David, 17 ans, est originaire des Philippines, où il a grandi avec sa grand-mère. Sa mère est décédée lorsqu’il était jeune. Au décès de sa grand-mère, il vient rejoindre son père remarié à Genève depuis plusieurs années. Il est scolarisé dans le Service des classes d’accueil du postobligatoire afin de pouvoir ajuster son niveau scolaire aux exigences suisses et accéder à un apprentissage de mécanicien. L’infirmière scolaire le reçoit pour la visite de santé systématique et effectue un test de sensibilité à la tuberculine (test de Mantoux, TST).
Questions : quels sont les besoins de santé de ce jeune ? Qu’est-ce que l’infirmière scolaire peut lui apporter ?
Les jeunes migrants récemment arrivés ont des besoins très variables et souvent interconnectés: d’un côté liés à la migration (statut légal, raison de migration, conditions de voyage pour arriver en Suisse, etc.) et à leur situation familiale et socio-économique, de l’autre côté des besoins de santé typiques de leur âge (santé mentale, développement, conduites à risque, etc.). Les conditions environnementales dans le pays d’accueil affectent la santé mentale et le développement, un bon climat scolaire étant un facteur protecteur essentiel.1,2 Depuis la publication d’un numéro sur la santé des adolescents migrants en 2012 (Revue Médicale Suisse n° 345), les conditions mondiales ont changé, et beaucoup des migrants actuels sont des enfants ou des jeunes en âge de scolarité. La précarité ou la guerre dans le pays d’origine, la violence et les conditions de voyage affectent actuellement durement la santé de ces populations. Il est donc nécessaire d’adapter régulièrement les recommandations préventives ou curatives aux observations du terrain.
Une étude belge, menée en milieu scolaire auprès de 158 jeunes immigrés arrivés récemment,3 souligne le rôle primordial des services de santé scolaire : alors que les préoccupations de santé étaient nombreuses dans cette population, seulement un jeune sur cinq connaissait un médecin à qui il aurait pu s’adresser. Les résultats de cette étude permettent d’identifier les rôles du bilan de santé effectué par l’infirmière scolaire à l’arrivée :
évaluation : santé physique, vaccinations, dépistage de la tuberculose (TBC), comportements de santé et santé mentale ;
information : répondre aux questions concernant la santé et encourager le recours aux structures adaptées ;
identification des adolescents et jeunes adultes sans soutien social ou sans accès au système de soins.
Concernant ce dernier point, il est important de savoir que dans les cantons de Genève et de Vaud, les réseaux de soins pour requérants d’asile offrent un accès aux soins préventifs et curatifs pour ces populations (visite systématique). Par contre, pour les jeunes arrivant pour d’autres raisons (regroupement familial, garde d’enfants, mariage, etc.), il n’existe pas de réseau formel permettant de les atteindre. L’école est une porte d’entrée importante pour ceux d’entre eux qui sont scolarisés.
A Genève, tous les nouveaux immigrants de moins de 20 ans ont le droit d’être scolarisés. Le Service santé de l’enfance et de la jeunesse (SSEJ) offre, par le biais des infirmières scolaires, une visite de santé systématique à chaque élève primo-arrivant, comprenant un entretien général ainsi qu’un dépistage de la TBC par TST (Tuberculin skin test) pour les élèves provenant d’un pays à moyenne ou haute endémie (soit une incidence estimée à plus de 50 cas / 100 000 habitants / an). Pour beaucoup de ces élèves, il s’agit du premier contact avec le système de soins depuis leur arrivée. Ce premier repérage des besoins de santé permet ensuite une orientation efficace dans le réseau de soins (médecin de famille, services de santé mentale, spécialistes) ainsi que dans le réseau social (services sociaux, associations).
Durant l’année scolaire 2013-14, dans un établissement scolaire à Genève (classes d’accueil du postobligatoire), 57 élèves sur 450 ont été testés, et sept TST étaient positifs (soit induration d’une taille de 5 mm ou plus). L’IGRA (interferon gamma release assay) effectué chez un médecin était positif chez cinq élèves et a permis d’identifier une TBC pulmonaire active et quatre TBC latentes.
Ce dépistage comporte des contraintes :
organisation du test par groupes d’élèves selon les horaires scolaires, lecture à 72 heures ;
barrière de la langue ;
organiser le bilan en l’absence de lieu de soins identifié pour les TST positifs ;
interprétation du TST difficile (BCG dans l’enfance probablement fréquent mais données vaccinales manquantes) ;
faible spécificité du TST.
Il n’existe pas de consensus sur le dépistage de la TBC en milieu scolaire. Dans la littérature internationale, l’école est considérée comme un endroit favorable pour un dépistage efficace.4,5 Le TST est toujours utilisé en première ligne. Les tests IGRA sont plus spécifiques et sont soit utilisés comme test de confirmation,6 soit ne sont pas utilisés en raison de leur coût.4,7,8 Plusieurs auteurs proposent un dépistage ciblant les populations à risque (notamment les immigrants arrivés récemment).4,6,8 Les autres points relevés dans la littérature sont l’augmentation de l’incidence de la TBC à l’adolescence6,9 et un diagnostic souvent tardif dans la population migrante en raison d’un manque de connaissances, de la peur d’une stigmatisation et de difficultés d’accès au système de soins et aux programmes de dépistage.4,7 Le dépistage à l’école semble plus efficace s’il est effectué dans le cadre d’une relation de confiance avec l’infirmière scolaire.8,10,11
Au deuxième rendez-vous avec l’infirmière scolaire, le TST est positif à 20 mm. David n’a jamais consulté un médecin, semble avoir beaucoup de questions mais est assez réservé et peu loquace. Il est demandeur d’un lieu où consulter. L’infirmière l’adresse donc auprès d’un médecin de premier recours pour le bilan complémentaire de la TBC.
Question : Que feriez-vous si vous receviez David en consultation ?
Venir chez le médecin pour un bilan de santé sans plainte est étonnant, en particulier pour des populations arrivant de pays où il faut le plus souvent payer avant d’être reçu. Des questions simples sur les habitudes de vie ici et là-bas sont des ouvertures au récit de vie : « Comment es-tu arrivé en Suisse ? Au cours du voyage, as-tu été malade ? As-tu craint pour ta vie ou celle des personnes qui voyageaient avec toi ? Au pays, est-ce que tu avais déjà des problèmes d’appétit ? De sommeil ? Est-ce que tu étais timide ou plutôt sociable ? »
Le repérage rapide de problèmes et la mise en place d’un traitement adéquat, associé à la reprise d’une scolarité sont essentiels au développement physique, psychique et social des enfants et adolescents. En cas de carences et traumatismes dans l’enfance, la période de l’adolescence est une opportunité, de par la plasticité et le remodelage cérébral, pour offrir une seconde chance et stimuler le développement de ces jeunes.
Un bilan de santé, avec mise à jour des vaccins, évaluation de la santé physique et psychique, du développement physique et psychosocial, des relations familiales, du HEADSSS12 (anamnèse psychosociale) « ici et là-bas », des violences, en particulier sexuelles, et un examen physique, prend toute sa valeur et tous les jeunes migrants arrivés récemment devraient pouvoir y avoir accès en présence d’un interprète.
Chez le médecin, David a de nombreuses questions sur sa santé. Sa grand-mère est décédée du sida, il est inquiet mais a peu de connaissances sur le sujet. Il décrit des prises de risque sexuelles à répétition. L’examen clinique est normal.
Le test IGRA est positif, la radiographie de thorax est normale et l’anamnèse est négative pour une TBC active : le diagnostic retenu est donc celui d’une infection tuberculeuse latente (ITBL). La sérologie VIH et le bilan des maladies sexuellement transmissibles sont négatifs, mais découverte fortuite d’une hépatite B chronique.
Questions : Quelle attitude adopteriez-vous pour ce qui est du problème de l’ITBL ? Quelles informations allez-vous transmettre à l’infirmière scolaire et pourquoi ?
De manière générale, dans un pays à faible endémicité comme la Suisse (en moyenne, 538 cas par année entre 2007 et 2011, ou sept cas / 100 000 habitants / an), la majorité des cas de TBC active sont dus à une réactivation d’une ITBL et touchent des personnes d’origine étrangère et relativement jeunes (âge moyen : 36 ans dans la population d’origine étrangère).13 Plusieurs facteurs font que le diagnostic est souvent tardif :
manque de spécificité des signes et symptômes ;
problèmes d’accès à la détection précoce au sein de la population migrante : problèmes de langue, situation sociale précaire, peur de la stigmatisation ;
réduction de la sensibilité et de la formation des professionnels en raison de la raréfaction des cas de TBC en Suisse.
Après l’exposition à Mycobacterium tuberculosis, environ 10 % des adultes sains développeront une TBC active, dont le risque est maximal dans les deux ans suivant l’exposition.14 Il n’existe cependant pas de consensus sur le dépistage de la TBC en milieu scolaire chez les jeunes immigrants venant de pays à haute endémie, et les pratiques varient d’un canton à l’autre. Le dépistage et le traitement de l’ITBL dans ces populations ne figurent pas dans les recommandations suisses, hormis pour l’entourage direct d’un cas de TBC active.13 Pourtant, un traitement de l’ITBL bien conduit permet d’éviter une réactivation dans 90 % des cas.14 Le dépistage et le traitement de l’ITBL peuvent donc participer à la réduction des cas de TBC active et à la diminution globale du réservoir de TBC au niveau mondial.4 Plusieurs schémas sont actuellement admis pour le traitement de l’ITBL (tableau 1).15
David a pu bénéficier d’un premier bilan de santé global par l’infirmière, malgré l’absence de symptômes et de demande particulière. Suite au dépistage, il a consulté un médecin de premier recours pour le bilan complémentaire, ce qui a permis également d’effectuer une anamnèse médicale et psychosociale approfondie, ainsi qu’un examen clinique et d’autres dépistages.
Suite à l’introduction du traitement de l’ITBL, un suivi coordonné entre le médecin traitant et l’infirmière scolaire peut améliorer la compliance au traitement. De plus, le suivi infirmier peut venir compléter le suivi médical, en abordant des sujets comme l’éducation à la santé ou l’hygiène, et renforcer le travail avec le réseau scolaire et médico-psychosocial. De son côté, le médecin traitant peut saisir l’occasion de créer un lien de plus longue durée, puisqu’on constate souvent que la santé des jeunes migrants est très influencée par les conditions environnementales du pays d’accueil à long terme, même après la fin de la scolarité.
Tout dépistage systématique présente des contraintes, notamment sur le plan organisationnel. Il n’existe pas de guidelines bien établies, et on constate des divergences entre pays européens concernant le dépistage de la TBC. Dans notre pratique courante, nous y identifions plusieurs avantages. Au niveau collectif, cela permet de dépister des cas de TBC active et latente dans une population vivant souvent dans la promiscuité. Au niveau individuel, cela permet d’initier la collaboration entre le médecin de premier recours et les services de santé scolaire et de favoriser l’accès du jeune à des lieux de soins adaptés.
Nous remercions Mme Fabienne Colletta, infirmière au Service santé de l’enfance et de la jeunesse à Genève, pour sa collaboration.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le dépistage de la tuberculose par test de sensibilité à la tuberculine (test de mantoux) en milieu scolaire est peu coûteux et devrait, s’il est confirmé par un IGRA (interferon gamma release assay), conduire à initier un traitement des infections tuberculeuses latentes (ITBL) pour être vraiment efficace
▪ La collaboration du médecin de premier recours avec le service de santé scolaire permet une amélioration du suivi des jeunes avec test de mantoux positif et du traitement correct de l’itbl
▪ La visite de santé systématique des jeunes primo-arrivants scolarisés par le service de santé scolaire permet un repérage précoce des problèmes de santé physique ou psychique et une orientation rapide dans le système de soins