L’ulcère cutané (ulcus) se définit comme une perte de substance qui concerne l’épiderme et la couche papillaire du derme qui peut s’étendre dans le tissu sous-cutané et apparaît toujours en présence de tissus sous-jacents pathologiques. Ceci différencie un ulcère d’une plaie car celle-ci est une perte de substance infligée à un tissu sain.1
Les lésions ulcéreuses des membres inférieurs qui sont des symptômes et non des diagnostics peuvent avoir des origines diverses et multiples : vasculaires dans la majorité des cas (artériel ou veineux), immunologiques (syndrome de Sweet, dermatose pustuleuse sous-cornée, pyoderma gangrenosum (PG)), infectieuses (tuberculose, mycobactérie, syphilis, leishmanioses, herpès), néoplasique (carcinome basocellulaire, carcinome spinocellulaire, Marjolin…) et paranéoplasiques (lymphome). Cependant, la grande majorité d’entre eux est constituée par les ulcères apparaissant dans le cadre de l’évolution d’une pathologie vasculaire sous-jacente, artérielle ou veineuse, macro ou microangiopathique.
L’étiologie de l’ulcère va définir la prise en charge thérapeutique. Les examens complémentaires tels que bilan angiologique, frottis bactériologique, sérologies ou biopsie cutanée permettent en général d’établir le diagnostic.
En résumé, pour tout ulcère non expliqué par des troubles vasculaires, une biopsie des berges de l’ulcère doit être effectuée pour une étude histologique et bactériologique.
Lorsque les examens cliniques et paracliniques n’ont pas permis de poser un diagnostic étiologique, le clinicien se doit d’évoquer le diagnostic d’exclusion que représente le PG.
Il n’existe aucun test pathognomonique mais il est crucial de ne pas aggraver ces lésions par une intervention chirurgicale, cette dernière pouvant entraîner une réaction de pathergie 1 (exacerbation des lésions cutanées lors de traumatismes mineurs, par exemple, sites de biopsies ou piqûres).
La prise en charge du PG repose exclusivement sur un traitement systémique de corticoïdes associés ou non à d’autres immunomodulateurs. La chirurgie n’a de place que pour des débridements minimes de parties nécrotiques, limitant de ce fait les surinfections bactériennes. Elle devrait se faire uniquement chez un patient ayant déjà débuté une corticothérapie systémique au vu du risque de réactions pathergiques.
Les caractéristiques cliniques du PG ont été décrites pour la première fois par Brunsting en 1930.2 Le PG reste à ce jour une pathologie relativement rare avec environ 700 cas publiés dans la littérature, dont une analyse rétrospective de 259 patients en Allemagne.3–7 L’incidence est évaluée à 0,3-1 / 100 000 personnes / année.8 Il touche principalement les patients entre 30 et 50 ans et reste rare chez les enfants (3 à 4 %).9 La lésion peut débuter par une simple pustule accompagnée d’un érythème inflammatoire. Une progression rapide en ulcère douloureux avec des signes systémiques tels un état fébrile, un malaise, des myalgies ou des arthralgies est parfois retrouvée. Des variantes atypiques bulleuses ou végétatives ont également été décrites. On les retrouve plus fréquemment sur les membres inférieurs mais elles peuvent également toucher d’autres parties du corps.7,10
Cette pathologie fait partie des dermatoses neutrophiliques ayant comme caractéristiques un infiltrat inflammatoire composé essentiellement de polymorphonucléaires. On compte parmi les autres formes cliniques de dermatoses neutrophiliques, la dermatose aiguë fébrile neutrophilique (syndrome de Sweet), l’hidradénite eccrine neutrophilique, l’erythema elevatum diutinum et la dermatose pustulaire sous-cornée (syndrome de Sneddon-Wilkinson).11 L’étiologie reste inconnue mais, dans plus de la moitié des cas, on retrouve une association avec des maladies systémiques telles que les maladies inflammatoires digestives (rectocolite ulcéro-hémorragique (RCUH) ou maladie de Crohn),12,13 les pathologies rhumatologiques (arthrite)14 ou les maladies malignes (leucémie, myélome, tumeurs solides).2,15,16
Le but de cet article est de présenter l’association rare d’un PG à une tumeur solide (ici un cancer du sein dépassé) pour illustrer l’importance diagnostique de cette entité pathologique afin d’éviter des aggravations iatrogènes.
Nous rapportons l’observation d’une patiente de 65 ans, arrivée au stade terminal d’un cancer du sein dépassé avec métastases osseuses et hépatiques, sans autre comorbidité associée (cancer du sein non opéré selon la volonté de la patiente, cette dernière refusant également une prise en charge pharmacologique).
De façon concomitante à l’apparition du cancer, la patiente développe une lésion ulcéreuse de la malléole interne gauche (figure 1). Aucun diagnostic étiologique n’est posé et l’ulcère est traité initialement par l’application de pansements topiques dans différents centres de soins, sans amélioration. Devant une évolution défavorable et des douleurs difficilement gérables, une prise en charge chirurgicale est demandée, raison pour laquelle la patiente est adressée au service de chirurgie plastique. Le bilan sanguin fait état d’une absence de leucocytose avec une CRP à 24 mg / l. L’examen bactériologique révèle la présence de germes contaminants (bacille Gram négatif type proteus, staphylocoque doré et flore anaérobie). Le bilan angiologique est dans la norme. L’histopathologie conclut à un remaniement cicatriciel sans signe de malignité ni de vasculite, mais mentionne un infiltrat diffus de polymorphonucléaires. Malgré l’absence de diagnostic précis et, au vu de l’amélioration de l’état nutritionnel, essentiel pour la cicatrisation, un débridement chirurgical est réalisé dans le but de préparer la plaie à une greffe de peau. L’évolution est défavorable avec une augmentation de la taille de la lésion faisant suspecter le diagnostic de PG. Un traitement par corticoïdes topiques est alors débuté. L’évolution montre l’apparition d’un tissu de granulation et une épithélialisation des bords de la plaie. Une greffe de peau mince est alors effectuée (figure 2), permettant une cicatrisation de la plaie en deux semaines.
L’étiologie et la pathogenèse du PG restent actuellement incomprises même si des anomalies du système immunitaire ont été décrites. Le PG est une atteinte cutanée rare caractérisée par une ulcération bourgeonnante de couleur rouge à violacée avec des bords bien délimités mais irréguliers qui ne guérit pas avec des traitement conventionnels. La plaie est souvent couverte de dépôts jaunâtres faisant faussement penser à du pus d’où le nom pyoderma (figure 1).
Un diagnostic précoce est important afin d’éviter les phénomènes de pathergies aboutissant à des séquelles plus importantes.
Nous rapportons le cas d’une rare association de PG avec un cancer du sein métastatique. La revue de la littérature montre une association à des tumeurs solides dans seulement dix cas selon les études de Powell,5 von den Driesch,6 Bennett 7 et Al Ghazal et dans 22 cas selon l’étude retrospective de Al Ghazal (cancers mammaire, pulmonaire, prostatique, ovarien, colorectal ou laryngé, glioblastome ou mélanome).3
Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion essentiellement basé sur la clinique et l’association à d’autres maladies systémiques qui est présente dans environ 50 % des cas.4 C’est le cas chez notre patiente puisque l’ulcère ne présentait aucune spécificité et un microbiome mixte contaminant comme dans tous les ulcères. De même, l’histologie a montré un infiltrat de polymorphonucléaires retrouvé très souvent dans les plaies contaminées. L’association à une tumeur solide (8,5 %) reste rare comparée à la fréquence de son association à des maladies digestives (22,5 %)17,18 où articulaires auto-immunes (18,5 %). Il existe également quelques associations décrites avec des désordres hématologiques (syndromes myélodysplasiques,19 leucémies myéloïdes,20 thrombocytémie essentielle 21). L’association à un cancer du sein a été décrite occasionnellement dans la littérature.22–24 Toutefois, le PG reste une complication redoutée dans la chirurgie du sein (réduction mammaire, mastopexie, reconstruction mammaire)25–30 comme dans toutes les autres chirurgies. A noter que lors de lésions mammaires, la plaque aréolo-mammelonaire est toujours respectée.
Une maladie systémique doit être recherchée activement lors du diagnostic de PG. Le diagnostic différentiel des lésions cutanées ulcérées inclut les vasculites, les insuffisances artérielle ou veineuse, les maladies infectieuses, les morsures d’insectes et les lésions néoplasiques. Un bilan angiologique, un frotti bactériologique et une biopsie cutanée doivent être effectués. L’histologie, qui n’est pas spécifique, révèle un infiltrat inflammatoire à prédominance de polymorphonucléaires, des thrombus localisés ainsi qu’une nécrose de l’épiderme. L’immunohistochimie peut retrouver des dépôts périvasculaires d’IgM et de C3.31 A noter qu’il n’existe aucun test de laboratoire pathognomique.32,33
Le PG est plus fréquemment décrit aux membres inférieurs.4 Plus rarement, on le retrouve au niveau des stomies 34,35 des organes génitaux externes 36,37 et de la muqueuse buccale 38,39 (à différencier d’une maladie de Behçet). Une autre variante orale du PG est la pyostomatite végétante.40
Le traitement adéquat doit être mis en place le plus tôt possible afin de limiter les séquelles fonctionnelles ou esthétiques. A noter qu’il n’existe aucun traitement spécifique, raison pour laquelle différentes approches simultanées peuvent être instaurées. En association à des traitements classiques de plaies, des agents antimicrobiens topiques sont utiles pour diminuer la charge bactérienne. Une oxygénothérapie hyperbare a été décrite avec succès.41 Les corticoïdes locaux ou en injection intralésionnelle ont également démontré leurs bénéfices.42 Lorsque le traitement local est insuffisant, une thérapie systémique par corticoïdes peut être débutée (méthylprednisolone 0,5-1 mg / kg / jour). Il est néanmoins important de tenir compte des effets secondaires induits par le traitement.43,44 Lors de non-réponse aux corticoïdes, un traitement par agents immunosuppresseurs peut être entrepris : azathioprine, cyclophosphamide, chlorambucil, ciclosporine A, tacrolimus et mycophénolate mofétil. Dernièrement, des agents immunomodulateurs ont été prescrits avec succès (thalidomide, infliximab).
Le PG est une entité mal connue et de ce fait probablement sous-diagnostiqué. Il se développe spontanément dans la majorité des cas, mais on le retrouve fréquemment après des traumatismes mineurs ou des interventions chirurgicales. Ces dernières années, on a retrouvé une tendance à une réaction inflammatoire généralisée avec une augmentation des cytokines pro-inflammatoires tel le TNF-α (TRECID : TNF-α related chronic inflammatory diseases),45 raison pour laquelle le PG peut répondre favorablement aux agents immunomodulateurs.
Un diagnostic précoce est donc crucial pour guider la prise en charge thérapeutique et permet de limiter les séquelles fonctionnelles ou esthétiques que peut engendrer une réaction de pathergie.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Une recherche PubMed des articles publiés depuis 1930 (2435 références) sur le thème du pyoderma gangrenosum. Une sélection des articles avec une revue rétrospective de cas et les publications récentes ont été pris en compte. Un sous-ensemble de critères a été utilisé avec comme mots-clés : pyoderma, revues, traitements, seins, dermatose neutrophilique.