Météo de printemps à la consultation : averses, giboulées, éclaircies et ça recommence… Antoine, vigneron retraité, perd lentement pied depuis quelques années… Sur la page de sa vie les souvenirs s’effacent, patiemment délavés par le vin régulier… Vite contrarié, il s’emporte contre sa femme qui bat en retraite au fond de la cuisine. Les heures ternes s’écoulent. Le jardin l’appelle parfois mais le goût n’y est plus. Un vieux chien le tire encore en promenade.
Ce printemps, tout s’est précipité : nuits agitées, fièvres et toux, perte d’appétit, chutes, confusion et convulsions… Les appels à l’aide, visites à domicile, traitements et hospitalisations s’enchaînent… Les soignants désespèrent, sans cesse sollicités et toujours inquiétés ! Dehors, le ciel encombré de nuages menace ; la pluie et le froid sont annoncés : neige à 1000 m, rien ne va plus, il faut rester couvert ! L’hôpital l’accueille à nouveau et chaque soignant pousse un soupir…
Revenir vivre à la maison est-il encore possible ? Au terme d’un long séjour, le pari est tenté ! Lesté d’un traitement copieux, Antoine retrouve son domicile, le pas incertain et la tête dans les nuages. Trop souvent allongé sur son canapé fatigué, il ne mange guère et ne sort plus. Sa femme le soigne au mieux. Infirmières et médecin se succèdent à nouveau dans une valse heurtée… L’espoir plane faiblement, chacun fait son devoir, la crainte d’une prochaine complication flotte dans l’air… Le traitement calmant a pu être réduit et l’alcool définitivement oublié.
Hier, je lui rends visite à domicile. Rentrant de brèves vacances salutaires, à demi alerté par un téléphone du service infirmier, j’imaginais déjà problèmes et soucis ! Mais le ciel s’est dégagé. Un soleil éclatant a réchauffé le monde…
Debout, Antoine m’accueille en souriant ! Au premier coup d’œil, je mesure le changement. Apaisé, il revit, mange bien, a pris du poids et retrouvé sa pertinence à défaut de souvenirs !
En rentrant à vélo, une légère averse printanière ponctue ma chemise d’une bénédiction improvisée.
Les médecins de famille et leurs partenaires des soins de base sont de plus en plus confrontés à de telles situations mêlant affections chroniques multiples, événements aigus, difficultés des soins à domicile, hospitalisations répétées.
Cela constitue une lourde et difficile tâche, naturellement partagée entre les soignants mais dont le médecin traitant assume la responsabilité principale. L’accomplissement de celle-ci demande une grande disponibilité, un engagement solide, des compétences multiples. Elle repose sur une étroite collaboration entre soignants. Elle est essentielle au bon fonctionnement de tout l’édifice des soins médicaux.
A l’heure de la grande révision du tarif médical, les décideurs (en espérant qu’ils soient au fait de la situation) devraient se demander pourquoi ce travail si important pour les patients et la communauté se voit si peu reconnu et rétribué en regard d’autres actes médicaux, techniques en particulier. Fascination de la machine, des images et des chiffres qui occulte parfois la réflexion, premier guide du choix approprié de nos actions.