Les « mères porteuses », la « gestation pour autrui » (GPA) alimentent de vifs débats éthiques dans nos espaces démocratiques. Ce sont des affrontements entre deux con-ceptions du droit de la femme à disposer comme elle l’entend de sa fonction de reproduction. Mais ce sont aussi des lectures socio-économiques radicalement opposées. D’un côté certains défendent le droit des femmes à disposer de cette fonction contre rémunération. D’autres dénoncent la marchandisation de la grossesse.
Nous faudra-t-il aller jusqu’à relativiser notre grille éthique universaliste ? La vérité est que nous ne savons qu’assez peu de choses sur les représentations et expériences autour de cette pratique. De ce point de vue, une étude menée en Inde auprès de médecins, d’avocats, de responsables de cliniques, de « parents » et de femmes « gestatrices » montre à quel point la réalité peut être complexe. Ce travail vient d’être publié dans la revue Populations & Sociétés de l’Institut national français d’études démographiques (Ined).1 C’est un document essentiel.
Rappelons que la GPA est définie par le fait qu’une femme, appelée «gestatrice», porte un enfant pour le compte d’autrui, la femme, l’homme ou le couple qui porte le projet d’enfant. Elle est dite « traditionnelle » lorsque la gestatrice est également la donneuse : l’embryon est issu des gamètes du père (ou d’un donneur de sperme) et de la gestatrice, la fécondation se fait par insémination artificielle. Mais la GPA est dite «gestationnelle» lorsque la femme qui porte l’enfant et celle qui donne ses ovocytes ne sont pas la même personne ; la fécondation est alors réalisée in vitro. C’est aujourd’hui la pratique la plus courante dans le monde – et c’est celle qui est pratiquée en Inde. La GPA, sous toutes ses formes, est interdite en France. Du fait de la mondialisation, de minuscules lézardes apparaissent toutefois dans le marbre de la loi républicaine.2
Des primes sont versées aux gestatrices en cas de grossesse multiple ou de césarienne
En Inde, plus de 25 000 enfants auraient été conçus par GPA – dont la moitié pour des parents étrangers. Puis, en 2015, le gouvernement indien a fermé l’accès de la GPA aux étrangers tout en confirmant les possibilités de recours pour les couples indiens. Les parents d’intention étrangers se tournent désormais vers de nouvelles destinations comme le Cambodge ou le Kenya. Aussi les questions examinées dans cette étude sur l’Inde se posent-elles désormais pour les nouvelles destinations de la GPA.
Jusqu’en 2015 cette pratique était, en Inde, accessible aussi bien aux couples hétérosexuels indiens ou étrangers qu’aux couples de même sexe étrangers. Mais l’Inde n’était pas le seul pays dans lequel il était possible de recourir à la GPA ; elle est également explicitement autorisée ou non interdite, et donc pratiquée, en Australie, en Israël, au Canada, dans certains Etats aux Etats-Unis comme la Californie, au Royaume-Uni, en Belgique, Grèce, Afrique du Sud, Ukraine, Russie et Iran. Elle l’est, depuis mai 2016, au Portugal.
« Parmi ces pays, certains comme le Canada, le Royaume-Uni ou l’Australie se sont dotés d’un cadre législatif autorisant exclu-sivement la GPA “ altruiste ”, basée sur le principe de non-rémunération des gestatrices, soulignent les auteures. Les parents d’intention des pays autorisant la GPA altruiste pouvaient être amenés à recourir à la GPA en Inde en raison de leurs difficultés à trouver une gestatrice dans leur pays. Comme Israël, la Russie ou l’Ukraine, l’Inde pratique la GPA basée sur un échange financier. Par ailleurs, contrairement à ce qui est pratiqué dans d’autres pays (Etats-Unis, Thaïlande, Royaume-Uni), l’Inde présente l’avantage d’établir le certificat de naissance de l’enfant au nom de la mère, et non pas au nom de la femme qui a porté l’enfant et qui a accouché. »
Pour les étrangers, la GPA était relativement peu coûteuse en Inde, de l’ordre de 30 000 à 40 000 € (hors frais de voyage) – à comparer aux 100 000 € minimum à mobiliser pour une GPA pratiquée aux Etats-Unis. D’un point de vue pratique, le pays dispose d’une offre médicale importante et de qualité – les démarches y sont aussi facilitées par l’utilisation de l’anglais. Le choix de la clinique ? Il se fait en consultant les réseaux sociaux et les associations. « Les futurs parents ont souligné que leur choix avait été guidé par la réputation de la clinique, le taux de succès affiché et par une organisation qui leur semblait transparente et respectueuse des personnes, peut-on lire sous la plume des trois chercheuses. Dans notre étude, certains parents ont indiqué avoir encore des interrogations sur la légitimité de leur démarche de GPA. D’autres, au contraire, assumaient clairement la pratique en présentant la GPA comme un échange mutuel qui permettait aux gestatrices d’améliorer les conditions de vie de leurs enfants. »
On peut aussi lire ceci : « Le recrutement des gestatrices est essentiellement réalisé en fonction de leur capacité à mener à bien le “ travail de gestation ”, en particulier avoir un utérus de grande taille et de qualité afin d’être en mesure de porter une grossesse multiple éventuelle. Les parents d’intention peuvent généralement choisir leur gestatrice via des profils postés sur le site internet privé de l’agence ou de la clinique. Cependant, l’appariement est parfois fait par les médecins en fonction de la disponibilité des gestatrices et des souhaits exprimés par les futurs parents. »
Ou encore ceci : « Un contrat tripartite est ensuite signé entre l’agence ou la clinique, les parents et la gestatrice. Ce contrat fixe les conditions du travail et les montants. Des primes sont versées aux gestatrices en cas de grossesse multiple ou de césarienne qui comporte plus de risques pour la femme que l’accouchement par voie basse. Les parents ont la possibilité d’ajouter des clauses spécifiques, par exemple sur la nourriture ou la musique à écouter pendant la grossesse. »
Sans oublier :« A l’opposé, les gestatrices n’amendent pas ce contrat qui est par ailleurs rédigé en anglais, si bien qu’elles ne sont pas toujours en mesure de le lire elles-mêmes, le contenu du contrat leur étant généralement exposé par les professionnels de l’agence ou de la clinique. Pendant la grossesse, les gestatrices peuvent rester chez elles, être hébergées dans un logement temporaire, proche de la clini-que, être hébergées chez les futurs parents (lorsqu’ils sont Indiens), ou dans un environnement collectif prévu spécifiquement pour accueillir les gestatrices. Ce dernier est souvent privilégié par les médecins car il permet une surveillance médicale optimale de la grossesse. »
Les bonnes âmes se réjouiront d’appren-dre que « comparativement à la population indienne », les gestatrices « ne sont ni parmi les moins lettrées ni parmi les plus pauvres ». Et que « très peu sont analphabètes ». Elles reçoivent pour l’ensemble du processus de GPA une somme qui varie entre 200 000 et 500 000 roupies (soit entre 2800 et 7000 € environ), ce qui représente souvent pour elles l’équivalent de plusieurs années de salaire.
Est-ce là un nouveau marché d’esclaves ? Nous faut-il relativiser notre grille éthique universaliste ?