Le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS) est une forme grave de toxidermie qui associe des manifestations cutanées et une atteinte systémique.1,2 Ce syndrome a été décrit au début des années trente suite à l’introduction de la phénytoïne chez les enfants.3 Mais c’est seulement dans les années nonante que Bocquet et coll.4 ont proposé le terme d’hypersensibilité médicamenteuse systémique avec éosinophilie afin de distinguer cette entité des autres toxidermies sans éosinophilie. Un groupe de consensus japonais a par la suite proposé le terme de drug induced hypersensitivity syndrome (DIHS).5 Actuellement, les deux termes (DRESS et DIHS) sont utilisés et sont synonymes.
L’incidence du syndrome DRESS est entre 1/1000 et 1/10 000 expositions médicamenteuses.2 Néanmoins, elle peut varier selon le médicament et atteindre, par exemple, pour la lamotrigine jusqu’à 1/300 patients traités.6 En Suisse, il y a environ 150-200 cas par an.7 Cet article parcourt la physiopathologie, les manifestations cliniques et la prise en charge actuelle de ce syndrome.
La pathogenèse du syndrome DRESS est encore très controversée. Une réaction d’hypersensibilité médiée par les lymphocytes T (LT) avec sécrétions des cytokines est en partie responsable du tableau clinique.7 Dans la phase précoce du syndrome DRESS, des taux élevés d’interleukine 5 (IL-5) plasmatiques sécrétée par les LT ont pu être mis en évidence, pouvant expliquer l’éosinophilie observée.8
D’autres mécanismes impliqués dans la pathogenèse du DRESS ont été également proposés sur la base d’observations diverses.2,9 Picard et coll.10 ont montré dans une étude prospective sur 40 cas que 76 % des patients présentaient une réactivation des virus du groupe herpès comme le virus Epstein-Barr (EBV), l’herpèsvirus 6 (HHV-6), ou l’herpèsvirus 7 (HHV-7). La réactivation de l’HHV-6 semble être spécifique du syndrome DRESS, n’étant pas détectable dans d’autres formes sévères de toxidermie.11 La réactivation virale survient précocement au cours du syndrome DRESS, typiquement après 2-3 semaines du début des symptômes.5 Les LT CD8+ dirigés contre l’EBV, producteurs de TNF et IFN-gamma, ont été mis en évidence dans le sang et les tissus atteints (foie, poumon et peau). Le nombre de LT CD8+ était d’ailleurs plus élevé chez les patients avec une atteinte systémique sévère.10 La réplication de l’EBV dans les lymphocytes B des patients atteints a pu être induite non seulement par le médicament responsable, mais également par d’autres auxquels le patient n’avait jamais été exposé, et qui n’avaient pas de similarité moléculaire pouvant expliquer une réaction croisée.10 Ces résultats suggèrent que certains médicaments peuvent induire la réactivation virale et la présentation des épitopes de l’EBV chez les sujets prédisposés même en l’absence d’une sensibilisation. Dans ce même sens, Mardivirin et coll.12 ont pu montrer que la réplication in vitro de l’HHV-6 est induite en présence des taux thérapeutiques de carbamazépine et de valproate de sodium. Michaelis et coll.13 ont pu également démontrer que le valproate de sodium, un inhibiteur de la désacétylase des histones, induit une augmentation de la réplication du cytomégalovirus (CMV).10
Une prédisposition génétique semble donc jouer un rôle important dans la pathogenèse du syndrome DRESS. Ceci pourrait expliquer en partie son incidence plus importante dans les pays asiatiques.9 Par ailleurs, des associations entre le complexe majeur d’histocompatibilité (HLA) et le syndrome de DRESS ont été observées. Par exemple, l’HLA-B*5701 est associé au syndrome DRESS à l’abacavir et l’HLA-B*5801 au syndrome DRESS à l’allopurinol chez les Chinois.9 Une fréquence élevée de l’HLA-B*5801 a été également observée chez les patients portugais atteints du syndrome DRESS induit par l’allopurinol.14 De même, l’allèle HLA-B*13 : 01 est associé au syndrome DRESS induit par la sulfasalazine chez la population chinoise15 et l’HLA-A*31 : 01 est fortement associé au syndrome DRESS induit par carbamazépine en Europe et en Chine.16
Pour finir, un autre phénomène observé dans le syndrome DRESS est la prolifération des cellules T régulatrices (Treg) tolérogéniques dans la phase aiguë de la maladie, un phénomène qui n’est pas présent dans les autres toxidermies sévères comme le TEN (toxic epidermal necrolysis).17 L’augmentation des Treg, en particulier au niveau cutané, pourrait expliquer l’atteinte cutanée discrète dans le DRESS comparé aux autres formes sévères de toxidermie.17 Le rôle exact des Treg dans la pathogenèse de syndrome DRESS reste cependant peu clair. Certains auteurs évoquent même un rôle de l’infection HHV-6 des cellules Treg dans la pathogenèse du syndrome DRESS.18 Après une prolifération initiale, les Treg semblent perdre progressivement leur fonction, ce qui pourrait éventuellement expliquer l’augmentation du risque de phénomènes d’auto-immunité constatés suite à un syndrome DRESS.17
Les antiépileptiques aromatiques, notamment la phénytoïne, la carbamazépine et le phénobarbital ainsi que les sulfamides sont les médicaments les plus impliqués dans le syndrome DRESS.7,9,19 L’allopurinol est aussi souvent à l’origine du syndrome DRESS et une certaine dose dépendance a été observée. En analogie à d’autres toxidermies sévères, la dose de 100 mg/jour d’allopurinol semble rarement être suffisante pour déclencher un syndrome DRESS par rapport à la dose de 300 mg chez les sujets avec une fonction rénale conservée.14 Plus de 50 médicaments ont été associés au syndrome DRESS. Le tableau 1 montre une liste non exhaustive des médicaments incriminables.
Les symptômes apparaissent souvent deux à six semaines après l’introduction du médicament responsable et plus rapidement en cas de réintroduction.2,19 Les médicaments pris pendant plus de trois mois avant le début des symptômes sont rarement impliqués. Un intervalle plus court a été décrit en particulier pour les quinolones qui pourraient déclencher un syndrome DRESS déjà après 48 heures de traitement.20
Le tableau clinique initial peut mimer une infection virale avec la fièvre élevée, des malaises, une polyadénopathie, un exanthème maculeux et souvent un œdème du visage (figure 1A).7,9,19 L’atteinte cutanée est présente dans la majorité des cas de syndrome DRESS. Il s’agit d’une éruption érythémateuse maculaire souvent prurigineuse qui évolue fréquemment vers une érythrodermie (figure 1B). D’autres types d’atteintes cutanées sont également décrits comme des lésions pustuleuses, un purpura (figure 2) et plus rarement des lésions vésiculo-bulleuses.9,19 L’atteinte de muqueuse peut être présente et touche principalement la cavité buccale et le pharynx (éruption buccale et pharyngite).9,19 L’atteinte viscérale la plus fréquemment observée est hépatique sous forme d’une nécrose hépatocellulaire.19 Toutefois, en fonction du médicament incriminé, d’autres atteintes d’organes sont observées (tableau 2 et 3) et peuvent survenir conjointement, conduisant parfois à une défaillance multiviscérale.7,9,19,21
Le bilan biologique montre une leucocytose avec des lymphocytes atypiques. Une éosinophilie est présente dans 70 % des cas.22 Elle est souvent absente les deux premières semaines19 et est moins prononcée avec certains médicaments comme la lamotrigine et l’abacavir.21,22
Le taux de mortalité est estimé à environ 8-11 %.2,23 Celui-ci est le plus souvent secondaire à l’hépatite fulminante.7,9 Dans les autres cas, l’évolution clinique est lente et les symptômes persistent plusieurs semaines malgré l’arrêt du médicament incriminé.19
Plusieurs critères diagnostiques et de validation ont été développés et peuvent aider dans le diagnostic de syndrome DRESS. Le tableau 4 montre les critères de validation selon le groupe RegiSCAR, qui permettent de classer le syndrome DRESS comme certain, probable, possible ou exclu.23 Le tableau 5 montre les critères diagnostiques du DIHS du groupe japonais de consensus.24
Le tableau 6 montre la liste des examens biologiques à réaliser en cas de suspicion de syndrome DRESS. Le but de ce bilan est de confirmer le diagnostic, d’exclure les diagnostics différentiels, d’évaluer la sévérité de l’atteinte systémique et de suivre l’évolution.9 La biopsie cutanée est souvent nécessaire pour exclure d’autres diagnostics, mais ne permet pas d’affirmer le diagnostic de syndrome DRESS. L’examen histopathologique est caractérisé par la combinaison d’une spongiose, d’acanthose et d’un infiltrat lymphocytaire périvasculaire dans le derme papillaire ainsi que des érythrocytes et des éosinophiles extravasés.4,19,25,26 Le phénotypage des lymphocytes au niveau cutané montre une prédominance des LT CD8+.27 La mise en évidence d’une réactivation virale du groupe de herpès n’a pas de conséquence thérapeutique directe, mais les PCR virales sont demandées de plus en plus souvent afin de mieux évaluer le pronostic et d’aider dans la démarche diagnostique (tableau 5). La réactivation virale semble en effet être corrélée à la sévérité des symptômes systémiques et par conséquence à un moins bon pronostic.28
Pour identifier le médicament incriminé, le test de transformation lymphocytaire (TTL) peut être utilisé. Sa sensibilité et sa spécificité augmentent s’il est effectué cinq à huit semaines après la survenue des symptômes.29 Une sensibilité et une spécificité du TTL supérieures à 90 % pour les antiépileptiques ont été décrites, mais sont probablement inférieures pour les autres médicaments.7 Les tests épicutanés et cutanés peuvent également être utiles pour déterminer le médicament incriminé, mais ils peuvent déclencher une réaction systémique.7 Pour cette raison ils ne sont pas effectués si le médicament suspecté peut être évité.
Le diagnostic différentiel du syndrome DRESS est large. Le syndrome DRESS peut mimer une infection virale aiguë comme la primo-infection de virus de l’immunodéficience humaine (VIH), CMV, EBV, HHV-6 et les hépatites A et B.2,7,30 L’éruption cutanée avec éosinophilie peut également évoquer des vascularites associées aux anticorps anticytoplasmes des polynucléaires neutrophiles (ANCA).30 Le lupus érythémateux avec atteinte cutanée ou une maladie de Still sont également à considérer.9,30 En présence d’adénopathies, le diagnostic d’un lymphome peut être évoqué et une biopsie est souvent nécessaire.30 Les autres toxidermies sévères telles qu’une AGEP (pustulose exanthématique aiguë généralisée), un syndrome de Stevens-Johnson (SJS) ou le syndrome de Lyell ont souvent un intervalle plus court entre l’introduction du traitement et l’apparition des symptômes.30 D’autre part, l’éosinophilie, les lymphocytes atypiques et l’atteinte hépatique sont plus souvent présents chez les patients atteints de syndrome DRESS.30 En présence d’une éosinophilie, d’autres causes pouvant en être à l’origine doivent également être recherchées.
Actuellement, il n’y a pas de recommandations basées sur des études randomisées prospectives pour la prise en charge du syndrome DRESS. Les traitements proposés le sont sur la base des avis d’experts et le but est de contrôler la réponse immunitaire délétère. La première étape de la prise en charge consiste à l’arrêt du médicament incriminé. Dans la phase aiguë de la maladie, il convient d’arrêter tous les traitements qui ne sont pas nécessaires.7 La prise en charge thérapeutique dépend de la sévérité de l’atteinte systémique. Il est donc nécessaire d’effectuer un bilan afin d’évaluer l’atteinte des organes cibles.9
En l’absence d’atteinte d’organes viscéraux, un traitement par des dermocorticoïdes seuls peut être envisagé.9,31 Autrement, une corticothérapie systémique (1-1,5 mg/kg/jour) est le traitement de choix.9,30 En cas de menace vitale (hépatite sévère, hémophagocytose avec insuffisance médullaire, etc.) ou en l’absence de réponse aux corticoïdes, un traitement par des immunoglobulines intraveineuses (IVIG) en association avec une corticothérapie peut être discuté,9,30,32 bien que les données concernant leur efficacité soient contradictoires.32,33 La corticothérapie doit être continuée jusqu’au contrôle du syndrome DRESS. L’expérience clinique nous apprend qu’il y a souvent un effet rebond lors de son sevrage avec, parfois, une récidive de l’éruption cutanée et de l’éosinophilie sanguine. Dans ce cas, la corticothérapie générale doit être poursuivie avec un schéma dégressif sur plusieurs mois.9 Un suivi régulier des atteintes viscérales est indispensable et une répétition de la virémie pour le HHV-6 peut se révéler utile.30 Le diagnostic de DRESS doit être déclaré à la pharmacovigilance.
Le syndrome DRESS est une maladie iatrogène et souvent méconnue.7 Son diagnostic est retardé en raison d’un long intervalle entre l’introduction du médicament incriminé et l’apparition des symptômes.7 Il associe des lésions cutanées et des atteintes viscérales, en particulier hépatiques. Son taux de mortalité est estimé à 10 %.2 Il est donc important de le reconnaître et d’arrêter le médicament responsable le plus rapidement possible.7 Sa pathogenèse est encore discutée mais elle résulte probablement d’une réponse immunitaire dans le contexte d’une réactivation des virus du groupe herpès.7,9,19
Une corticothérapie systémique ou topique peut être introduite en fonction de la sévérité de l’atteinte systémique.9 L’évolution clinique est lente (plusieurs semaines à mois) et nécessite un suivi rapproché.9
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le syndrome DRESS est une forme grave de toxidermie pouvant apparaître plusieurs semaines après l’exposition médicamenteuse et qui associe des manifestations cutanées et une atteinte systémique
▪ En fonction de l’évolution et de la sévérité, une corticothérapie systémique pendant plusieurs semaines ou mois est nécessaire