Le système immunitaire a pour but principal de nous défendre contre les agressions extérieures comme les bactéries et les virus. Mais de très nombreuses observations au cours des décennies précédentes ont rapidement suggéré qu’il pouvait également jouer un rôle important pour protéger l’organisme contre des dangers internes, en particulier le développement des cellules cancéreuses. Citons quelques arguments parmi une très longue liste. L’incidence des cancers est fortement augmentée en cas d’immunosuppression, qu’elle soit constitutionnelle ou acquise (post-transplantation, VIH). Il existe des cas rares mais bien documentés de régression tumorale spontanée, principalement en cas de mélanome, cancer du rein ou lymphome, où le rôle-clé des lymphocytes T comme cellules effectrices a clairement été démontré. La survie globale de nombreux cancers est corrélée à la densité et à l’état d’activation des cellules immunes infiltrant la tumeur. Le potentiel thérapeutique de l’allogreffe de moelle osseuse est en grande partie dû aux lymphocytes T présents dans le greffon, faisant de cette modalité thérapeutique une immunothérapie très efficace. Citons enfin les très nombreux syndromes paranéoplasiques neurologiques où la réponse immune antitumorale (souvent très efficace dans ce contexte) induit des dégâts neurologiques variés et souvent dramatiques par reconnaissance d’antigènes communs ou similaires aux cellules tumorales et neurologiques.
Quels sont les mécanismes d’une réponse immune antitumorale efficace ? La recherche fondamentale des vingt dernières années a permis d’en cerner les principales étapes. La cellule tumorale, souvent très semblable à une cellule normale pour laquelle le système immunitaire a été éduqué à être tolérant, ne peut déclencher seule une réponse suffisante. Elle est aidée par les cellules présentatrices d’antigènes (principalement les cellules dendritiques ou DC), qui sont de vraies sentinelles, présentes dans l’environnement tumoral. Les DC détectent le danger grâce à des récepteurs universels (Toll like récepteurs principalement) capables de reconnaître les cellules tumorales, principalement celles en train de mourir. Il s’ensuit des étapes complexes de phagocytose, puis de digestion des protéines tumorales en petits peptides (on parle d’apprêtement antigénique) qui sont ensuite présentés à la surface des DC en association avec les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (MHC). Puis les DC vont migrer via les vaisseaux lymphatiques vers les premiers relais ganglionnaires où elles présenteront les antigènes tumoraux aux lymphocytes T. Cette interaction cellulaire intraganglionnaire va induire l’activation et l’expansion clonale des lymphocytes T, et leur donner l’information biologique nécessaire à leur migration au site de la tumeur (principalement en induisant l’expression de certaines intégrines ou récepteurs de chémokines).1
Alors pourquoi et comment ce système de défense peut-il être inefficace ou débordé ? Par nature, la cellule tumorale est maligne et elle utilise de nombreux subterfuges pour se cacher du système immunitaire ou le paralyser. Sans pouvoir entrer dans les détails, citons comme exemples une diminution de l’expression tumorale des complexes MHC et donc de la présentation antigénique, l’expression tumorale de molécules inhibant directement les cellules immunitaires (FasL, PD-L1), la production de cytokines immunosuppressives (TGFβ, IL-10, VEGF), la production d’enzymes vidant les stocks d’acides aminés, essentiels pour les lymphocytes, ou encore le recrutement par la tumeur de cellules immunitaires régulatrices (Tregs, MDSC). De plus, il existe des obstacles supplémentaires au niveau du cerveau, avec la barrière hémato-encéphalique, l’absence de DC (suppléées par la microglie) et un drainage lymphatique encore mystérieux dans cet organe, du moins au sein du parenchyme.2
Il existe donc un équilibre entre des forces permettant une réponse immune appropriée et d’autres favorisant l’échappement tumoral. L’objectif de toutes les immunothérapies est donc de faire pencher la balance en faveur d’une réponse immunitaire efficace. Plusieurs stratégies sont en développement et sont brièvement décrites ci-dessous dans le contexte des tumeurs du cerveau.
A l’exception de quelques situations pour lesquelles la vaccination a pour but de prévenir l’agent infectieux causal (par exemple, cancer du foie et hépatite B, ou cancer du col de l’utérus et HPV (papillomavirus humain)), la plupart des vaccins antitumoraux sont des vaccins thérapeutiques destinés aux patients souffrant d’un cancer donné. Les antigènes du vaccin seront les cibles de la réponse immune qui doit attaquer la cellule tumorale tout en épargnant les cellules normales. Le choix des antigènes est donc crucial, particulièrement dans un organe aussi fragile et indispensable que le cerveau. Les principaux développements actuels reposent donc sur deux types d’antigènes : les peptides mutés qui sont spécifiques à la tumeur et absents des tissus normaux et les peptides surexprimés par la tumeur et donc par définition potentiellement exprimés par des tissus sains. Les premiers sont théoriquement préférables, mais le taux de mutations dans les gliomes est faible, comparativement aux cancers du poumon chez le tabagique ou le mélanome, et le nombre de candidats sera limité.
Le rindopepimut est le vaccin dont le développement clinique est le plus avancé. Il cible une version tronquée du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR) appelée EGFRvIII, présente dans 30 % des gliomes malins. Il s’agit d’un peptide muté et, par conséquent, exprimé sélectivement par les cellules tumorales. Les premiers résultats (étude ReAct) ont été obtenus chez des patients souffrant de glioblastome en progression. Le rindopepimut associé au bévacizumab semble prolonger la survie comparativement au bévacizumab seul, traitement de référence dans cette situation (douze mois versus huit mois). Mais il s’agissait d’une étude de phase II randomisée avec environ 70 patients et non d’une étude de phase III.3 Très attendus, les résultats de l’étude de phase III (ACT IV) chez les patients en première ligne de traitement (et donc sans molécule anti-angiogénique) n’ont malheureusement pas confirmé ceux de la phase II.4 Il sera important de déterminer si les effets favorables, obtenus dans la phase II, peuvent être le fruit d’une éventuelle synergie entre vaccin et blocage angiogénique, ou s’ils sont le reflet des biais inhérents aux phases précoces du développement clinique. Quoi qu’il en soit, ces études ont déjà amené des informations essentielles. En effet, l’analyse approfondie des tumeurs des patients vaccinés a permis de mettre en évidence une perte sélective de l’expression antigénique de EGFRvIII après vaccination (phénomène appelé immunoediting) démontrant l’importance de cibler plusieurs antigènes afin de diminuer le risque d’un échappement immunitaire.5
Il a donc été postulé que des vaccins composés de plusieurs peptides seraient capables de susciter une réponse plus diversifiée et plus forte. Dans cette optique, un travail collaboratif entre une spin-off de l’Université de Tuebingen et une équipe de l’Université de Genève a permis d’identifier dix peptides spécifiques de glioblastome,6 base d’un vaccin multipeptidique actuellement en cours d’étude clinique à Genève et ailleurs (NCT01920191). L’hypothèse est que cette diversité antigénique se traduise par un avantage clinique, mais cela reste à démontrer.
Une nouvelle approche est le développement de vaccins personnalisés (NCT02149225), le principe étant de séquencer la tumeur de chaque patient pour en extraire le mutanome individuel. Les mutations ainsi mises en évidence sont comparées aux peptides élués de la surface des cellules tumorales, afin de s’assurer que ces mutations codent bien pour des protéines exprimées en surface. Actuellement, cette stratégie fait l’objet d’une étude internationale (GAPVAC trial, NCT02149225) dont l’objectif est surtout de démontrer la faisabilité de cette approche très hightech dont le potentiel clinique nécessitera encore des années de recherche.
Les glioblastomes sont des tumeurs tellement agressives qu’elles ne sont peut-être pas les candidates idéales pour tester le concept d’une vaccination thérapeutique. Le potentiel de ces approches immunologiques est peut-être plus grand pour les astrocytomes et oligodendrogliomes de grades II et III, de meilleur pronostic, mais dont le risque de rechute ou progression après traitements conventionnels est cependant très important. Ces tumeurs sont caractérisées par des mutations dans les gènes IDH1 ou IDH2 générant des néoantigènes. La mutation IDH1 R132H est ainsi la cible d’un vaccin7 actuellement en cours d’investigation dans une étude first in man (NOA-16 trial NCT02454634).
Au vu de leur rôle dans l’apprêtement antigénique et l’activation T (cf. introduction), les DC paraissent l’adjuvant naturel idéal et peuvent donc être administrées avec des lysats tumoraux, de l’ARN tumoral, des protéines ou encore des peptides sélectionnés. Les résultats les plus avancés sont actuellement obtenus avec l’ICT107 qui est un vaccin composé de DC autologues activées par six antigènes surexprimés par les cellules souches de gliomes. Cette approche est innovante car les cellules souches sont considérées comme étant une sous-population de cellules tumorales radio / chimiorésistantes responsables de l’initiation, de la propagation et de la résistance tumorale. Sur la base d’observations intéressantes dans la phase II avec une amélioration de la survie sans progression,8 la phase III en première ligne est en cours (NCT02546102) et les résultats sont attendus avec impatience. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les DC sont un « outil biologique » à double tranchant. Ce sont en effet des cellules possédant une grande plasticité, impliquées autant dans l’activation des cellules que dans l’induction d’une tolérance. Leur utilisation thérapeutique reste donc complexe.
La thérapie cellulaire consiste à utiliser des lymphocytes T du patient, les modifier par ingénierie génétique et les faire proliférer ex vivo, puis les perfuser au patient comme une transfusion. Ces lymphocytes sont censés avoir les propriétés naturelles de migration et reconnaissance antigénique leur permettant de trouver leurs cibles tumorales dans l’organisme. Pour améliorer leur potentiel thérapeutique, les lymphocytes sont donc modifiés pour exprimer soit un récepteur T (TCR) de haute affinité permettant une reconnaissance antigénique plus efficace, soit un récepteur chimérique (Chimeric Antigen Receptor ou CAR) qui combine une partie du TCR à un anticorps. Les CAR combinent donc les propriétés des cellules T (cellules tueuses, capables de migration et responsables de la mémoire immunologique) et celles des anticorps (forte capacité de reconnaissance antigénique indépendante du MHC). Des résultats spectaculaires sont rapportés depuis deux ans pour les leucémies, les lymphomes et le myélome multiple9 dans des situations de maladies totalement réfractaires. Comme souvent, le défi est plus grand pour les tumeurs solides moins facilement accessibles que les tumeurs du système hématopoïétique. Plusieurs études pilotes sont cependant en cours pour le glioblastome, en ciblant notamment l’EGFRvIII (NCT 02209376, NCT01454596), HER2 / CMV (NCT01109095) ou encore l’IL13R2 (NCT 02208362).10 Ces premières études nous diront si l’inflammation induite par ces lymphocytes est acceptable dans l’environnement particulier du cerveau et ses contraintes anatomiques spécifiques.
Même si les vaccinations et la thérapie cellulaire parviennent à générer des lymphocytes tueurs, ceux-ci vont devoir exercer leurs effets au sein du lit tumoral, appelé aussi microenvironnement. Or, comme brièvement décrit dans l’introduction, le microenvironnement des gliomes est particulièrement hostile pour les cellules du système immunitaire. Plusieurs stratégies sont donc testées actuellement pour tenter de faciliter le travail des lymphocytes. Citons comme exemples les anticorps anti-CD25 (NCT 00626483) ou certaines chimiothérapies à faible dose (NCT01403285, NCT01903330) dans le but de diminuer les cellules régulatrices telles les Treg, ou encore des molécules anti-TGFβ, molécule-clé dans l’immunosuppression induite par les gliomes, et enfin les inhibiteurs de l’indoleamine-2,3-dioxygénase (IDOi) qui, grâce à leur action, vont libérer du tryptophane, acide aminé essentiel pour les lymphocytes.11,12 Les résultats cliniques préliminaires de ces approches sont décevants, mais c’est bien en association avec les vaccins et les thérapies cellulaires que leur potentiel devra être évalué dans les années à venir.
Mais les plus grands espoirs reposent probablement sur les inhibiteurs des checkpoints immunologiques (immune checkpoint inhibitors). De quoi s’agit-il ? Comme nombre de tumeurs, les gliomes malins exploitent un puissant mécanisme de régulation du système immunitaire en exprimant à leur surface la molécule PDL1 (programmed cell death ligand 1). Cette molécule va interagir avec le PD1 (programmed cell death 1) exprimé par les lymphocytes,13 permettant de limiter leur activité. Cette interaction de type checkpoint est remarquablement utile pour empêcher les débordements du système immunitaire en situation physiologique, elle est bien sûr délétère dans le cadre d’une réponse immune antitumorale. De nombreux anticorps ciblent ces deux molécules, avec des résultats fantastiques dans de nombreuses tumeurs comme le mélanome,14 le cancer du poumon,15 du rein ou encore le lymphome de Hodgkin. Les études sont en cours pour les gliomes malins (NCT02017717, NCT02336165, NCT02337491, NCT02017717), avec une attention particulière pour l’analyse de la toxicité dans un organe laissant peu de place à l’inflammation.
Comme clairement exprimé dans les journaux prestigieux (Science, Nature, New England Journal of Medicine), les immunothérapies ont franchi une étape importante au cours de ces dernières années. Elles ont un réel impact sur la durée et la qualité de vie de plusieurs cancers (leucémies, mélanome, cancer du poumon, etc.) et font partie maintenant de l’arsenal thérapeutique au même titre que la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie ou l’hormonothérapie. Les défis posés par les tumeurs du cerveau sont cependant encore énormes, en raison non seulement de l’agressivité de ces tumeurs, mais aussi et surtout des contraintes anatomiques liées à la boîte crânienne et de l’extrême fragilité du tissu cérébral ne permettant aucune réaction auto-immune potentiellement dévastatrice. Les immunothérapies sont donc encore des traitements expérimentaux pour les tumeurs cérébrales. Néanmoins, grâce aux progrès conceptuels récents, ce qui était illusion il y a encore quelques années, est aujourd’hui une stratégie rationnelle ouvrant des perspectives prometteuses pour les patients et leurs familles.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’immunothérapie est un nouvel outil qui fait déjà partie de l’arsenal thérapeutique actuel pour de nombreuses tumeurs
▪ Il existe plusieurs stratégies permettant d’activer le système immunitaire utilisant soit l’immunothérapie active (vaccinations), adoptive (thérapie cellulaire) et le remodelage du microenvironnement tumoral, ces méthodes sont actuellement en cours d’investigation
▪ Dans le domaine des gliomes malins, il existe des contraintes anatomiques et immunologiques mais les progrès récents ouvrent des perspectives encourageantes pour l’avenir