L’adolescence est une période développementale de grandes opportunités mais également de grandes vulnérabilités. Les modifications chez les adolescents, tant sur les plans biologique et physique que psychologique et cognitif, doivent être prises en compte afin de pouvoir leur offrir les soins les plus adaptés.1 Dans le contexte de l’adolescent sportif, il est spécialement important de prendre en compte les changements liés à cette phase de vie pour pouvoir bénéficier des bienfaits du sport tout en évitant les lésions secondaires à une pratique excessive, à une nutrition insuffisante ou un entraînement inadéquat. La pratique du sport à l’adolescence contribue entre autres à une amélioration de l’estime de soi, des capacités de socialisation, de la gestion du stress et sur le plan biologique à une augmentation de la densité osseuse et une meilleure condition physique.2
« Le sport porte en lui-même le goût de l’excès » disait le Baron Pierre de Coubertin. Cet article a pour but de sensibiliser les professionnels de la santé aux risques provoqués par l’association des comportements excessifs liés au sport et de l’adolescence.
Les troubles alimentaires débutent principalement à l’adolescence et, tout comme le sport, ont comme enjeu majeur le corps et son « domptage » (performances dans le sport, minceur dans les troubles alimentaires). Leur étiologie est multifactorielle, avec un faisceau de facteurs de vulnérabilité et de fragilité, qui, associés chez un même individu, contribuent à l’émergence puis au maintien d’un trouble du comportement alimentaire (TCA).
Le sport représente l’un de ces facteurs, notamment quand le poids ou l’esthétique corporelle deviennent un enjeu de performance ou contribuent à de meilleurs résultats (judo, gymnastique artistique, danse, etc.). Le trouble alimentaire (et ceci sans négliger sa signification psychologique de base signant une impasse développementale) a ceci de particulier qu’une fois installé, il se maintient et s’auto-renforce de lui-même.3
Le piège du trouble alimentaire se referme rapidement, puisque restrictions et perte de poids créent les conditions physiologiques favorables à l’apparition des fringales et des compulsions, puis des manœuvres de compensation (vomissements souvent), instaurant des boucles de rétroaction où le physiologique se mêle au psychique pour enfermer le sujet dans ses conduites alimentaires troublées.
Les remarques répétitives liées au poids de l’athlète, les pratiques punitives en cas de prise de poids et les pressions autour de l’alimentation pour le contrôler sont des éléments favorisant l’émergence et le maintien d’un trouble alimentaire. Les commentaires positifs ou négatifs, notamment des entraîneurs, sur le corps des jeunes athlètes agissent comme un facteur majeur favorisant une distorsion de la perception du corps, élément dont on sait l’importance dans l’émergence d’un TCA.4
L’hyperactivité, dont les aspects addictogènes liés aussi bien au TCA qu’au sport ont été démontrés, représente également un point important, car elle signe la dérive vers l’excès tout en contribuant momentanément à une meilleure réussite qui pourrait être valorisée par certains parents ou entraîneurs.
L’activité sportive intense, pratiquée avec détermination, mène parfois à des comportements excessifs, apparentés aux attitudes addictives, et accompagnés de problèmes physiologiques et métaboliques. Il a été observé, en particulier chez les adolescentes et femmes adultes, la réunion de trois éléments pathologiques inquiétants : l’aménorrhée, les troubles des conduites alimentaires et l’ostéoporose, rassemblés sous le terme de triade de l’athlète féminine en 1992.5 Avec le temps et le développement de la compréhension de la « triad e», la définition de cette dernière s’est élargie en parlant de fonction menstruelle et santé osseuse perturbées, toutes deux résultant d’une inadéquation d’apport énergétique en rapport avec l’activité exercée. L’extrême de ce spectre étant composé de la triade originale.6
Toutefois, la description de la problématique reste trop restrictive, tant il est vrai que les mêmes mécanismes qui causent la triade féminine se retrouvent chez l’athlète masculin. C’est pour cela qu’en 2014, une nouvelle entité a été proposée par un groupe d’experts dans un document de consensus du Comité international olympique : le RED-S, pour Relative Energy Deficiency in Sport, ou « déficit relatif d’énergie dans le sport ».7 Le RED-S se définit par une perturbation de fonctions physiologiques comprenant, mais ne s’y limitant pas, le métabolisme de base, la fonction menstruelle, la santé osseuse, l’immunité, la synthèse protéique et la santé cardiovasculaire et psychologique. La cause en est un déficit énergétique, le plus souvent lié à un TCA, dont la prévalence varie selon les sports de 12 à 20 % chez les femmes et de 3 à 8 % chez les hommes.8 La figure 1 schématise les divers systèmes touchés par le RED-S, atteintes multiples qui nécessitent une prise en charge interdisciplinaire, avec les spécialistes en médecine du sport, nutrition, psychologie, physiothérapie et physiologie.
Le dépistage de ces situations est essentiel, et hormis la connaissance du risque lié à certains sports à caractères esthétiques ou gravitationnels, et ceux incitant la maigreur (endurance, gymnastique, patinage, danse, judo, etc.), un questionnaire bref peut être utilisé par le praticien pour aider à la détection d’un trouble alimentaire chez l’athlète (Brief Eating Disorder in Athletes Questionnaire, BEDA-Q).9
Il est surtout particulièrement important de mettre en place une systématique de prise en charge avec des critères stricts par rapport à l’entraînement. Elle nécessite la collaboration parfois difficile à obtenir de l’entourage sportif (entraîneurs, managers) et familial. Les auteurs du RED-S proposent des recommandations pour décider de l’aptitude sportive en fonction des risques (tableau 1).10
Récemment, la pratique du sport chez les jeunes athlètes a fortement évolué avec, dès le plus jeune âge, des programmes d’entraînements intensifs couvrant toute l’année et la sélection d’un seul sport au détriment des autres et des activités physiques de loisirs.11 La spécialisation sportive précoce, dont le niveau est défini par les critères détaillés dans le tableau 2,12 le nombre de compétitions, la participation au sein d’équipes de niveau (d’âge) supérieur, et la pratique d’un sport individuel exigeant le développement précoce de capacités techniques, représentent les principaux facteurs responsables de l’augmentation du nombre et de la sévérité des lésions de surcharge sur un corps en croissance. La récupération de telles lésions peut être longue, provoquer des séquelles musculosquelettiques irréversibles et entraîner parfois l’interruption prolongée ou définitive du sport à l’adolescence.13
Autre cause fréquente d’abandon, la surcharge psychologique, pouvant mener au burnout sportif, est provoquée par l’accumulation d’un stress chronique chez l’adolescent (attentes irréalistes, surentraînement, etc.). Les professionnels du sport ainsi que les parents d’adolescents sportifs doivent être attentifs au stade de développement tant physique que psychocognitif du jeune athlète, afin d’adapter l’entraînement, fixer des buts réalistes et garder le plaisir comme principal objectif.14
L’activité physique est, de façon générale, bénéfique à l’adolescence et doit être encouragée. Les professionnels de la santé ont un rôle essentiel à jouer dans la détection des signes précoces d’une atteinte psychologique et / ou physique chez l’adolescent sportif. Sur le plan somatique, une aménorrhée, des lésions de surcharge, ou un indice de masse corporelle trop bas doivent être investigués et suivis étroitement afin de pouvoir offrir une prise en charge adaptée et prévenir des complications à long terme.
A l’aube des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2020 qui auront lieu à Lausanne, les professionnels de la santé ont un rôle fondamental à jouer dans l’enseignement et la sensibilisation des jeunes athlètes ainsi que leur entourage, quant à la détection des risques et des complications liés à la pratique intensive d’un sport.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Promouvoir une prise en charge interdisciplinaire des adolescents sportifs en collaboration avec les parents et les entraîneurs
▪ Tenir compte des aspects développementaux dans l’exigence du programme sportif
▪ Détecter les troubles de conduite alimentaire chez l’adolescent sportif ainsi que les déficits énergétiques (RED-S)
▪ Sensibiliser l’adolescent et son entourage aux risques de lésions de surcharge et de burnout sportif, afin de les prévenir en adaptant l’entraînement et les objectifs sportifs