Alors que la pratique sportive est en plein essor depuis plusieurs décennies, on voit naître en parallèle des troubles liés à cette pratique de l’exercice de plus en plus importante. Le terme de « triade de l’athlète féminine » (TAF) a été évoqué pour la première fois en 1992 par l’American College of Sports Medicine.1 Il résume les conséquences de troubles alimentaires et du cycle menstruel, associés à une ostéoporose chez les athlètes féminines.
Cette appellation a fait du chemin pour maintenant s’afficher plus volontiers sous le nom de Relative Energy Deficiency in Sport (RED-S). En effet, suite à une mise au point du Comité international olympique (CIO), la notion de TAF est remise en question, pour laisser place à ce terme beaucoup plus large qui montre que le problème principal est le manque d’énergie à disposition, ce qui entraîne des conséquences touchant plusieurs systèmes. Ce syndrome peut se manifester tant chez la femme que chez l’homme.2
Les symptômes du RED-S peuvent être très variés et parfois très banals (tableau 1).3 Ils passent souvent inaperçus tant les signes peuvent être discrets, et ce non seulement du point de vue du médecin mais également du sportif lui-même. D’où l’importance pour toutes les personnes en lien avec l’athlète d’en connaître ses différentes manifestations cliniques, afin de mieux détecter, diagnostiquer puis traiter cette pathologie.
La cause première du RED-S est une basse disponibilité énergétique ; autrement dit, l’énergie (d’origine nutritionnelle) qui reste après la pratique d’une activité physique est insuffisante pour couvrir les dépenses nécessaires au maintien de la santé et des fonctions de base de l’organisme.
Le déficit énergétique reste en pratique compliqué à calculer et est une mesure malgré tout peu précise. En effet, il faut quantifier les apports en énergie (calendrier alimentaire, correspondance calorique) desquels on déduit l’énergie dépensée lors des activités physiques (quotidiennes et sportives). Cette dernière se calcule en fonction du sport pratiqué et est rapportée à la masse maigre de l’athlète (mesurée par impédancemétrie par exemple) (figure 1).
Ce déficit peut donc être dû à un manque d’apports (régime, restriction, vomissements, utilisation de diurétiques, laxatifs, hormones thyroïdiennes), ou à une augmentation des dépenses (sport, activités de la vie quotidienne…), ou alors à une combinaison des deux. Le tout pourrait être en lien avec une distorsion de l’image corporelle ou dans le but d’une performance sportive.2,4
Les troubles du comportement alimentaire sont un problème fréquent chez les sportifs, avec une prévalence au moins trois fois plus importante que dans la population générale.5
Le terme d’anorexia athletica a ainsi vu le jour pour décrire une limitation consciente du poids corporel dans le but d’améliorer les performances sportives. La perte de poids dans ce contexte-là est souvent progressive et les troubles subcliniques (contrairement à l’anorexie mentale d’installation plus rapide et évidente).6
Les troubles alimentaires plus spécifiques, type anorexie-boulimie, sont typiques d’activités artistiques, d’activités où le faible poids corporel est un avantage et de celles avec catégories de poids. S’ajoute parfois à cela la pression des sponsors, des entraîneurs et de la famille, avec en parallèle un risque de surentraînement associé (tableau 2).
A noter qu’un athlète peut avoir un poids stable alors que l’énergie disponible est pourtant trop basse. En effet, il existe des mécanismes de compensation pour restaurer un certain équilibre énergétique (diminution du métabolisme, notamment pour la reproduction et l’homéostase).4 De fait, lorsque les apports sont insuffisants, le maintien des fonctions primaires (organes « nobles », muscles lors d’une activité) se fait au détriment de celles plus secondaires (reproduction, croissance…).
L’aménorrhée primaire (absence de règles à l’âge de 15 ans) ou secondaire (absence des menstruations durant au moins trois mois consécutifs chez une femme antérieurement bien réglée) sont facilement identifiables. D’autres anomalies du cycle sont quant à elles beaucoup plus difficiles à relever, comme les cycles anovulatoires avec maintien des règles, bien que déjà pathologiques et néfastes pour la santé.
On sait que les stress physique et psychique associés à l’exercice, un faible pourcentage de masse grasse et des facteurs génétiques peuvent contribuer à l’aménorrhée, mais il semble que le déficit énergétique serait LE facteur prédisposant majeur.7
Une faible disponibilité énergétique peut engendrer des troubles endocriniens et métaboliques touchant l’axe hypothalamo-hypophysaire, pouvant amener à une aménorrhée hypothalamique fonctionnelle de par la perte de pulsatilité de la gonadotropin-releasing hormone (GnRH).2,8
Le seuil (cut-off) en dessous duquel une disponibilité énergétique insuffisante engendre une perturbation des fonctions menstruelles chez la femme est fixé à 30 Kcal / kg de masse maigre par jour.
Il va de soi, lors de troubles menstruels, qu’une anamnèse détaillée et l’exclusion de causes somatiques sont nécessaires avant tout autre diagnostic. Un bilan sanguin complet est d’ailleurs recommandé lors d’une aménorrhée, comprenant un test de grossesse (première cause d’aménorrhée secondaire chez la femme !), un bilan thyroïdien et le dosage des hormones sexuelles (LH, FSH, prolactine, œstradiol, testostérone, DHEA, progestérone).7,9
Plusieurs hormones semblent jouer un rôle essentiel dans la santé de l’os :
les œstrogènes limitent la résorption osseuse, stimulent la calcitonine et favorisent la rétention rénale de calcium.7
La testostérone a un effet anabolique sur l’os en stimulant directement les ostéoblastes et pourrait inhiber l’activité ostéoclastique.
La leptine, l’insulin-like growth factor-1, la ghréline, l’hormone de croissance, le cortisol (entre autres) jouent également un rôle dans cette physiologie osseuse.7
Lors d’une pratique sportive régulière associée à une bonne hygiène de vie, la masse osseuse du sportif tend à augmenter en termes de quantité et qualité : l’os plus solide devient ainsi moins enclin au risque de fractures. Chez les pratiquants de sports en charge, la densité osseuse peut être jusqu’à 5 à 15 % plus importante que chez un individu de même âge non sportif.2
Une femme qui a des règles normales gagne entre 2 et 4 % de masse osseuse par an entre l’âge de 9 et 30 ans. Au-delà, il y a une stabilisation de la masse osseuse qui, par la suite, diminue progressivement à partir de la préménopause. Une femme aménorrhéique ou qui a des cycles irréguliers perdra environ 2-3 % de sa masse osseuse par an ! A noter que le meilleur facteur prédictif pour l’augmentation de la masse osseuse est l’augmentation de la masse maigre (plus que la masse grasse ou le poids global) chez un sportif à faible index de masse corporelle.9
Chez les femmes athlètes présentant un déficit énergétique avec des troubles menstruels, on constate une baisse de la densité et de la qualité osseuses, aboutissant à terme à une ostéoporose. Cette dernière survient plus tardivement que le début de l’aménorrhée, mais il existe toutefois une corrélation entre la durée d’aménorrhée et la diminution de la densité osseuse.7 De plus, le retour des règles augmente beaucoup plus la densité osseuse (1-10 %) qu’un traitement œstrogénique.9
Les œstrogènes endogènes sont cardioprotecteurs en réduisant le cholestérol LDL, le cholestérol total et en augmentant le cholestérol HDL. Ils auraient également des effets protecteurs sur les cellules endothéliales et musculaires lisses. Un effet à plus long terme est l’inhibition de la réponse à la lésion vasculaire responsable de l’athérosclérose via des changements dans l’expression génique.
Chez la femme ménopausée, les maladies cardiovasculaires augmentent considérablement avec la baisse des œstrogènes circulants. Cet hypo-œstrogénisme a des effets néfastes, notamment sur la fonction endothéliale. De même, certains scientifiques pensent qu’il a un rôle similaire chez l’athlète aménorrhéique.7 Cette dysfonction endothéliale serait réversible lors de l’administration d’une contraception orale. Toutefois, ce bénéfice est à pondérer avec les effets secondaires en lien avec une substitution hormonale.7
Les autres conséquences sur la santé liées au RED-S sont aussi nombreuses que les hormones impliquées dans l’axe hypothalamo-hypophysaire. Il semblerait en tous cas que les systèmes gastro-intestinal, nerveux central, hématologique, psychologique, musculaire et métabolique soient concernés. Certaines recherches évoquent la leptine et la ghréline pour expliquer une partie des symptômes, mais leurs rôles sont encore à préciser dans de futures études.4
La prévalence d’un déficit énergétique chez le sportif d’élite est élevée dans le cyclisme (50 %), dans les sports gravitationnels (24 %) et dans ceux à catégories de poids (18 %) (tableau 2).2 C’est dans ces mêmes sports que l’on retrouve la plus haute prévalence d’atteinte osseuse.
Les facteurs de risque d’un RED-S seraient les mêmes que chez les femmes. Certaines études mettent en évidence un processus analogue à celui de la TAF chez l’homme. Il inclut un déficit énergétique, un hypogonadisme hypogonadotrophique et une diminution de la densité osseuse.
Une diminution de la testostérone et d’autres hormones sexuelles, associée à l’augmentation de l’activité physique, semble contribuer à une baisse de la masse osseuse. Mais un point important est que chez l’athlète masculin, la diminution d’œstradiol libre et total serait plus prédictive de l’influence sur la densité osseuse que celle de la testostérone ;10 ainsi, les conséquences d’un taux de testostérone bas seraient moins dramatiques que celles d’un taux bas en œstrogène. De plus, même en cas de baisse d’œstradiol, la testostérone, promouvant la croissance osseuse et musculaire, rendrait l’os de l’homme moins susceptible aux fractures. Les athlètes masculins peuvent néanmoins aussi développer des fractures de fatigue, ces dernières pouvant même être le premier symptôme de la pathologie. Mais chez l’homme, le déficit énergétique doit être proportionnellement beaucoup plus important pour engendrer un tel trouble. Toutes ces raisons pourraient donc, en partie, expliquer pourquoi les troubles hormonaux et osseux ne surviendraient que lors de déficits énergétiques extrêmes chez l’homme.8
A signaler enfin que la perturbation des fonctions reproductives du sujet masculin lors d’un RED-S demande des techniques compliquées et peut rendre difficile l’identification de ce syndrome.
Le meilleur traitement de ce syndrome est sa prévention. L’information et l’éducation des athlètes, entraîneurs, thérapeutes et autres proches du sportif sont essentielles pour limiter, voire éviter cette problématique importante dans le milieu sportif.
Le screening du RED-S est à faire annuellement lors d’un contrôle et dans tous les cas lorsqu’il y a une notion de diminution des performances ou d’exercices excessifs, une fatigue persistante, des troubles menstruels ou une perte de poids significative2,4 (tableau 13). A noter que plus tôt les troubles du comportement alimentaire sont dépistés, plus grande est la possibilité de les guérir.
Lorsque nous sommes en face de symptômes évoquant un potentiel RED-S, une évaluation précise de l’alimentation et des comportements alimentaires (via le Eating Disorder Examination par exemple), ainsi que de la charge d’entraînement est de mise.
Lorsqu’un RED-S est avéré, il faut proposer à l’athlète d’augmenter ses apports énergétiques ou de diminuer ses dépenses physiques, et dans l’idéal les deux conjointement. Un suivi par un psychologue et un spécialiste en nutrition est fortement conseillé. Chez la jeune athlète, un traitement hormonal de substitution n’est pas recommandé car rien n’est aussi efficace que la reprise naturelle des menstruations. La contraception orale serait aussi à l’origine d’une fermeture prématurée du cartilage de croissance. En outre, les bisphosphonates sont fortement contre-indiqués en raison de leur action tératogène, même plusieurs années après (figure 2).2 Le CIO a publié un outil (appelé RED-S Clinical Assessment Tool11) qui permet une évaluation précise, un suivi et une aide au médecin pour la gestion du retour au sport de ces athlètes.
Le terme de RED-S semble vouloir s’imposer en lieu et place de la TAF, mais présente des limitations à une application universelle chez les deux sexes. En effet, notre connaissance de l’influence de la nutrition, et donc du déficit énergétique, sur les divers systèmes de l’organisme (neuroendocrine et osseux en particulier) est encore bien limitée, tant chez la femme, que plus encore chez l’homme.
Force est enfin de constater que la limite entre certains symptômes associés à des pathologies sportives fréquentes et ceux évocateurs d’un syndrome plus complexe est très ténue. Par exemple, la présence d’une fracture de stress ou de signes de surentraînement doit-elle être d’emblée associée à l’existence d’un RED-S masculin ou féminin ? Néanmoins, cette notion de RED-S est importante à garder à l’esprit pour tout médecin ou professionnel de la santé impliqué dans la gestion et le suivi d’un athlète, qu’il soit professionnel ou amateur.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’existence d’un déficit énergétique chez le sportif a des conséquences multiples sur l’organisme, probablement bien plus étendues que celles seulement attribuées classiquement à la « triade de l’athlète »
▪ Plus le syndrome de red-s (relative energy deficiency in sport) est précocement suspecté, plus les chances de le prendre en charge avec succès et ainsi de limiter ses conséquences à long terme sont grandes
▪ Ce syndrome reste néanmoins difficilement détectable, d’où l’importance d’un screening régulier, en particulier chez l’homme où l’existence d’un équivalent de la taf (triade de l’athlète féminine) est avérée