C’est une publicité qui vogue sur les ondes radiophoniques et musicales françaises. Une incitation directe à acheter du pastis industriel que l’on dit fabriqué à Marseille. En acheter si possible en quantité. Il y est question d’une promotion à durée limitée et d’un litre quasiment soldé à 16.05 euros. Sur la Toile, on le trouve à l’étage de « deux cocktails prêts à servir, aux recettes fruitées et aux saveurs fraîches (12,5 % ; 9.71 euros la bouteille) créés par l’alcoolier en collaboration avec une mixologiste de France 2008 ». On peut, bien sûr, être livré sans se déplacer.
En France, les alcoologues peuvent désormais compter avec la « Fondation pour la recherche en alcoolo-gie » (FRA). Créée en décembre dernier, cette structure prend la suite de l’IREB (Institut de recherches scientifiques sur les boissons). Placée sous l’égide de la Fondation de France, elle est, elle aussi, financée par les alcooliers industriels. Objectif : développer et partager la « connaissance sur l’alcool ». Il y a quelques jours, un travail financé par cette FRA nous apprenait que le montant total de la recherche publique française en alcoologie avait été de 3,1 M€ en 2014 et de 3,4 M€ en 2015. A comparer, nous disaient les grands alcooliers français, au budget du seul National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism américain (430 M€). Ou à celui de l’Alcohol Research UK (16 M€).Comment justifier les raisons de ce troublant paradoxe français ? Que fait l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ?
on peut penser qu’il n’est pas très noble de travailler sur l’alcool
« L’IREB/FRA est le seul organisme à financer en France la recherche sur l’alcool et les sommes versées sont dérisoires, de l’ordre de 7000 euros par an, nous explique le Pr Gabriel Perlemuter (chef du Service hépato-gastroentérologie et nutrition, Hôpital Antoine-Béclère – Université, Paris-Sud ; Inserm U996, Microbiote intestinal, macrophages et inflammation hépatique). L’Inserm avait, il y a une dizaine d’années, des financements, notamment une “ action thématique concertée ” dédiée à l’alcool. Cette action a disparu. On peut penser qu’il n’est pas très noble de travailler sur l’alcool, je pense. Même en l’approchant par une voie différente comme via le microbiote. »
Autre son, mais même musique, pour Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. « Nous sommes confrontés à la défaillance de la recherche institutionnelle, et au refus des industriels de cotiser à un fonds de recherche qu’ils ne contrôleraient pas, dit-il. D’un côté, la pénurie de financement indépendant qui laisse la majorité des chercheurs et cliniciens sans aide, comme le montre le témoignage de nos collègues ; de l’autre côté, les alcooliers qui instrumentalisent la recherche. »
Il existe, en France, une « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » (MILDECA). Elle vient d’être battue à plate couture (par le gouvernement et le Parlement), dans le match à grand spectacle intitulé « détricotage de la loi Evin ». Le tricot était, ici, à mailles très larges et protégeait, autant que faire se pouvait, contre les incitations publicitaires à boire de l’alcool. La MILDECA annonce qu’elle va « prendre sa revanche sur le lobby de l’alcool en 2016 ».
« Nous sommes sortis victorieux de la lutte contre le lobby du tabac mais nous restons modestes, rien n’est jamais acquis, il n’est pas un jour sans que je ressasse notre échec face aux industriels de l’alcool », a expliqué sa présidente, Danièle Jourdain Menninger, lors de ses vœux annuels. Afin de préparer les futures politiques de prévention et de lutte contre l’alcoolodépendance, la MILDECA annonce rédiger actuellement « une lettre de saisine destinée à l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) ». Il s’agit de « réclamer une expertise collective rassemblant les connaissances scientifiques concernant l’alcool ». Aviesan est une vaste structure qui rassemble les grands acteurs en sciences de la vie et de la santé en France. Son ambition ? Tout simplement « renforcer l’excellence et le positionnement mondial de la recherche française dans ce domaine ». Pour la santé et la recherche médicale, on trouve, au sein d’Aviesan, l’Inserm. Les grands alcooliers ont-ils pris la mesure de la puissance de leurs adversaires français ?
On ne lit plus guère Kessel de nos jours. « L’écrivain et grand journaliste Joseph Kessel apparaît aujourd’hui négligé par les lecteurs, sauf pour son indéboulonnable Lion, paru en 1958, inscrit dans les mémoires et toujours chouchou de la pédagogie scolaire » écrit, dans Libération, Frédérique Roussel. Mais il ne faut jamais désespérer des grands journalistes du passé, ces journalistes qui pouvaient faire croire qu’ils étaient aussi des aventuriers. Ainsi, un nouvel ouvrage vient-il de paraître,1 qui aborde une facette méconnue du grand homme. Il est signé de Georges Walter, autre journaliste d’une époque surannée, par ailleurs parolier de Juliette Gréco. Il fut un temps où les journalistes étaient sans clavier et pouvaient écrire des chansons ; un temps où les chanteuses chantaient des chansons à texte.
Passons sur le fil rouge du livre (ce livre que Kessel aurait pu écrire sur sa mère Raïssa mais qu’il n’écrivit pas) et rappelons que ce fut Kessel, immense buveur, qui « importa » en 1960, Les Alcooliques anonymes (Gallimard) sur le Vieux Continent. Kessel qui vécut longtemps (c’est l’un des objets du livre) avec une femme d’origine irlandaise souffrant d’une maladie alcoolique qui résista à tous les traitements.
Georges Walter a vécu, vers la fin, au plus près du couple Kessel. Il choisit de démarrer son récit par l’arrivée des Kessel sur les lieux de la première cure de « désintoxication » de Michèle O’Brien. « On avait affaire à une personnalité originale et farouche, une belle intelligence et un grand cœur qui, sous l’effet de la boisson, se métamorphosait tantôt en bouffonne vaseuse, tantôt en furie au langage ordurier. » C’était le 24 juin 1964, quatre ans après la publication des Alcooliques anonymes, au début de l’émergence des « AA » en France. Kessel mourra d’une rupture d’anévrisme de l’aorte le 23 juillet 1979, sous les yeux de Georges Walter.