L’homme du futur se manifeste au travers d’œuvres littéraires et cinématographiques, de travaux socio-anthropologiques, de discours politiques, critiques ou non, ou encore de la publicité. Il apparaît avec des capacités somato-cognitives augmentées grâce à la technique, aux psychostimulants et à un environnement fabriqué (designed), une combinaison qui l’assiste et facilite la gestion de son quotidien.
Et le patient du futur ? Il ne sera définitivement plus la victime honteuse du siècle dernier, accablée par la maladie. A l’inverse, boosté par la médecine personnalisée, il saura tirer profit de l’« accident de parcours » que représente sa maladie et il deviendra un survivant triomphant.1
Sur le terrain clinique, on tente de rappeler que la médecine a une vocation humaniste
Et le médecin du futur ? Il sera amélioré grâce à la maîtrise opérationnelle de son plateau technique, assisté par des sources d’informations computationnelles fondées sur des preuves et supporté par un exosquelette administratif qui lui fournira en temps réel les données relatives à sa productivité.
Différentes voix se font entendre s’agissant de façonner ce médecin du futur. Il devrait s’immerger dans une formation plus technique s’il décide de soigner le corps et dans une formation plutôt littéraire s’il se projette dans la psychiatrie ;2 comme si le champ de la médecine dite somatique pouvait être séparé de la psychiatrie et psychothérapie et comme si la conscience n’était qu’une affaire de culture bien encadrée et définie à l’avance. Il faudrait par ailleurs que sa formation Bachelor soit basée sur des connaissances dans le domaine des mathématiques, de l’informatique, des sciences naturelles et de la technologie, correspondant parfaitement aux besoins de l’industrie des Life Sciences (de la Nordwestschweiz) ;3 cela revient à ignorer les efforts récemment faits par les Facultés de médecine pour intégrer les sciences humaines et sociales dans le cursus prégradué4 et pour exposer, d’emblée, l’étudiant à la clinique et à une vision large de son futur métier.5 Sur le terrain clinique, on tente, en connaissance de cause, de rappeler que la médecine a une vocation humaniste et que la pratique médicale ne devrait pas être vidée de sa substance relationnelle.6
Force est de constater que la grande majorité des maladies – qu’il s’agisse de maladies chroniques et évolutives, de maladies liées à l’interaction de facteurs somatiques, psychiques et sociaux ou de maladies dites de civilisation – requièrent une pratique qui dépasse la perspective biomédicale et soulèvent des enjeux pour la résolution desquels l’apport des sciences humaines et sociales est primordial. Il est par ailleurs établi que les doléances des patients actuels ne portent pas sur des déficits techniques ou compétentiels des médecins, mais sur des manquements relationnels.7 La rencontre du médecin avec son patient représente l’élément irréductible du raisonnement clinique.8 Le médecin mérite donc une attention particulière.9
Il est certain que dans le futur, il ne pourra s’extraire des forces agissant sur le champ de sa pratique, qu’elles soient socioculturelles, politiques, économiques, juridiques, institutionnelles, administratives, techniques ou encore scientifiques. Vouloir incarner un savoir et un savoir-faire dans tous ces domaines – qui tous nécessitent une compétence spécifique et constituent en soi une profession – apparaît illusoire. Il n’est pas question que le médecin du futur soit un clinicien socio-anthropologue ayant un savoir économico-administratif, maîtrisant les lois et transférant systématiquement les progrès scientifiques dans sa pratique. Il faudrait néanmoins qu’il connaisse les facteurs régissant la médecine et qu’il soit à même de penser son métier ; un métier qui se trouve au cœur d’une société mouvante. Une version enhanced de la formation – pré, postgraduée et continue – devrait viser à éveiller sa curiosité et à le rendre attentif aux multiples enjeux de sa profession. Conscient de son monde interne et externe, le médecin du futur n’aura pas seulement à acquérir un savoir, mais aussi à le penser.