période des fêtes sur les chemins du Gujarat à la découverte de cet Etat de l’Inde où le jaïnisme est largement implanté. La philosophie jaïne prône renoncement et non-violence. Un contexte pour mettre en perspective avec une autre culture, nos réflexions sur la surmédicalisation en Occident. Les conversations vont bon train après la visite d’une université ayurvédique et nous essayons, côte à côte avec Sophia, d’écrire les premiers mots d’un texte pour la Revue Médicale Suisse.
« Si l’on faisait tout ce qu’ils nous disent, ils n’auraient plus de travail. Donc nos excès leur sont bien utiles. Il n’y a pas de surmédicalisation, il n’y a que notre manque de savoir-vivre. Domptons nos désirs et suivons les “ standardized guidelines for promotion of health and wellness ” proposées par la médecine ayurvédique. Si “ Vata ” domine supprimons le maïs, le chou et le concombre avec le chilli. Mais la mangue pelée est autorisée. Et comme l’on n’est pas “ kapha ”, il conviendra de limiter son activité sexuelle à deux actes par mois pendant l’été. Heureusement que nous sommes encore en hiver et que nous avons quartier libre. »
Nous en étions là avec Sophia dans l’écriture d’une carte blanche conjointe, dans le bus cahotant au coucher du soleil, quand notre organisateur, vice-président de la SFTG survint : « pas mal dit-il mais il faudra retravailler tout ça ».
Le vice-président trouve que nous exagérons en pensant que la médecine ayurvédique régente et contrôle excessivement la vie quotidienne des gens et qu’elle ne surmédicalise pas les existences mais offre une réponse adaptée à chaque individu. Une autre voix s’élève alors dans le bus, un lecteur de Roland Gori : « s’il est vrai que la médecine ayurvédique est prise dans le mouvement de la modernité, par l’utilisation de guidelines et par ses recherches sur les tempéraments et le génome, elle n’est pas encore, comme la nôtre, instrumentalisée par le capitalisme, en l’absence de marché lucratif. Les pharmas n’ont pas pris possession des herbes. Du moins dans les hôpitaux gratuits de l’Etat. »
Parmi nous monte la voix de stentor du coprésident de la SGAIM. « Si l’on peut admirer cette médecine indienne, c’est par sa volonté d’équilibre et de modération face à un balancier qui oscille entre le trop et le pas assez. Et cela, c’est une valeur médicale de toujours qui doit être aussi la nôtre. » Puis, le crépuscule aidant, il nous confie en murmurant : « en fait la surmédicalisation n’est-ce pas vouloir aller au-delà de l’effet placebo ? »
Le fond du bus qui a tout entendu se réveille alors. Et les commentaires fusent :
ne médicalisent-ils pas inutilement ce qui guérirait tout seul ?
Mais ils font du soin…
Ils hospitalisent les gens trois semaines, les mettent en sécurité en leur donnant un toit et s’occupent d’eux personnellement. Ils leur offrent un refuge contre la violence de leur monde quotidien. C’est le sens premier du mot hôpital.
Un lieu de sécurité où le médecin est comme un parent, c’est leur propre expression.
c’est un peu paternaliste.
Non paternel, affectueux plus que paternaliste.
N’abusent-ils pas de la confiance des gens en leur donnant des poudres en sachets non étiquetés ?
Mais les patients gardent l’ordonnance et on ne sait pas ce qui est écrit.
Ne convoquent-ils pas trop souvent les gens pour des soins de massages ?
Ils s’occupent des gens qui ont besoin de leur symptôme pour exister.
Ça c’est des interprétations psychanalytiques...
Et dire qu’il faudra faire de ces commentaires en vrac une recherche qualitative qui tienne la route. Quelqu’un nous rappelle à la réalité : « on arrive bientôt, j’ai faim ». Du coup, on voit qu’il est difficile de dompter ses désirs.