Le syndrome de Gourgerot-Sjögren (SGS) est une maladie auto-immune systémique caractérisée par une infiltration lymphocytaire des glandes exocrines ainsi que la production d’autoanticorps contre des antigènes nucléaires solubles. Les mécanismes physiopathologiques restent encore incompris. Le SGS peut être primitif (pSGS) ou secondaire à d’autres maladies auto-immunes. Il en résulte, le plus souvent, une sécheresse oculaire et buccale associée à des plaintes générales. Jusqu’à un tiers des patients présentent en plus une atteinte spécifique d’organe. La prévalence du SGS varie considérablement, de 0,1 à 1 % selon la population examinée, les méthodes diagnostiques et les critères de classification utilisés. Le pSGS touche majoritairement des femmes (90 %), souvent d’origine caucasienne, avec une moyenne d’âge entre 40 et 50 ans lors des premières manifestations.1 Le diagnostic n’est pas facile à poser et souvent retardé de plusieurs années en raison de la variabilité de la présentation clinique et de la progression insidieuse de la maladie. Son évolution peut se compliquer d’atteinte pulmonaire, neurologique ou rénale. De plus, le risque de développer un lymphome est important. Cet article détaille les éléments évocateurs d’un SGS ainsi que la démarche diagnostique, dans le but d’améliorer sa prise en charge tout en en limitant ses complications.
L’atteinte des glandes exocrines se traduit par une kératoconjonctivite sèche (98 %), une xérostomie (90 %) et/ou une tuméfaction des glandes salivaires (30-50 %). La xérophtalmie se manifeste par une impression de corps étranger, de voile devant les yeux ou d’une photophobie avec un besoin régulier d’instiller des gouttes oculaires. L’hyposialorrhée se manifeste par une xérostomie pouvant s’associer à des brûlures buccales, des difficultés à la mastication d’aliments secs ou une dysphagie. Les patients boivent fréquemment pendant et en dehors des repas, y compris durant la nuit. Le manque de production salivaire et lacrymale induit des infections à répétition (caries récurrentes et ulcération ou infections cornéennes). La sécheresse peut également être cutanée, bronchique ou vaginale. L’atteinte bronchique se présente sous forme d’une toux sèche ou d’un asthme, l’atteinte vaginale par des démangeaisons ou une dyspareunie. Des symptômes généraux comme la fatigue associée à des arthralgies migratoires d’allure inflammatoire sont fréquents.2,3 Les autres manifestations extraglandulaires possibles sont présentées dans le tableau 1. Les complications de type neurologique varient en termes de fréquence entre 2 et 25 % avec une prédominance de neuropathie périphérique principalement sensitive. Une atteinte pulmonaire est retrouvée dans 10 à 20 % des cas. Une tubulopathie rénale s’observe chez plus de 20 % des patients. En outre, le SGS est associé à un risque augmenté de lymphome à cellules B. D’autres atteintes d’organe tel que la thyroïde, le tube digestif ou le foie peuvent traduire l’association d’une autre maladie autoimmune (tableau 2).
Toutes ces manifestations ne sont toutefois pas spécifiques au SGS. La présence d’un syndrome sec doit en premier lieu évoquer une origine pharmacologique (médicaments anticholinergiques, diurétique, tabac) ou d’autres causes comme un diabète décompensé. Les causes alternatives d’un syndrome sec sont mentionnées dans le tableau 3. En cas d’atteinte d’organes, il convient également d’exclure en premier lieu des causes fréquentes : origine toxico-carentielle lors d’une neuropathie périphérique, cause médicamenteuse lors de néphrite interstitielle, par exemple. C’est en particulier l’association d’une atteinte des glandes exocrines avec signes généraux et dysfonction d’organes qui doit faire suspecter un SGS en l’absence d’autres explications et motiver des investigations supplémentaires ciblées.
La démarche diagnostique comprend la recherche d’une atteinte glandulaire avec ou sans présence d’autoanticorps caractéristiques. Des techniques simples permettent d’objectiver un syndrome sec, qu’il soit symptomatique ou non. Des analyses sérologiques, une imagerie et une biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA) seront ensuite discutées. Afin de standardiser le diagnostic, une classification a été rédigée par l’American European Consensus Group (AECG) en 2002,4 qui est largement utilisée en pratique actuellement (tableau 4). L’American College of Rheumatology (ACR) a proposé en 2012 une classification plus objective5 (tableau 5). Les deux classifications semblent équivalentes pour diagnostiquer un SGS ciblant un collectif de patients souffrant d’un syndrome sec.6
L’hyposécrétion lacrymale consécutive au remaniement inflammatoire est la cause de la xérophtalmie dans le SGS. La technique de choix pour l’objectiver en cabinet est le test de Schirmer (figure 1). Une bandelette de papier de 5 mm de large et 35 mm de long, millimétrée, est placée dans le cul-desac conjonctival inférieur de chaque œil près de l’angle externe (figure 1). La longueur du papier humidifié par les larmes est relevée après cinq minutes. En cas de sécheresse oculaire importante, le patient ressent une sensation de brûlure pendant l’examen. Selon l’AECG, la xérophtalmie est retenue en dessous de 5 mm/5 minutes sans anesthésie. La sensibilité et la spécificité varient entre 76-82 % et 68-90 % respectivement selon la méthode utilisée.
Les autres méthodes les plus courantes permettant d’objectiver la xérophtalmie sont le Tear break up time (TBUT) qui mesure le temps de rupture du film lacrymal et l’instillation de colorants (rose de Bengale ou vert de lissamine) pour apprécier le retentissement cornéen du syndrome sec.7
La meilleure méthode semble être la sialométrie par recueil de salive totale de façon non stimulée. Pour ce faire, le patient doit être à jeun et ne pas avoir fumé durant les deux heures précédentes. La récolte de salive se fait dans une éprouvette graduée ou par technique pondérale (figure 2), considérant que 1 ml = 1 g. Cette dernière technique consiste à placer trois compresses dans la bouche proche des orifices salivaires (figure 2), après les avoir pesées avec une balance de précision 0,1 mg. Les compresses sont ôtées au bout de cinq minutes et repesées. Selon l’AECG, la xérostomie subjective est retenue lorsqu’une sialométrie est < 1,5 ml/15 minutes. La sialométrie est dotée d’une sensibilité et d’une spécificité limitées, variant de 45-82 % et de 60-92 % respectivement, en fonction de la technique utilisée.8 En pratique, une valeur seuil < 2 g/5 minutes est insuffisante pour retenir le critère AECG au sens strict mais démontre une salivation insuffisante, comme c’est le cas dans la xérostomie radio-induite. Malheureusement, comme pour l’objectivation de la xérophtalmie, les efforts de standardisation ont jusqu’à présent échoué.
Le SGS s’accompagne volontiers d’une élévation de la vitesse de sédimentation. Cette accélération de la VS est souvent due à une hypergammaglobulinémie polyclonale. L’hémogramme montre fréquemment une leuco-lymphopénie, tandis que d’autres cytopénies sont rares. Le bilan urinaire initial retrouve parfois un pH alcalin, dû à une acidose tubulaire. Plus rarement, on retrouve une protéinurie et une microhématurie qui doivent faire rechercher une atteinte rénale. L’analyse sérologique comprend la recherche d’anticorps antinucléaires (FAN) par immunofluorescence. Si les FAN sont présents et en particulier d’aspect moucheté, on cherchera la présence d’anticorps antinucléoprotéines (ENA), comprenant les spécificités anti-SSA/Ro 52/60kD et anti-SSB /La. Les antigènes ne sont que faiblement exprimés dans les noyaux des cellules de la lignée Hep-2 habituellement utilisées pour le dépistage des FAN. Il arrive occasionnellement que des FAN soient négatifs avec cette méthode de dépistage, malgré la présence d’anticorps anti-SSA/-SSB. De ce fait, en cas de suspicion de SGS, il convient de demander explicitement une recherche d’ENA, en plus du dépistage FAN. Les méthodes utilisées pour les ENA varient en fonction des laboratoires (ELISA, électrochemiluminescence, Western Blot). La plupart font appel à un dépistage ENA et détaillent les spécificités (SSA, SSB et autres) en cas de résultat positif. L’absence d’autoanticorps n’exclut pas un SGS, car 5-30 % des patients sont séronégatifs.9 A l’inverse, les anticorps anti-SSA/-SSB ne sont pas spécifiques au SGS car ils peuvent se rencontrer dans d’autres maladies autoimmunes (lupus érythémateux systémique, myopathies inflammatoires), dans le cadre d’infections virales chroniques et occasionnellement chez un sujet sain. Rappelons brièvement que les anticorps anti-SSA/-SSB sont associés à un risque de bloc de branche congénital chez le fœtus de mères exprimant ces anticorps. La gestion de cette problématique ne peut pas être détaillée ici. Le bilan du SGS comprend aussi une recherche de facteur rhumatoïde (FR) et une exploration des immunoglobulines sériques (dosage pondéral IgG, IgA et IgM et immunosoustraction ou immunofixation). A noter que la classification ACR considère la présence concomitante d’un facteur rhumatoïde et d’un FAN comme un critère diagnostique, même en l’absence d’anticorps anti-SSA/-SSB (tableau 3).
En cas de suspicion de SGS, il faut exclure une infection VIH, une hépatite C et une infection par virus T lymphotrophique humain (HTLV ; chez un individu à risque), qui peuvent s’accompagner d’un tableau similaire, Finalement, en cas de SGS avéré, il faut exclure une gammapathie monoclonale, une cryoglobulinémie et une consommation du complément, qui sont prédictifs de complications. L’abaissement des fractions du complément en particulier doit faire suspecter une transformation lymphomateuse ou un lupus.
Au minimum quatre glandes salivaires mineures sont obtenues par une biopsie superficielle de la face interne de la lèvre inférieure. Malgré sa simplicité, la biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA) n’est pas dénuée de risques. Les complications locales transitoires (paresthésie, hémorragie et tuméfaction) touchent 8-12 % des patients. Une étude prospective a mis en évidence 10 % de complications persistantes dont 7 % de douleurs locales et 3 % de paresthésies.10 L’examen histopathologique recherche des agrégats de cellules inflammatoires mononucléaires de > 50 cellules, que l’on considère comme un foyer (focus). Un score de III ou IV selon Chisholm et Mason (≥ 1 focus/4 mm) est retenu comme un critère de SGS (figure 3). La BGSA est dotée d’une spécificité élevée (> 89 %). Néanmoins, le rendement varie de manière importante selon les techniques et les collectifs de patients étudiés (sensibilité 64-94 % et spécificité 61-100 %), d’après une revue récente.11 Malgré tout, la biopsie est un élément important puisqu’elle est obligatoire au diagnostic en l’absence d’une sérologie positive selon l’AECG et l’ACR. De plus, la biopsie peut montrer des marqueurs de risque pour une évolution lymphomateuse. Une étude longitudinale, en 2011, a montré que la présence de centres germinatifs ectopiques dans les glandes salivaires était retrouvée plus fréquemment chez les patients qui avaient développé secondairement un lymphome. La valeur prédictive positive restait faible à 16 % contrairement à l’excellente valeur prédictive négative de 99 %.12
Différentes imageries ont été étudiées dans le SGS. Les méthodes de sialographie parotidienne et scintigraphie salivaire sont peu utilisées malgré leur inscription dans les critères de classification. Elles sont invasives, irradiantes et n’offrent pas de bénéfice par rapport à l’US et l’IRM. Vu l’absence de supériorité d’une technique et pour des raisons pratiques et économiques, l’US est devenu l’imagerie préférentielle. Les images montrent une hétérogénéité du parenchyme glandulaire avec des zones hypoéchogènes traduisant un processus inflammatoire ou postinflammatoire. Les différents scores portent principalement sur le nombre et la taille de ces zones hypoéchogènes. Une étude française prospective a mesuré une sensibilité de 63 % et une spécificité de 95 % de l’US.13 Une étude récente rétrospective sur 85 patients apporte un élément supplémentaire en démontrant qu’en cas de normalité échographique du parenchyme, la valeur prédictive négative est de 96 % par rapport aux résultats de la BGSA. Ces auteurs proposent l’US comme aide décisionnelle pour effectuer une BGSA, en particulier chez les patients avec suspicion de SGS présentant une sérologie négative.14
Le SGS est une maladie traitable et un diagnostic précoce permet de limiter les complications. Le traitement sera symptomatique (larme artificielle, salive artificielle, émollients, sialagogues, antalgiques) et immunomodulateur/immunosuppresseur. Les antimalariques sont utilisés pour limiter le syndrome sec et traiter les symptômes généraux avec une efficacité variable. Il est parfois nécessaire de recourir à une corticothérapie et/ou à des immunosuppresseurs classiques. Les immunobiologiques ciblant préférentiellement les lymphocytes B, tels que le rituximab (anti-CD20) ou le bélimumab (anti-BAFF), sont utilisés dans des cas réfractaires. Selon une étude publiée en 2010,15 le rituximab est un traitement prometteur. Les options thérapeutiques détaillées ont été présentées en 2012 dans cette revue.16
L’intérêt grandissant porté au SGS au cours de ces dernières années est soutenu par l’émergence de nouvelles approches thérapeutiques prometteuses. L’introduction d’un traitement immunosuppresseur ciblant la production d’anticorps est néanmoins réservée aux patients dont le diagnostic est établi. Ceci est rendu difficile par l’hétérogénéité tant clinique que biologique de la maladie. Les classifications établies sont une aide au diagnostic mais restent limitées pour les formes subcliniques précoces ou atypiques.17 La démarche clinique initiale reste l’élément essentiel pour guider les investigations.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) est une maladie auto-immune relativement fréquente avec une prévalence pouvant aller jusqu’à 1 % de la population
▪ Le syndrome sec oculaire et buccal est la présentation classique. Pourtant, d’autres manifestations systémiques générales ou l’atteinte d’organes spécifiques peuvent être les premiers symptômes
▪ Les manifestations du SGS ne sont pas spécifiques et doivent initialement faire rechercher des causes plus fréquentes
▪ Le diagnostic repose sur la combinaison d’éléments cliniques subjectifs et objectifs, un bilan biologique, une imagerie et un examen histologique. Des critères de classification sont une aide au diagnostic
▪ Une fois le diagnostic posé, la prise en charge thérapeutique permet de limiter la destruction complète des glandes exocrines et les symptômes systémiques