Les maladies allergiques représentent un problème de santé publique qui prend des proportions pandémiques dans les pays industrialisés.1 En Europe, plus de 150 millions de personnes en sont affectées, ce qui en fait la plus fréquente des maladies chroniques. La population pédiatrique est particulièrement concernée puisqu’un enfant sur trois souffre actuellement d’une allergie et les prévisions sur dix ans sont alarmantes.2 Après les allergies respiratoires qui ont augmenté considérablement au cours des dernières décennies, l’allergie alimentaire est apparue comme une « seconde vague » de l’épidémie et atteint actuellement une ampleur inattendue ; 10 % de la population pédiatrique est concernée dans certaines régions du monde.3 Elle est de plus la principale cause de réactions anaphylactiques sévères en Europe.4 Compte tenu de l’impact de ces maladies sur la qualité de vie et les restrictions sociales qu’elles peuvent impliquer, il est impératif de disposer des outils adéquats en vue d’un diagnostic fiable. Ceci est d’autant plus important que la perception individuelle de l’allergie dépasse largement la prévalence réelle confirmée par des tests de provocation oraux (TPO). Dans le système de santé suisse, le médecin de premier recours est le relais initial de ces patients et est ainsi confronté à un défi diagnostique considérable. Cet article a pour but de souligner les particularités de l’allergie alimentaire pédiatrique et d’en dégager les principales modalités diagnostiques, en tenant compte des récentes évolutions dans ce domaine.
L’allergie alimentaire peut prendre des visages très divers en fonction du mécanisme pathogénique sous-jacent. Il convient de distinguer l’allergie de type immédiat (médiée par la présence d’anticorps IgE), de l’allergie non IgE-médiée d’expression généralement plus tardive comme la proctocolite ou l’entérocolite allergique. Certaines formes chevauchantes sont décrites, comme l’œsophagite à éosinophiles et un même patient peut présenter conjointement ou successivement des manifestations immédiates et retardées. Les principales entités cliniques de l’allergie alimentaire sont décrites dans le tableau 1.
Au-delà de ces premières considérations, l’expression clinique de l’allergie alimentaire varie en fonction de nombreux facteurs incluant notamment l’âge, la nature de l’aliment ou la présence de facteurs favorisants tels que l’effort physique et la prise concomitante de médicaments ou de toxiques. Ainsi, alors que les manifestations cutanées et digestives prédominent chez l’enfant en bas âge, les présentations cutanéo-muqueuses et respiratoires deviennent prépondérantes dès l’âge scolaire. De plus, bien qu’une allergie soit possible avec n’importe quel aliment, une minorité d’entre eux occasionnent la plupart des réactions. Les allergènes les plus fréquents dans l’enfance sont l’œuf de poule, le lait de vache, les cacahouètes, les oléagineux (noisette, noix, amande), le blé et le poisson.5 Le syndrome oral croisé, induit par une sensibilisation primaire aux allergènes respiratoires, prend de l’ampleur à partir de l’âge scolaire et devient prépondérant à l’adolescence.
L’évolution naturelle de l’allergie alimentaire est décrite comme favorable chez l’enfant, mais le taux de résolution dépend largement de l’allergène considéré.6 L’allergie au lait de vache, à l’œuf, au soja et au blé a généralement un pronostic favorable, avec une résolution avant l’âge scolaire dans la plupart des cas.7 A l’inverse, l’allergie au poisson, aux crustacés, au sésame, à la cacahouète ainsi qu’aux oléagineux a tendance à perdurer plus longtemps,8 même si la littérature n’est pas unanime à ce sujet.9
Le diagnostic de l’allergie alimentaire repose premièrement sur une évaluation clinique incluant un interrogatoire détaillé et un examen physique dirigé (cutané, ORL, digestif et respiratoire). Cette étape primordiale s’intéressera à caractériser la nature et la sévérité des symptômes, leur délai de survenue par rapport aux repas, leur fréquence, leur reproductibilité vis-à-vis d’un aliment ainsi que le contexte associé. Le diagnostic différentiel de l’allergie alimentaire est vaste chez l’enfant, particulièrement en ce qui concerne les formes non IgE-médiées qui sont fréquemment confondues avec des étiologies infectieuses dans un premier temps. Des pathologies aussi variées qu’une maladie de reflux gastroœsophagien, une sténose hypertrophique du pylore, une malrotation intestinale, un volvulus, une maladie de Hirschsprung, une maladie inflammatoire de l’intestin ou une cœliaquie peuvent également être évoquées.
Une suspicion d’allergie alimentaire doit être confirmée par des tests validés qui peuvent être réalisés à n’importe quel âge, lorsqu’ils sont indiqués. Pour les allergies IgE-médiées, des tests in vivo (tests cutanés avec extraits allergéniques commerciaux ou avec l’allergène natif) et in vitro (dosage des IgE spécifiques et recombinants) sont utilisés. Il est important de relever qu’aucun de ces tests n’a de valeur diagnostique en soi, à moins que l’aliment considéré n’ait été clairement associé à des symptômes allergiques. Des valeurs seuils peuvent également faciliter cette démarche mais leur reproductibilité varie en fonction de l’âge et de facteurs épidémiologiques, ce qui rend leur interprétation difficile.10
La valeur prédictive des tests dépend également du degré de suspicion initial (probabilité prétest) et du rapport de vraisemblance (likelihood ratio) qu’il s’agit de définir préalablement sur la base de l’anamnèse et des données épidémiologiques disponibles.11
En guise d’exemple, un enfant atopique a une forte probabilité de présenter une allergie à la cacahouète en cas de réactions anaphylactiques répétées à l’ingestion isolée de cet aliment (probabilité prétest élevée). Dans ce cas, un test cutané positif suffit à confirmer le diagnostic sans équivoque (figure 2).
A l’inverse, un adolescent allergique aux pollens, qui a arrêté de consommer des cacahouètes il y a trois mois en raison d’un test positif, a peu de chances d’avoir développé une allergie dans l’intervalle (faible probabilité prétest). Des tests additionnels peuvent alors s’avérer utiles avant de prévoir une réintroduction le cas échéant (figure 3).
L’essor des allergènes recombinants a permis une avancée significative et l’utilité clinique de ces tests est aujourd’hui reconnue pour de nombreux allergènes.12 La possibilité de différencier les composants d’une source allergénique offre une plus-value diagnostique (exclusion des faux positifs) sous réserve d’une utilisation rigoureuse et d’une bonne connaissance des composants moléculaires. Cela permet également de stratifier le risque de réaction systémique selon le profil de sensibilisation (polcalcines < CCD (Cross-reacting Carbohydrate Determinants) < profilines < PR-10 (pathogenesis related-10) < LTP (Lipid transfer protein) < protéines de stockage), d’identifier les facteurs de persistance ou de résolution de l’allergie,13 et d’offrir des recommandations d’éviction plus ciblées. Le tableau 2 résume les principales implications pratiques de l’usage des recombinants dans le domaine des allergies alimentaires.
Le diagnostic de l’allergie non IgE-médiée repose essentiellement sur la clinique. L’utilité des tests épicutanés (atopy-patch tests) n’est pas établie et son utilisation reste marginale en allergologie. Un test d’éviction / réintroduction peut en revanche être proposé afin de confirmer le diagnostic. Les modalités de ce test dépendent du mode de présentation initial et de l’évaluation du risque de réaction systémique à la réexposition.
Les TPO pratiqués en double aveugle versus placebo représentent le « gold standard » diagnostique de l’allergie alimentaire. Ils consistent en l’ingestion d’un aliment incriminé à doses progressives, en vue d’exclure ou de documenter une résolution de l’allergie. Dans certaines situations, un TPO permet de confirmer une allergie suspectée, de déterminer un seuil de réactivité et d’aider le patient à reconnaître les signes précoces d’allergie en vue d’une meilleure gestion.
Pour des raisons pratiques, les TPO sont fréquemment effectués de manière ouverte. Ils nécessitent une supervision médico-infirmière spécifiquement formée et un environnement équipé pour faire face à une réaction anaphylactique potentiellement sévère.
La diversification alimentaire est une période charnière dans le développement des allergies de l’enfant. Des données récentes ont par ailleurs confirmé l’intérêt d’une introduction précoce d’aliments potentiellement allergéniques dans un but préventif sous certaines conditions.14
La prise en charge traditionnelle d’une réaction allergique consiste à proposer une éviction stricte de l’aliment concerné et à fournir une instruction en vue d’un traitement rapide des effets indésirables en cas d’ingestion accidentelle. Certaines situations exigent de plus une approche anticipative, qui comprend également l’identification des allergènes associés à l’aliment ayant causé la réaction initiale.15 Ceci est justifié par un taux important de coallergies chez l’enfant atopique. Ainsi, une sensibilisation à la cacahouète doit être activement dépistée (tests cutanés ou IgE spécifiques) chez un enfant souffrant d’une allergie à l’œuf (coallergies dans 20-30 % des cas). De même, lors d’une allergie documentée à la cacahouète, un dépistage est proposé pour les fruits à coque (30-40 % de coallergies) ou le sésame (environ 25 %). En cas de résultat positif, il faut considérer une réintroduction sous supervision médicale afin de déterminer la pertinence clinique de la sensibilisation.
La dermatite atopique (DA) est une maladie primairement dermatologique qui affecte fréquemment le nourrisson et l’enfant en bas âge et s’associe à un défaut de la barrière cutanée. Néanmoins, un tiers des jeunes enfants qui présentent une DA modérée à sévère souffrent également d’une allergie alimentaire associée.16 Chez l’enfant de moins de 3 ans, il est ainsi recommandé de rechercher activement une sensibilisation à l’œuf et au lait de vache ainsi qu’aux allergènes alimentaires les plus répandus (blé, cacahouète, oléagineux, poisson). Chez l’enfant plus âgé, la prévalence des allergies alimentaires diminue en raison de l’histoire naturelle favorable. Dans ce groupe d’âge, le dépistage d’une allergie aux acariens (associée à des poussées d’eczéma y compris chez l’adulte) ou à d’autres allergènes respiratoires permettra de déterminer leur éventuel rôle pathogénique dans la DA.
Les symptômes gastro-intestinaux aspécifiques sont fréquents dans la petite enfance. Ils sont rarement les manifestations isolées d’une allergie alimentaire mais la présence de facteurs associés augmente la probabilité d’une telle étiologie. Tandis que les manifestations aiguës sont le plus souvent d’origine infectieuse, des symptômes chroniques ou récurrents se rencontrent dans le cadre de syndromes allergiques (généralement non IgE-médiés), et peuvent avoir un impact sur la croissance staturo-pondérale. Un bilan allergologique est ainsi parfois justifié après exclusion des causes alternatives plus fréquentes mais nécessite souvent l’aide d’un spécialiste. L’implication d’un allergène alimentaire peut être déterminée par un régime d’exclusion, suivi d’une réintroduction. Une endoscopie digestive peut également se révéler utile dans certaines situations. Le dosage des IgE spécifiques contribue en revanche rarement au diagnostic.
Devant l’émergence des allergies alimentaires, le médecin de premier recours est régulièrement confronté à des réactions présumées allergiques, dont les manifestations hétérogènes évoluent au gré de l’âge. Il fait également face à l’essor de nouvelles modalités diagnostiques qui sont autant de défis rencontrés dans la prise en charge au quotidien. Si les tests cutanés et le dosage des IgE spécifiques ont une valeur prédictive bien établie, leur interprétation comporte certaines limitations que l’usage des allergènes recombinants n’a pas permis de combler entièrement. Il est néanmoins possible aujourd’hui de mieux appréhender le risque de réaction systémique et d’identifier les facteurs prédisant le développement d’une tolérance. Ceci permet de tendre à une certitude diagnostique qui suppose un recours plus fréquent aux TPO (lorsqu’ils sont indiqués), en vue de recommandations d’éviction plus ciblées. Un dépistage proactif et une introduction précoce des aliments potentiellement allergéniques pourraient par ailleurs prévenir la survenue de réactions indésirables et avoir un impact favorable sur la qualité de vie des patients.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les allergies alimentaires ont considérablement augmenté ces dernières décennies et représentent aujourd’hui la première cause d’anaphylaxie en Europe
▪ L’usage des protéines recombinantes a permis une avancée significative dans le domaine des allergies alimentaires mais suppose une démarche diagnostique rigoureuse et une connaissance précise des composants moléculaires
▪ Une prise en charge proactive qui inclut le recours à des tests de provocation oraux prévient de potentielles réactions anaphylactiques dans la communauté et améliore la qualité de vie des patients et de leurs familles