Les critères définissant l’anorexie mentale ont été modifiés dans le DSM-V en 2015, notamment le critère concernant l’aménorrhée.1
Les critères actuels sont les suivants :
restrictions énergétiques menant à un poids inférieur au poids normal pour le sexe, l’âge et la taille.
Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros.
Altération de la perception du poids et du corps avec influence sur l’estime de soi et déni de la gravité de la maigreur actuelle.
Il existe deux types d’anorexie mentale : un type restrictif pur et un purgatif avec crises de boulimie et vomissements ou purge.
Pour des raisons de simplification, nous utiliserons le féminin dans cet article, en se rappelant que les garçons sont également à risque.
La prévalence de l’anorexie dans les pays à haut revenu est de 0,5-1 %.2 Ces critères doivent donc être activement recherchés chez toute patiente perdant du poids continuellement ou qui présente un poids au-dessous du poids attendu. Ils doivent également être présents à l’esprit chez une adolescente qui consulte pour une aménorrhée.
La détection précoce, la prise en charge initiale et le suivi somatique régulier peuvent être faits dans un cabinet de premier recours dans la majorité des cas. Dans les situations compliquées où la perte de poids continue, référer à un centre d’expertise est indiqué mais le suivi conjoint spécialiste/médecin de premier recours est tout à fait possible. Nous décrivons dans cet article les dernières recommandations de la prise en charge somatique ainsi que les complications médicales de l’anorexie mentale, qui sont responsables de 50 % des décès chez ces patientes.3
Evidemment, le poids est le premier paramètre à suivre. Une perte de poids rapide de plus de 2 kg par semaine est, par exemple, un critère d’hospitalisation (voir ci-dessous). Mais, c’est surtout l’IMC qui est important à suivre. Il doit être calculé de façon précise, raison pour laquelle la patiente doit être mesurée régulièrement (surtout les jeunes adolescentes).
Les dernières recommandations de la SAHM (Society for Adolescent Health)4 proposent d’utiliser le calcul du % IMC médian pour les adolescentes, car il permet de comparer la patiente à la moyenne de la population de son âge.
Sur la courbe OMS de l’IMC, repérer le percentile 50 pour l’âge (IMC p50), rapporter l’IMC de la patiente sur la courbe puis calculer le pourcentage de l’IMC médian de la patiente : % IMC médian = IMC de la patiente/IMC p50 x 100 (tableau 1).
Il est utile de tracer les courbes de croissance staturale et pondérale, si possible depuis la naissance, et la courbe de l’IMC, afin d’évaluer l’ancienneté des troubles et connaître le percentile sur lequel a évolué l’adolescente jusqu’à l’apparition du trouble alimentaire. Ceci permet de mieux évaluer le poids cible à atteindre pour la guérison.
Les paramètres vitaux tels que la tension artérielle, les fréquences cardiaque et respiratoire ainsi que la température doivent également être contrôlés à chaque consultation. Une bradycardie, un rythme cardiaque irrégulier ou encore une hypotension, qu’elle soit orthostatique ou non, sont des signes d’appel à considérer dans les critères d’hospitalisation.
Le périmètre brachial qui se mesure à mi-distance de la ligne entre l’acromion et l’olécrâne permet un suivi nutritionnel car il est peu influencé par l’état d’hydratation.
En phase de perte pondérale, le bilan biologique est très souvent normal, la plupart des déplétions étant intracellulaires. On propose en général un bilan initial, avec ensuite un suivi de la kaliémie régulier chez les patientes qui vomissent. Les bilans biologiques réguliers et rapprochés sont par contre importants en phase de renutrition (cf. paragraphe renutrition ci-après).
Le bilan de base inclut :
formule sanguine simple ;
ferritine ;
Na, K ;
ASAT, ALAT ;
urée, créatinine ;
préalbumine, albumine ;
densité urinaire, corps cétoniques urinaires
Il convient également de faire un électrocardiogramme si la fréquence cardiaque est inférieure à 50/min, à la recherche d’un QTc prolongé. Une densitométrie osseuse est recommandée après une année d’aménorrhée pour évaluer l’importance de l’ostéopénie.
Le trouble électrolytique le plus fréquent en phase de dénutrition est l’hypokaliémie sur vomissements. L’évaluation des vomissements se fait donc systématiquement durant l’anamnèse et de façon répétée dans le temps. Dans le doute, un suivi de la kaliémie est un bon indicateur. Ces troubles électrolytiques peuvent mener à des arythmies cardiaques, voire entraîner le décès. En cas d’hypokaliémie, instaurer une substitution per os et recontrôler à distance.
Les perturbations hypoglycémiques sont plus fréquentes en phase de renutrition en milieu hospitalier et apparaissent plutôt chez les patients avec une anorexie sévère, les stocks de glycogène ayant été utilisés et la néoglucogenèse étant presque nulle, en raison du manque d’apport. Des cas de mort subite ont été décrits.5
Les patientes anorexiques présentent souvent une hypothyroïdie subclinique avec une TSH (hormone de la thyréostimuline) dans la norme mais une T3 et une T4 abaissées. Cette baisse des hormones thyroïdiennes est proportionnelle avec la perte pondérale et se normalise avec la reprise du poids. Il est donc déconseillé d’introduire une substitution, même en cas d’hypothyroïdie avec une TSH abaissée, en raison de la baisse provisoire et de l’effet délétère des hormones thyroïdiennes sur la masse osseuse. Il faut cependant rester vigilant car une anorexie mentale peut masquer une véritable hypothyroïdie sous-jacente. En cas de doute, notamment s’il n’y a pas de changement des valeurs malgré la prise pondérale, il convient de chercher les anticorps anti-TPO (anti-thyroperoxydase).6
Les complications de l’anorexie mentale sur l’os sont un vaste sujet d’actualité. Selon des études, jusqu’à 85 % des patientes anorexiques présentent une ostéopénie.7 La masse osseuse dépend de nombreux facteurs : l’apport en calcium et en vitamine D, des hormones de croissance, des stéroïdes sexuelles et de l’IGF-1. Elle est en augmentation jusqu’à l’âge de 25 ans environ puis diminue avec la ménopause (figure 1). Les patientes qui ont développé une anorexie mentale durant l’adolescence, n’arriveront pas à développer une masse osseuse optimale et présenteront donc une densité osseuse plus faible que celles qui ont développé une anorexie mentale à l’âge adulte. Les adolescentes présentent donc principalement une diminution du remodelage osseux (formation et résorption) alors que chez les femmes adultes, il s’agit principalement d’une augmentation de la résorption osseuse.8
La conséquence de ces perturbations osseuses est un risque de fracture augmenté de 3 : 1 chez les femmes avec un antécédent d’anorexie mentale.
Il est donc indispensable d’évaluer les répercussions osseuses de l’anorexie mentale en faisant une densitométrie osseuse annuellement tant que l’aménorrhée persiste. Une substitution par calcium et vitamine D est nécessaire chez toutes les patientes anorexiques présentant une aménorrhée.
Il est important de noter que les garçons sont également à risque de développer une ostéopénie et qu’une substitution est également nécessaire chez eux.9
Quant à la substitution hormonale, elle n’a pas fait ses preuves en termes d’amélioration de la densité osseuse et, actuellement, il n’est pas recommandé de substituer d’office.
L’aménorrhée est évidemment un symptôme important de la maladie et qui inquiète souvent les patientes, mais ce n’est plus un critère nécessaire pour poser un diagnostic d’anorexie mentale. En effet, il ne peut pas être appliqué aux filles prépubères, à celles qui sont sous contraception orale et aux garçons, souvent oubliés dans cette pathologie.
Dans environ un quart des cas, l’aménorrhée se déclare rapidement, même avant que la perte pondérale ne soit sévère. Elle est en lien avec une diminution des pics pulsatiles de la GnRH (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires), entraînant une baisse des taux de LH (hormone lutéinisante) et de FSH (hormone folliculo-stimulante), ce qui se traduit par une aménorrhée (secondaire, si la patiente était déjà réglée). Il faut toutefois prévenir les patientes que malgré une absence de règles, des ovulations peuvent parfois avoir lieu, ce qui peut mener à des grossesses non désirées.10
Une xérose cutanée est très fréquente avec parfois l’apparition de fissures cutanées qui peuvent saigner et se surinfecter.
En raison de l’hypothermie qui s’installe chez la patiente anorexique, une redistribution du flux sanguin se fait au profit des organes internes ; il en résulte une cyanose périphérique. Il est possible que le lanugo soit également un moyen pour le corps d’essayer de conserver la chaleur.
Les patientes anorexiques en phase de restriction calorique disent souvent qu’elles essaient de manger un peu, mais se sentent très rapidement « pleines » avec parfois l’apparition de nausées. Cette sensation est due à une gastroparésie avec une diminution de la vidange gastrique. Dans ces situations, un stimulateur de la motricité gastrique permet de soulager les symptômes. Dans certains cas extrêmes, la gastroparésie est telle qu’elle peut mener à une dilatation gastrique, voire une nécrose avec des complications potentiellement mortelles. Un ASP (abdomen sans préparation) permet de chercher une distension abdominale pathologique.
Dans la phase d’anorexie, les transaminases sont élevées chez 50 % des patientes sans qu’il y ait de remaniement structurel hépatique. L’US hépatique met en évidence un foie de petite taille sans stéatose, contrairement à l’hépatite de renutrition, dont nous parlerons brièvement plus loin. La cause de cette élévation des transaminases est encore peu claire.
Dans certaines situations, la prise en charge ambulatoire n’est plus possible et il est alors nécessaire d’hospitaliser la patiente en urgence en milieu somatique (tableau 2).11
Un des risques principaux et tant redouté est le syndrome de renutrition inappropriée. Il est d’autant plus fréquent que la patiente présente des critères de gravité, notamment un phosphate bas avant renutrition, un % IMC médian < 75 % et une dénutrition prolongée. Il s’agit d’un ensemble de perturbations métaboliques observées au cours de la renutrition chez des patientes dénutries sévères chroniques (et donc, pas uniquement chez les patientes anorexiques). Il résulte de troubles électrolytiques (notamment une hypophosphatémie, une hypokaliémie, une hypocalcémie et une hypomagnésémie) et se manifeste par une insuffisance cardiaque, un trouble du rythme, une insuffisance respiratoire aiguë ou encore une atteinte neuromusculaire avec un état confusionnel, des hallucinations, des convulsions, voire un coma. Une prise de poids trop rapide juste après une longue période de dénutrition doit faire rechercher des œdèmes des membres inférieurs et/ou une tachypnée, premiers signes cliniques d’un syndrome de renutrition inapproprié. Un tel tableau clinique doit faire systématiquement rechercher des troubles électrolytiques et nécessite une substitution d’urgence. Un suivi rapproché doit être fait dans les deux premières semaines de renutrition.
L’hépatite de renutrition est liée à l’apport de glucose, qui entraîne une lipogenèse et une stéatose hépatique.
L’anorexie mentale est accompagnée de nombreuses complications somatiques que le médecin de premier recours doit pouvoir identifier et traiter. Les garçons sont trop souvent oubliés dans cette pathologie et sont tout autant à risque que les filles de développer des séquelles somatiques.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’évaluation clinique régulière est indispensable en phase de perte pondérale
▪ Les examens paracliniques sont souvent normaux en phase de dénutrition et ne sont donc pas nécessaires (sauf dosage du K+ chez les patientes purgatives)
▪ Il est nécessaire de substituer en calcium et vitamine D les patientes en aménorrhée
▪ Les patientes sont à haut risque de syndrome de renutrition inappropriée durant les deux premières semaines de renutrition. Les examens paracliniques sont indispensables