Parmi l’arsenal thérapeutique des adeptes de la médecine antiâge, la testostérone tient une place importante, y compris chez les femmes, puisqu’elle est souvent présentée comme « l’hormone du désir ». L’âge étant généralement associé à une baisse de la libido, elle est ainsi largement utilisée dans certains pays comme les Etats-Unis, sans pour autant avoir été approuvée dans cette indication. Y a-t-il donc une place pour la testostérone dans le trouble du désir sexuel chez la femme ?
Parmi les dysfonctionnements sexuels chez la femme, le trouble du désir sexuel hypoactif (DSH) est le plus fréquent, touchant en moyenne 10 % de la population féminine, en particulier les femmes avec une ménopause chirurgicale (ovariectomie bilatérale), chez qui la prévalence de ce trouble peut atteindre 25 %.1–3 Il se définit comme une déficience ou l’absence de fantasmes sexuels et de désir d’activité sexuelle provoquant une détresse (distress) personnelle ou interpersonnelle. Le trouble du DSH ne se limite donc pas uniquement à une baisse du désir dont la fréquence est beaucoup plus élevée. Dans ce dysfonctionnement, la diminution du désir engendre une souffrance en rapport avec la vie sexuelle du couple (diminution de l’activité et de la satisfaction sexuelles) ou l’état psychologique de la femme (par exemple, sentiment de frustration ou de tristesse, perte de la féminité ou de l’estime de soi).
Chez la femme, 50 % de la testostérone circulante sont produits directement par les ovaires et les glandes surrénales alors que l’autre moitié provient de la conversion périphérique de précurseurs hormonaux tels que la DHEA (déhydroépiandrostérone). Avec l’âge, on assiste à une diminution progressive de la production de testostérone qui n’est pas directement influencée par la ménopause naturelle. En effet, si la production ovarienne des œstrogènes est abolie à la ménopause, les ovaires gardent une capacité à produire de la testostérone. Dans le cas d’une ménopause chirurgicale, on assiste à une diminution plus importante du taux de testostérone, de l’ordre de 50 % par rapport aux femmes avec une ménopause naturelle.
Le désir sexuel est modulé, au niveau du système limbique et du cortex cérébral, par des neurotransmetteurs et des hormones sexuelles. La théorie du Dual Control Model considère que le désir résulte d’une balance entre des mécanismes excitateurs (dopamine, testostérone, œstrogènes…) et inhibiteurs (sérotonine, prolactine, opioïdes…) au niveau central. La baisse de la libido serait donc la conséquence d’une diminution de l’activité d’excitation ou d’une augmentation de l’activité d’inhibition. Bien évidemment, le désir sexuel ne peut être réduit à une « simple » activité neuro-hormonale. D’autres éléments tels que certaines conditions de santé, des médicaments, des facteurs psychosociaux ou psychologiques, l’influencent également (tableau 1).
Les hormones sexuelles ne font pas le désir, mais celui-ci est clairement sujet à une influence hormonale. Toutefois, la question de savoir si le désir sexuel est avant tout dépendant des œstrogènes ou des androgènes reste un sujet controversé.
En 2013, Roney et Simmons montrent, chez des femmes réglées, que l’augmentation du désir sexuel au milieu du cycle semble être davantage liée au taux d’œstradiol que de testostérone.5 Cette étude vient confirmer une publication antérieure, ayant suivi des femmes au cours de la période de transition menant à la ménopause, qui montrait également une association préférentielle entre la baisse du désir et la diminution du taux d’œstradiol.6 Il est toutefois difficile de savoir s’il s’agit d’une relation de cause à effet directe par action centrale sur le désir ou indirecte. En effet, les symptômes de carence œstrogénique (troubles du sommeil, bouffées de chaleur, sécheresse vaginale, modification de l’humeur), dont souffrent bien des femmes à la ménopause, peuvent également contribuer à une baisse de la libido.
Le traitement hormonal substitutif (THS) contenant des œstrogènes permet de diminuer les symptômes vasomoteurs et d’améliorer la qualité du sommeil, le bien-être général et la sécheresse vaginale. Bien que certaines études aient montré un bénéfice du THS sur le désir sexuel, un tel effet n’a pas été confirmé dans d’autres publications, notamment chez les femmes souffrant d’un trouble du DSH.1,7–10
Plusieurs études n’ont pas mis en évidence de lien entre le taux d’androgènes et le désir sexuel chez la femme.10,11 Par contre, si le trouble du DSH touche à la fois les femmes préménopausées et ménopausées, le risque est deux à trois fois plus élevé chez les femmes avec une ménopause chirurgicale.1–3 L’une des explications avancées tient à la diminution significative de la testostérone après ovariectomie bilatérale par rapport aux femmes avec une ménopause naturelle.
La raison pour laquelle la testostérone influencerait le désir sexuel reste méconnue. Une hypothèse évoque une métabolisation par l’enzyme aromatase de la testostérone en œstradiol au niveau cérébral. L’augmentation de l’œstradiol intracellulaire dans certains tissus cibles du système nerveux central pourrait ainsi augmenter la libido. Une autre hypothèse, en faveur d’une synergie entre les œstrogènes et la testostérone, concerne la protéine de transport des hormones sexuelles, la SHBG (Sex Hormone Binding Globulin). Celle-ci ayant une meilleure affinité pour la testostérone que pour l’œstradiol, une augmentation de la testostérone va entraîner une plus grande liaison SHBG-testostérone et ainsi libérer de l’œstradiol actif. Enfin, la testostérone semble pouvoir moduler la dopamine, neurotransmetteur central probablement le plus impliqué dans la libido, et il n’est pas exclu qu’elle puisse également avoir un effet central direct sur le mécanisme du désir sexuel.
Différentes préparations de testostérone ont été utilisées (comprimés, injections, implants sous-cutanés) avec une préférence, dans les études les plus récentes, pour la voie percutanée (patch, crème ou gel). Les sujets inclus dans ces études étaient majoritairement des femmes avec une ménopause chirurgicale chez qui un traitement de testostérone a été ajouté à un THS standard (œstrogène ± progestatif). Une revue Cochrane de 2005, comparant un traitement associant testostérone et THS à un THS seul, a montré que la prise de testostérone était associée à un bénéfice significatif sur différents paramètres de la sexualité, notamment le désir.12 Parmi ces publications, les études INTIMATE SM 1 et 2 ont inclus des femmes avec une ménopause chirurgicale substituée par œstrogènes et un trouble du DSH, traitées en double aveugle durant 24 semaines par patch de testostérone 300 µg / jour ou placebo.13,14 Un bénéfice en faveur du traitement de testostérone a été retrouvé pour tous les domaines de la fonction sexuelle, notamment le désir, le plaisir, l’excitation et l’orgasme. Concernant le désir sexuel, celui-ci s’est amélioré significativement dans le groupe testostérone (56 % pour INTIMATE SM1 et 49 % pour INTIMATE SM2) par rapport au groupe placebo (29 % et 18 %). La souffrance personnelle en lien avec le trouble du DSH a été significativement réduite par le traitement de testostérone dans les deux études INTIMATE SM (-65 % et -68 % dans le groupe testostérone contre -40 % et -48 % dans le groupe placebo). Il est à relever que les taux de testostérone plasmatique mesurés avec le patch de 300 µg / jour se sont révélés supraphysiologiques. A noter également un effet placebo marqué dans ces deux études, confirmant l’importance de facteurs psychologiques.
Peu d’études ont comparé l’effet d’un traitement de testostérone par rapport au placebo chez des femmes ménopausées sans THS. La publication principale de Davis et coll. (2008) a comparé, chez plus de 800 femmes avec une ménopause naturelle ou chirurgicale et un trouble du DSH, l’efficacité d’un patch de testostérone à deux dosages différents (150 et 300 µg / jour) durant 24 semaines par rapport à un groupe placebo.15 L’étude conclut à un bénéfice significatif, toutefois modéré, sur le désir sexuel (et la détresse personnelle en lien avec ce manque de désir) dans le groupe traité par testostérone, avec un effet plus marqué pour le patch de 300 µg / jour par rapport au dosage plus faible. Là encore, les taux de testostérone plasmatique obtenus sous un dosage de 300 µg / jour étaient supraphysiologiques, ce qui peut soulever quelques interrogations sur la sécurité d’un usage à long terme du patch à un tel dosage. Cette étude a notamment permis de montrer que le bénéfice de la testostérone sur le désir sexuel n’est pas dépendant d’une prise d’œstrogènes en parallèle comme certaines hypothèses l’avançaient.
En dernier lieu, très peu d’études se sont intéressées à la prescription de testostérone chez des femmes préménopausées avec un trouble du désir sexuel. Bien qu’un bénéfice semble présent, la qualité des études et les résultats ne permettent pas d’en tirer des conclusions.
L’une des préoccupations quant aux risques à long terme d’un traitement de testostérone chez la femme concerne le cancer du sein. En effet, certaines publications ont conclu, chez des femmes ménopausées, à une association positive entre le taux de testostérone plasmatique et le risque de cancer du sein, sans qu’une relation de cause à effet ait pu toutefois être démontrée. Concernant les travaux incluant des femmes ménopausées avec un trouble du DSH, traitées par testostérone, les études observationnelles ont mené à des résultats contradictoires et on ne dispose pas d’études randomisées de longue durée permettant de répondre à la question.16
La problématique est identique concernant un éventuel risque cardiovasculaire. Là encore, si certains travaux ont évoqué une association positive entre le niveau de testostéronémie et le risque de complications cardiovasculaires par un possible effet athérogène ou thrombotique, on ne dispose pas d’études valables évaluant ce risque après une utilisation de testostérone prolongée chez des femmes ménopausées.
Finalement, les effets secondaires principaux du traitement de testostérone sont, sans surprise, d’ordre androgénique (principalement hirsutisme, acné et alopécie). Ils sont toutefois relativement peu fréquents si la testostéronémie reste dans des valeurs physiologiques, généralement de degré léger et le plus souvent réversibles à l’arrêt du traitement. Au cours des différentes études d’une durée de 3-6 mois, ces effets secondaires androgéniques n’ont que rarement été la cause d’un arrêt de la testostérone.
A la lumière de ces données et résultats, l’Endocrine Society a publié, en 2014, une mise à jour de ses recommandations concernant l’utilisation de la testostérone chez les femmes et certaines limites de celle-ci, notamment dans le cadre d’un trouble du désir sexuel :17
en dehors de méthodes de mesure de référence comme la spectrométrie de masse, les dosages de testostérone ne sont pas standardisés, sont peu précis et peu sensibles pour des valeurs basses telles que celles retrouvées chez les femmes. Il n’y a pas de corrélation entre le taux de testostérone et la présence de symptômes et, de ce fait, il n’existe pas de valeur seuil au-dessous de laquelle on peut considérer qu’il existe un probable déficit androgénique. Le dosage de testostérone n’est donc pas utile pour sélectionner les sujets à traiter.
Il n’y a pas de préparation de testostérone à dose physiologique pour un usage chez les femmes, disponible et approuvée. L’unique traitement ayant reçu une autorisation de mise sur le marché en Europe il y a quelques années (patch Intrinsa 300 µg / jour) n’est toutefois plus disponible actuellement et n’a jamais été approuvé en Suisse ou aux Etats-Unis, où la Food and Drug Administration attendait encore des données sur la sécurité à long terme.
Outre l’absence d’études concernant la sécurité à long terme, notamment cardiovasculaire et sur le risque de cancer du sein, on ne dispose pas de données scientifiques suffisantes concernant l’usage de testostérone chez les femmes préménopausées avec une baisse de la libido.
Finalement, la seule situation où un traitement de testostérone peut être considéré sur la base de données scientifiques, bien que de qualité moyenne, est donc le trouble du DSH chez les femmes ménopausées. Dans ce cas, en l’absence de contre-indication (par exemple : cancer du sein, maladie cardiovasculaire), une préparation – magistrale vu le manque de traitement disponible – à base de testostérone peut être proposée, en privilégiant une administration percutanée pour une durée de trois à six mois. Toutefois, en dehors du patch de 300 µg / jour, les experts ne se prononcent pas sur la posologie recommandée des crèmes ou gels éventuellement utilisables (N.B. : certaines études ont utilisé un gel de testostérone dosé à 10 mg / jour).18 Bien que le dosage de la testostéronémie totale soit sujet à bon nombre de limites, un contrôle de celle-ci est recommandé en cours de traitement pour éviter des taux supraphysiologiques associés à plus d’effets secondaires, notamment androgéniques.
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le trouble du désir sexuel est fréquent dans la population féminine et la testostérone est l’un des facteurs impliqués dans son mécanisme
▪ Le dosage de la testostéronémie est peu utile dans le bilan d’une baisse de la libido car il n’y a pas de corrélation entre le taux de testostérone et les symptômes
▪ Un bénéfice du traitement de testostérone percutané a été démontré chez les femmes ménopausées avec un trouble du désir sexuel hypoactif
▪ Il n’y a toutefois pas de préparation de testostérone disponible et approuvée en Suisse dans cette indication, ni de garantie quant à la sécurité à long terme d’un tel traitement