La tuberculose (TB) osseuse représente 10 à 15 % des cas de TB extrapulmonaire.1 On distingue la spondylodiscite tuberculeuse, aussi appelée Mal de Pott, qui en est la forme la plus répandue, et les atteintes ostéoarticulaires périphériques. Ces différentes formes de TB osseuses sont issues principalement d’une réactivation de bacilles qui se sont logés dans les os lors de la mycobactériémie initiale.2 Les cas sont rares dans nos régions et le diagnostic nécessite un indice de suspicion élevé. La pierre angulaire de la prise en charge repose sur la rapidité du diagnostic, dont dépendront le pronostic du patient, en particulier le risque de développer des complications neurologiques, et le type de traitement.3
Un patient indien, âgé de 74 ans, est hospitalisé pour investigation d’une fièvre d’origine indéterminée. On retrouve dans ses antécédents un diabète insulinorequérant, une insuffisance rénale chronique et une vasculite leucocytoclasique, traitée par cortisone depuis deux ans et par azathioprine depuis cinq mois. L’anamnèse révèle une dyspnée lentement progressive, associée à des pics fébriles et une dorsalgie évoluant depuis quatre mois. Une IRM dorsale révèle une fracture-tassement D10. Dans l’hypothèse d’une origine tumorale, le bilan est complété par un PET-CT, qui montre une zone d’hypersignal des corps vertébraux D9 et D10. Une ponction-biopsie du corps vertébral de D10 met en évidence une inflammation non spécifique, sans bacille de Koch à l’examen direct et la PCR pour Mycobacterium tuberculosis revient négative. Face à une évolution clinique et radiologique défavorable avec l’apparition d’une collection prévertébrale, une ponction-biopsie disco-vertébrale est répétée quinze jours plus tard et la PCR revient finalement positive. Une quadrithérapie est initiée et le patient bénéficie de la pose d’un corset rigide. Les cultures confirmeront la présence de M. tuberculosis sensible aux tuberculostatiques de première ligne. L’évolution est marquée par une aggravation des dorsalgies, imputées à un tassement cunéiforme des vertèbres D9-D10. Le patient bénéficie alors d’une stabilisation par spondylodèse, quatre mois après le début du traitement, avec au final une excellente évolution clinique.
La TB osseuse représente 2,2 à 4,7 % des cas de TB en Europe et aux Etats-Unis.2 En 2013, la prévalence de la TB en Suisse était estimée à 8/100 000 habitants et son incidence à 6,5/100 000 habitants. Cela représentait au total 526 cas de tuberculose dont 146 (27,8 %) étaient extrapulmonaires.4
La distribution de l’âge des populations touchées dans les pays développés est bimodale : après 55 ans pour les natifs occidentaux et entre 20 et 35 ans pour les migrants issus de pays où la prévalence est élevée. Les facteurs de risque sont les mêmes que ceux qui entraînent une immunosuppression (VIH, corticostéroïdes, médicaments immunosuppresseurs, transplantation, néoplasie, diabète, insuffisance rénale chronique).2
Le Mal de Pott est une ostéomyélite de la colonne vertébrale, souvent multi-étagée, qui touche un ou plusieurs corps vertébraux. La destruction osseuse progressive de ces corps vertébraux peut entraîner des fractures, des tassements, des défauts d’axe de la colonne en cyphose ou scoliose, des dislocations avec protrusion de fragments antérieurement ou postérieurement. Les ligaments spinaux adjacents ainsi que les tissus mous sont souvent touchés, ce qui peut amener à une compression de la moelle par la formation d’un abcès froid ou par invasion directe.5
La clinique est souvent insidieuse et par conséquent responsable d’un délai diagnostique important, favorisant les complications neurologiques. Le symptôme le plus fréquent, et parfois unique, est la dorsalgie (> 80 % des cas), siégeant le plus souvent au niveau thoracique ou thoraco-lombaire.6 La fièvre, ainsi que les autres symptômes généraux ne sont rapportés que dans un tiers des cas. Ils sont plus fréquents en cas de réactivation pulmonaire concomitante, de TB extrapulmonaire touchant plusieurs sites ou de TB miliaire.3
Les complications neurologiques en cas de spondylodiscite tuberculeuse se manifestent chez 10 à 20 % des patients dans les pays développés et jusqu’à 40 % dans les pays en voie de développement. Les lésions de type œdème ou myélite, associées à une collection préservant la moelle, évolueront souvent favorablement sous traitement médicamenteux. En revanche, un traitement chirurgical sera envisagé en raison du risque de paraplégie lors d’une compression extradurale de la moelle (par un abcès, du tissu de granulation ou des débris de la nécrose caséeuse), ou lors d’une instabilité mécanique de la moelle sur une destruction ou une subluxation osseuse.7 La leptoméningite (invasion des méninges) est une complication très rare, tout comme la thrombose septique.2
Le développement d’une cyphose est très fréquent et peut aller jusqu’à une angulation > 60° chez les patients traités conservativement.7 Dans ces cas, une dyspnée concomitante peut être expliquée par un syndrome restrictif, entraîné par la cyphose.
Un abcès du psoas est une complication relativement fréquente, pouvant survenir dans un quart des cas, comme le révèle une série de cas récemment publiée.3 Plus rarement, un pseudo-anévrisme de l’aorte ou un abcès rétropharyngé ont également été rapportés.
Le laboratoire est aspécifique, les marqueurs inflammatoires comme la CRP et la vitesse de sédimentation peuvent être normaux ou augmentés et les leucocytes sont le plus fréquemment dans la norme.2,5 Le test à la tuberculine (Mantoux) ou les IGRA (Interferon Gamma Release Assays) ne permettent pas de faire la différence entre une maladie active ou latente.1,3 L’imagerie est une étape incontournable du diagnostic, car elle permet de confirmer l’atteinte vertébrale avec parfois des caractéristiques évocatrices d’une spondylodiscite tuberculeuse, comme une atteinte multi-étagée. De plus, elle permet d’évaluer une éventuelle extension aux tissus mous, et de guider la ponction-biopsie nécessaire au diagnostic définitif. La radiographie conventionnelle peut montrer une destruction des corps vertébraux avec des fractures/tassements au stade avancé de la maladie. Le CT-scan, souvent effectué en première intention avant l’IRM, permet la mise en évidence de foyers de calcification (fragments osseux migrant dans les tissus mous), mais il est surtout indiqué pour effectuer la ponction-biopsie nécessaire au diagnostic. L’IRM permet de révéler plus précocement des anomalies de signal dues à la réaction inflammatoire de la moelle osseuse des corps vertébraux (un hypersignal au T2 et STIR (short TI inversion recovery) et un hyposignal au T1). Elle définit précisément l’extension dans les tissus mous, la plupart du temps au niveau du mur antérieur de la colonne (les figures 1 et 2 illustrent notre cas avec un mois séparant les deux IRM). A ce titre, l’IRM est l’examen de premier choix. La présence de calcifications à l’intérieur d’une masse paraspinale est également fortement suggestive d’une TB. Le PET-CT au FDG (fluorodésoxyglucose) peut permettre d’identifier un processus infectieux, en revanche, lors de la présence d’une fracture ou d’un remodelage osseux sa précision diminue.8
Le diagnostic définitif repose sur une analyse microbiologique (PCR, culture). La présence de granulomes caséeux à l’examen histologique est également suggestive d’une atteinte tuberculeuse et rarement, l’examen microscopique direct mettra en évidence des bacilles à la coloration de Ziehl-Neelsen. Une biopsie vertébrale ou une aspiration de liquide au niveau d’une collection paraspinale doit être effectuée. On peut raisonnablement surseoir à la biopsie vertébrale en cas de manifestations cliniques et radiologiques typiques d’une spondylodiscite tuberculeuse, avec la présence de manière concomitante de M. tuberculosis au niveau pulmonaire ou extrapulmonaire. La sensibilité diagnostique de la biopsie percutanée considérant les analyses microbiologique (culture) et histologique associées, varie de 42 à 76 % selon les séries.3 Même si elle reste le « gold-standard », le désavantage de la culture réside dans le délai jusqu’à l’obtention des résultats. Ce délai est toutefois réduit à trois à quatre semaines avec les nouvelles techniques MGIT (Mycobacterial Growth Indicator Tube). La culture permet aussi d’identifier un germe résistant aux principaux médicaments antituberculeux (germe multirésistant), afin de mieux cibler le traitement. Le développement de l’analyse par amplification génique (PCR ou amplification isotherme) permet une identification rapide de la mycobactérie en quelques heures. Cette technique a initialement été validée pour les échantillons respiratoires, mais sa sensibilité ne dépasse pas 85 % pour les échantillons extrapulmonaires avec néanmoins une spécificité supérieure à 95 %.9,10 Certains laboratoires, comme celui du CHUV, ont adapté des techniques d’analyse pour les échantillons extrapulmonaires.
La figure 3 est une proposition d’algorithme diagnostique reposant sur les différents examens complémentaires susmentionnés. Les diagnostics différentiels principaux à évoquer sont les suivants : néoplasie primaire ou métastases osseuses, spondylodiscite à pyogènes (dont la clinique est souvent plus bruyante) et la spondylodiscite secondaire à une brucellose.2
Le traitement médicamenteux de la spondylodiscite tuberculeuse répond aux mêmes règles que celui de la TB pulmonaire, avec un schéma thérapeutique qui comprend une phase initiale associant quatre médicaments de première ligne (isoniazide, rifampicine, pyrazinamide et éthambutol) pendant deux mois, suivie d’une phase de consolidation avec bithérapie (isoniazide et rifampicine) pendant quatre à sept mois.11,12 Afin d’améliorer l’observance thérapeutique, une supervision directe du traitement (DOT : Directly Observed Treatment) est recommandée par l’OMS dans certains cas. Les posologies ainsi que les principaux effets secondaires sont décrits dans le tableau 1. Il conviendra d’adapter le schéma et la durée du traitement en cas de souche multirésistante (résistance à l’isoniazide et à la rifampicine). En cas de coinfection par le VIH, l’interaction entre rifampicine et certaines trithérapies antivirales nécessite de réadapter/changer les traitements ainsi que des ajustements posologiques.13
La littérature n’ayant pas prouvé le bénéfice d’un recours systématique à la chirurgie ou au corset d’emblée, l’attitude doit être discutée au cas par cas avec le chirurgien. Une atteinte neurologique grave avec compression directe de la moelle (par un abcès par exemple) est une indication claire à une chirurgie, mais ce cas est rare. Souvent, le processus inflammatoire est à l’origine des déficits et se résout lors de l’instauration du traitement médicamenteux. Notons que lors de la présence de symptômes neurologiques déficitaires en l’absence de signes radiologiques évoquant une compression mécanique, un essai de traitement par stéroïdes systémiques est justifié, bien que ceci n’ait pas été établi de manière formelle. Il faut être vigilant quant à la progression de la maladie, la question du traitement chirurgical se posant lors d’une mauvaise évolution sous traitement bien conduit, c’est-à-dire, lorsque les douleurs, le déficit neurologique ou la déformation de la colonne s’aggravent. Un suivi radiologique (par IRM) est ainsi particulièrement important et doit être instauré après le début du traitement avec un suivi à un mois puis deux mois, puis selon les imageries initiales.14,15
Les conséquences d’une spondylodiscite tuberculeuse diagnostiquée tardivement peuvent être lourdes avec des complications neurologiques pouvant mener à une invalidité. Il est important d’évoquer cette pathologie chez des patients à risque, même si on la considère comme très rare dans notre population. Le médecin de premier recours a un rôle central dans la détection de ces patients et dans l’initiation des investigations qui permettront de poser rapidement le diagnostic et de les diriger vers une prise en charge multidisciplinaire.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le Mal de Pott doit être évoqué devant une douleur vertébrale chronique chez des patients originaires de zones à haute endémie et/ou avec un facteur d’immunosuppression
▪ Le Mantoux et les IGRA (Interferon Gamma Release Assays) sont des tests non contributifs au diagnostic dans une population provenant de pays à forte endémie
▪ Le diagnostic est difficile et nécessite des investigations multiples par imagerie, analyse histopathologique, microbiologique et amplification génique. Ces tests sont parfois tous négatifs malgré la présence d’une tuberculose (TB)
▪ La progression de la maladie tuberculeuse est fréquente même après instauration du traitement, d’où la nécessité de mettre en place un suivi clinique et par imagerie dans un service spécialisé de la TB