Au moment de l’accouchement, les forces qui s’appliquent sur le plancher pelvien peuvent conduire à des traumatismes majeurs du périnée.1‑6 Ces lésions périnéales sont classées en fonction de leur profondeur depuis la fourchette vaginale (figure 1). Les lésions dites sévères sont les déchirures de degré 3 qui touchent de façon plus ou moins complète le sphincter anal, et celles de degré 4 qui s’étendent à la muqueuse anale réalisant une communication entre le vagin et l’anus. Une déchirure du sphincter anal, ou Obstetrical Anal Sphincter Injuries (OASIS), peut conduire notamment à une incontinence fécale et urinaire, ainsi qu’à une dysfonction sexuelle, favorisées par l’interdépendance anatomique et fonctionnelle des organes du plancher pelvien.7,8 Ces conséquences affectent la qualité de vie des femmes.9‑11 Le taux de déchirures obstétricales du sphincter anal s’élève de 6,6 à 25 % selon la méthode diagnostique utilisée. Les déchirures sévères seraient sous-diagnostiquées de façon non négligeable lors de l’examen clinique, alors qu’une évaluation par échographie endorectale permettrait un meilleur taux diagnostique.12
Les dysfonctions sexuelles chez la femme se définissent en fonction de l’atteinte aux différentes étapes de la réponse sexuelle ou de douleurs liées à l’activité sexuelle : troubles du désir, de l’excitation, de la lubrification, de l’orgasme, et présence de dyspareunie ou d’un vaginisme. Les données indiquent une prévalence de dysfonction sexuelle chez la femme variant de 26 à 49 %.13‑15 Le manque de désir sexuel est le trouble le plus fréquent avec une prévalence de 27 à 70 %. Les causes de ces dysfonctions sont multiples, et peuvent être d’origines biologique, psychologique, socioculturelle ou interpersonnelle.
Alors que les accouchements instrumentés et les lésions périnéales ont un impact global connu à court terme (moins de 18 mois) sur la fonction sexuelle féminine, la littérature ne comporte que peu d’articles et d’études évaluant la fonction sexuelle sur le long terme après une déchirure sévère du périnée. Les quelques études recensées forment par ailleurs un ensemble très hétérogène et contradictoire.16‑18 Notre objectif ici est d’éclaircir les conséquences à long terme des déchirures périnéales obstétricales sévères sur la fonction sexuelle au travers d’une revue de la littérature existante.
Une recherche sur le site de référence Pubmed (www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed) a été effectuée en utilisant les mots clés Vaginal delivery, third- and fourth-degree tear, anal sphincter trauma, laceration, sexual dysfunction, pelvic floor dysfunction, long-term. Les articles traitant des conséquences à long terme (plus de 18 mois) des déchirures du sphincter anal sur la fonction sexuelle ont été retenus. Ceux portant sur les conséquences à court terme sont exclus. Les références des articles sélectionnés sont également revues.
La revue systématique d’Andréucci et coll.19 des différents aspects de la vie sexuelle des femmes à long terme après morbidités maternelles obstétricales, toutes causes confondues, démontre une prévalence plus importante de dyspareunie chez ces patientes en comparaison des femmes n’ayant pas expérimenté de morbidités significatives lors de l’accouchement. Il n’a néanmoins pas été possible d’effectuer une méta-analyse en raison d’études trop hétérogènes. Dans l’étude rétrospective cas-témoin de Wagenius et Laurin, 20 publiée en 2003, 14 % des patientes avec OASIS rapportent des dyspareunies contre 6 % des contrôles après un suivi médian de 4 ans. Néanmoins, l’étude permet la mise en évidence d’une diminution de l’incidence de la dyspareunie avec le temps.
Visscher et coll.21 ont étudié la fonction sexuelle par l’intermédiaire du questionnaire Female Sexual Function Index (FSFI) 5 ans après une déchirure périnéale du 3e degré. Cinquante-neuf pour cents des femmes ont un score global inférieur à 26,55, limite en-dessous de laquelle une dysfonction sexuelle est diagnostiquée.22 Plus la lésion est sévère, plus le score est bas, avec un score à 23,6 pour les déchirures 3a-b et 21 pour les déchirures 3c.
Pizzoferrato et coll.23 ont étudié l’impact de l’incontinence anale et urinaire sur la sexualité et la qualité de vie des femmes entre 2 et 5 ans après une déchirure périnéale du 3e et 4e degrés. Ils concluent que la sexualité des femmes n’est pas altérée par la survenue de ces lésions. A contrario, Linneberg et coll.24 déclarent que 50 % des femmes primipares souffrent de dysfonction sexuelle 5 ans après une déchirure du sphincter anal, néanmoins sans différence significative entre les différents degrés de déchirure.
Fornell et coll.16 publient en 2005 une étude prospective des effets à long terme, notamment sur la fonction sexuelle 10 ans après OASIS. A l’aide d’une sonde échographique endorectale, ils mesurent l’épaisseur du périnée comprenant le sphincter anal jusqu’à la muqueuse vaginale postérieure et rapportent qu’une valeur égale ou inférieure à 10 mm est associée à une diminution significative de la lubrification vaginale sans autre altération de la fonction sexuelle. En 2011, Baud et coll.25 publient une étude sur les conséquences d’une déchirure sévère du périnée sur les fonctions pelviennes, 6 ans après l’accouchement. La fonction sexuelle est évaluée par le FSFI. Les patientes ayant subi une déchirure du sphincter anal rapportaient significativement davantage de difficultés à obtenir une lubrification adéquate ainsi que des difficultés à atteindre l’orgasme, et signalaient plus de douleurs après la pénétration que les patientes du groupe contrôle. L’étude d’Otero et coll.18 publiée en 2006 évaluant des patientes uniquement à 18 ans d’une déchirure du sphincter anal soutient ces hypothèses. Les études de Baud et coll. et Otero et coll. s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas de différence en termes de fonction sexuelle globale entre les patientes ayant subi ou non une déchirure sphinctérienne, alors que le sous-score évaluant la lubrification était significativement altéré chez les cas. Une étude, publiée en 1988, rapporte 20 % de dyspareunie chez les femmes ayant subi une déchirure sévère du périnée, contre 8 % chez les patients contrôles.17 Dans une publication récente évaluant par questionnaires les symptômes périnéaux, la qualité de vie et les douleurs à 4 ans d’une déchirure du sphincter anal, Desseauve et coll.26 rapportent un taux de douleurs lors des rapports sexuels s’élevant jusqu’à 50 %. Quarante pour cents des patientes de la cohorte disent souffrir d’un trouble de l’orgasme alors que 69 % présentent un trouble de la lubrification vaginale. L’étude révèle également que 18 % des patientes souffrent de douleurs pelviennes chroniques.
Mous et coll.10 publient, en 2007, une étude rétrospective de type cas-contrôle 15 à 25 ans après une lésion du sphincter anal où ils mesurent l’incidence de douleurs pendant ou après les rapports sexuels et celle de l’incontinence fécale pendant les rapports. Les différences sont significatives, avec 29 % de dyspareunie chez les patientes avec déchirure du sphincter anal contre 13 % chez les patientes contrôles, ainsi que 13 % des patientes avec déchirures du sphincter anal souffrant d’incontinence fécale contre 1 % des patientes contrôles. De façon similaire, Gjessing et coll.27 ont évalué à 17 % le taux d’incontinences fécales durant les rapports sexuels, 1 à 5 ans après une déchirure périnéale du 3e degré.
La fonction sexuelle globale ne semble pas influencée à long terme par une lésion du sphincter anal. L’étude de Baud et coll,25 de 2011, ne retrouve pas de différence significative entre les scores globaux du FSFI des cas et des contrôles. Fornell et coll. et Pizzoferrato et coll. confirment également l’absence de différence en termes de dysfonction sexuelle, bien que leurs effectifs soient modestes avec une vingtaine de patientes par groupe.16,23 Néanmoins, Linneberg et coll. révèlent 50 % de dysfonction sexuelle 5 ans après un accouchement traumatique.24 Certains paramètres de la fonction sexuelle sont en effet plus durablement influencés par ces lésions périnéales.
Trente à 50 % des femmes ayant subi une déchirure du sphincter anal rapportent de façon générale des dyspareunies,18‑20,25,26 alors que la prévalence des dyspareunies dans la population générale varie entre 14 et 27 %.28 Wagenius et coll. rassurent néanmoins en affirmant que la dyspareunie tend à diminuer avec le temps, bien que le suivi médian ne soit que de 4 ans.20
Les difficultés de lubrification lors des rapports sexuels après déchirure du sphincter anal sont rapportées de façon quasi constante, s’élevant de 24 à 69 % selon les études.18,25,26 Les difficultés de lubrification dans la population générale varient entre 4,9, et 13 %.25,29,30 Fornell et coll. mettent en relation l’épaisseur de la paroi périnéale avec la qualité de la lubrification.16 Celle dernière dépend en effet d’une vascularisation et d’une innervation du vagin et de la vulve intacte et fonctionnelle. Lors de l’accouchement par voie basse, un étirement des fibres nerveuses des branches du nerf pudendal au-delà de 30 % peut entraîner des lésions nerveuses définitives.31 Un accouchement instrumenté par forceps, ou la présentation occipitale postérieure de la tête du fœtus accentuent cet étirement et sont également les facteurs de risque pour une déchirure sévère du périnée. La présentation occipitale postérieure du fœtus lors de l’accouchement a d’ailleurs été identifiée comme un facteur indépendant de dysfonction sexuelle dans l’étude de Baud et coll. de 2011.25
Les autres fonctions du plancher pelvien sont également altérées par les déchirures périnéales sévères. La fonction urinaire semble altérée principalement à court terme en comparaison avec celle de femmes n’ayant pas eu de lésions du sphincter anal. Néanmoins, la fonction anale reste perturbée à long terme.25 L’incontinence fécale notamment lorsqu’elle survient durant l’activité sexuelle (13 à 17 % des femmes après lésion du sphincter anal) pourrait influencer négativement la sexualité. Seules deux études mentionnent cette incontinence fécale lors des rapports sexuels,10,27 il ne nous est donc pas possible de tirer de conclusions quant au lien de cause à effet.
Les lésions du plancher pelvien sont souvent cliniquement occultes.32,33 La littérature rapporte jusqu’à 25 % de lésions occultes du sphincter anal parmi les femmes primipares.4,34 L’imagerie par échographie révèle une lésion du sphincter anal après un accouchement par voie basse dans 11 à 40 % des cas.35,36 Il y a donc très probablement un biais de sélection des cas et de leurs contrôles dans chacune des études analysées ici.
La littérature est pauvre concernant les prises en charge qui peuvent être proposées aux patientes avec OASIS pour améliorer leurs difficultés sexuelles. Une seule étude s’est intéressée à la réhabilitation du plancher pelvien chez ces patientes, comparant une réhabilitation précoce et standard avec des suivis moyens respectivement de 16 et 24 mois. La sexualité est perturbée chez 73 % des patientes, mais il y n’y a pas de différence entre les deux groupes.37 La réhabilitation du plancher pelvien après OASIS n’est actuellement pas recommandée, faute d’évidence.38,39
Les dyspareunies secondaires à une déchirure périnéale sévère à long terme peuvent être prises en charge comme toute autre dyspareunie. Les différentes modalités sont les thérapies manuelles permettant de relâcher la musculature du plancher pelvien, les traitements médicamenteux systémiques (Prégabaline, Amitriptyline) et locaux (gel de lidocaïne), ainsi qu’une prise en charge psychosexuelle, associant des approches éducatives, cognitivo-comportementales et corporelles, incluant au besoin le partenaire.40 Les troubles de la lubrification peuvent être améliorés par l’utilisation durant les rapports de lubrifiants à base de silicone qui persistent plus longtemps en surface des muqueuses.
A l’avenir, le screening des femmes à risque de lésions du plancher pelvien pourra peut-être être mieux défini si l’on se préoccupe avant la naissance des futures lésions pouvant apparaître avec l’accouchement par voie basse en utilisant le questionnaire UR-CHOICE et en enregistrant les pressions intrarectales pendant la phase expulsive.
Les déchirures périnéales obstétricales sévères, sans altérer globalement la fonction sexuelle féminine, entraînent des dyspareunies et des troubles de la lubrification à long terme. Ces dysfonctions sont donc à rechercher spécifiquement dans le suivi des femmes ayant subi de telles lésions.
Il faut également garder à l’esprit que de multiples paramètres au cours de la vie d’une femme vont influencer sa sexualité : l’âge, la ménopause, l’histoire médicale, obstétricale et chirurgicale, mais également d’autres facteurs non biologiques, comme ceux psychologiques, socioculturels et interrelationnels. Toute femme se plaignant de difficultés dans sa sexualité mérite donc une évaluation globale visant à définir le trouble sexuel et à en rechercher les causes possibles, sans se limiter à la seule cause anatomique.
L’impact des lésions sévères du périnée sur la sexualité et la qualité de vie nécessite des études de plus grande puissance et sur un plus long terme.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Le Dr Maud de Rham est supportée par la bourse de la « Fondation Divesa ».
▪ Les femmes ayant subi une déchirure périnéale obstétricale sévère peuvent développer à long terme des dyspareunies et des troubles de la lubrification vaginale
▪ Sur le long terme, la fonction sexuelle globale de ces femmes semble cependant être identique à celle des femmes n’ayant pas subi de telles lésions
▪ Toute dysfonction sexuelle doit être évaluée non seulement en fonction de paramètres biologiques, mais également en tenant compte des paramètres psychologiques, socioculturels et interrelationnels