L’approche du Dr Balint1–7 est résumée par la gynécologue Diane Winaver : « La gynécologie psychosomatique n’est pas une spécialité dans la spécialité gynécologie-obstétrique. C’est une approche particulière dans l’exercice de la gynécologie. Elle est fondée sur la relation médecin-patient(e). Le gynécologue psychosomaticien reste avant tout un médecin du corps formé à une prise en charge psychologique. L’appareil génital féminin se situe anatomiquement entre l’appareil urinaire, en avant et la partie distale de l’intestin en arrière, émonctoires de l’urine et des selles, zone pudique, longtemps qualifiée de “honteuse”, passage obligé du nouveau-né, car c’est là qu’il a été conçu. C’est le cœur de la sexualité génitale. La gynécologie est donc une médecine du sexe, de l’amour, de la vie et de la mort. Le gynécologue ne peut faire l’impasse sur tout ce qui touche aux malheurs du sexe, pathologies organiques ou psychologiques retentissant sur la santé physique et mentale des femmes. L’approche psychosomatique des malades nécessite un “travail sur soi” bénéfique et pour la patiente et pour le médecin. »8
Fidèles à cette approche, nous présentons ici deux situations de patientes consultant une gynécologue. Elles renvoient à des contextes psychosociaux plus larges soulignés par une sociologue.
Cette nouvelle patiente de 55 ans, d’origine italienne, consulte pour une incontinence par impériosité. Elle est très gênée dans sa vie courante, craint de sentir l’urine et doit porter des protections. Avant de sortir, elle évite de boire pendant les 2 à 3 heures précédentes. Elle est en bonne santé à part un surpoids modéré. A l’issue de cette première consultation, nous convenons d’essayer un programme comportemental de rééducation de la vessie sans médicament pour commencer. Elle reçoit un carnet pour consigner ses mictions, les besoins impérieux, ses activités, les fuites et ses boissons. La consigne est de boire plus et d’aller régulièrement et suffisamment tôt aux toilettes pour éviter les besoins impérieux. Nous convenons de plusieurs rendez-vous à intervalle de 7 à 10 jours.
Elle revient après une semaine, a eu de la peine à tenir son journal, a réussi parfois à boire plus mais le bilan est assez maigre. Je l’encourage à persévérer et à revenir après une semaine. La 3e consultation montre un réel effort mais des fuites journalières. Le matin semble plus facile à gérer, les problèmes s’aggravent vers le soir. Avant la 4e consultation, elle annule son rendez-vous pour partir d’urgence en Italie voir une parente malade. Elle revient après un mois et m’explique que, dès qu’elle a mis le pied dans le train pour partir, son incontinence a disparu et, malheureusement, est réapparue dès son retour. Nous essayons de comprendre ce phénomène : elle est mariée à un homme plus âgé qu’elle, qui est très désobligeant et agressif avec elle. Elle souhaiterait se séparer de lui depuis longtemps mais en est dépendante financièrement. Elle se rend compte de la nature de son problème urologique et est motivée pour essayer de reprendre le contrôle de sa vessie. Son conflit matrimonial est plus compliqué à résoudre.
Bien que gênée dans sa vie quotidienne par son incontinence, cette patiente ménopausée9 accepte à l’issue d’une première consultation d’essayer un programme comportemental de rééducation de la vessie qui comprend un volet d’auto-observation, le carnet à remplir consciencieusement. Elle accepte aussi de prendre plusieurs rendez-vous à intervalle de 7 à 10 jours. Son affection est donc prise très au sérieux. Malgré l’absence de prescription médicamenteuse, la gynécologue ne la laisse pas tomber. La relation médecin-patient s’inscrit dans une temporalité serrée et longue à la fois qui doit permettre à la patiente comme au médecin de comprendre petit-à-petit ce qui se passe ensemble. L’approche psychosomatique est en place.10,11
A la 2e consultation, tout est difficile. On s’encourage mutuellement. A la 3e, le matin semble plus facile à gérer, les problèmes s’aggravent vers le soir. L’auto-observation commence à donner des fruits. C’est le soir qu’on se met au lit… La 4e est annulée : la patiente doit partir d’urgence en Italie voir une parente malade. Est-ce une rupture de la relation ? Pas du tout. Cet imprévu lui permet de faire un constat capital : dès qu’elle a mis le pied dans le train pour partir, son incontinence a disparu et est réapparue dès son retour. Le problème réel est son souhait de se séparer de son mari depuis longtemps, impossible pour des raisons financières. Forte de cette compréhension, lui sera-t–il désormais plus facile de reprendre le contrôle de sa vessie ? La question reste ouverte. Cette situation souligne les liens étroits qu’entretiennent, aux yeux des patients, les organes génitaux et le système urinaire, alors que la médecine les sépare (gynécologie, urologie, sexologie).
Patiente de 26 ans, d’origine kosovare, employée de bureau, connue depuis 2 ans. Elle avait eu des investigations hospitalières en 2012 pour des vertiges et des céphalées restées sans diagnostic. Elle a le même partenaire depuis 6 ans avec lequel elle s’est mariée l’an passé. Elle ne veut se protéger ni avec un stérilet (contraception de trop longue durée) ni avec la pilule dont elle redoute les effets secondaires. D’ailleurs sans se protéger de manière conséquente pendant toutes ces années, elle n’est pas tombée enceinte.
En mars 2016, elle demande une prescription de pilule, nous nous accordons sur la minipilule en raison de ses migraines. En avril, elle consulte en urgence pour des douleurs abdominales : le bilan clinique, sonographique et de laboratoire, est sans particularité. Malgré les fortes douleurs, elle est allée travailler. Elle prend sa pilule à peu près régulièrement. Elle me téléphone en juin pour me dire qu’elle a fait une pause, n’ayant pas eu le temps d’aller l’acheter. Elle revient en urgence en octobre, a consulté 2 fois entretemps son généraliste sans que les douleurs se soient améliorées et qu’un diagnostic ait été posé. Lui demandant si elle a une dyspareunie, elle m’explique que son mari ne l’apprécie guère, est agressif et parfois violent et qu’elle refuse les rapports depuis plusieurs mois. Je fais la remarque que ce genre de situation peut générer des douleurs. L’ayant prise en urgence, je lui propose de la revoir pour en parler.
Lors de cette consultation elle m’explique qu’elle a depuis 3 ans une relation extra-conjugale avec un homme d’origine italienne avec qui elle ne peut envisager de vie commune. Une séparation d’avec son mari et une union avec un homme d’une autre religion, d’une autre origine n’est pas concevable, voire même dangereuse. Assez alarmée, je lui conseille de se faire prendre en charge par les groupements officiels pouvant lui offrir un refuge et une aide juridique. Elle connaît ces possibilités mais ne veux pas y faire appel. Elle remarque que ses douleurs n’apparaissent qu’en présence de son mari. Lui faisant remarquer que ce constat va dans le sens de mon hypothèse de douleurs de stress, elle acquiesce.
Nous prenons un rendez-vous de contrôle. Entretemps, elle me fait savoir par mon assistante qu’elle arrête sa pilule car elle pense que celle-ci est responsable de ses douleurs. Provocation d’une grossesse pour se sortir de son conflit, mais à quel prix ? Ou pour rester avec son mari puisque l’enfant sera de lui ? A mon téléphone pour savoir ce qu’elle envisage, elle est évasive et revient un mois plus tard toujours pour ces douleurs, persuadée d’une origine somatique. Un examen par résonance magnétique est normal, nous devons nous revoir pour en discuter.
Au début, la question de cette jeune femme d’origine kosovare est : se marier ou pas ? Elle a eu des relations sexuelles avant le mariage avec un partenaire unique qu’elle épouse 6 ans plus tard. Elle est née et a grandi en Suisse dans une famille de culture musulmane. Elle est en situation d’acculturation, plus vraiment kosovare, pas encore vraiment suisse, coincée entre une famille traditionnelle et une éducation helvétique. Elle en a des vertiges et des céphalées.12
En 2015, elle résout la question en se mariant. Et la question devient : être ou ne pas être enceinte ? Elle consulte la gynécologue : elle veut se protéger d’une grossesse mais ne veut aucune des méthodes fiables proposées. Toutes ont des défauts. D’ailleurs, ne s’étant pas protégée pendant 6 ans, elle n’est pas tombée enceinte. Elle hésite, revient en mars 2016 demander une prescription de pilule.13,14 Ce sera une minipilule, compte tenu de ses céphalées.
Son ventre se manifeste en avril : elle consulte en urgence pour douleurs abdominales. Résultats des examens : rien à signaler. En juin, elle appelle sa gynécologue pour lui dire qu’elle prend la minipilule à peu près régulièrement et qu’elle a décidé de faire une pause puisqu’elle n’a pas eu le temps d’aller l’acheter ! C’est donc un problème secondaire. Les douleurs sont toujours là. Elle consulte à deux reprises son médecin de famille : les douleurs restent inexpliquées. Passe l’été. En octobre, elle retourne en urgence chez sa gynécologue qui lui pose la question cruciale : celle de la douleur lors des rapports sexuels. Elle évacue la question : elle refuse les rapports sexuels depuis plusieurs mois car son mari est agressif, voire violent. Cette piste mérite d’être creusée.
Lors de la consultation suivante, à la fois tout s’éclaire mais rien n’est possible. Elle a une relation extra-conjugale depuis 3 ans avec un homme italien de culture catholique avec lequel aucun avenir n’est envisageable. Ses douleurs n’apparaissent qu’en présence de son mari.15 Ses origines familiales l’exposent à un danger mortel si ça se sait. Alarmée, la gynécologue lui propose une protection juridique et sociale officielle, ce qui suppose une rupture toute aussi officielle avec sa famille. Elle ne peut s’y résoudre. Pour le moment.
Avant le rendez-vous suivant, elle fait savoir par téléphone qu’elle pense que la pilule est responsable de ses douleurs et que leur origine est somatique. Elle l’arrête. Un examen par résonance magnétique est normal. Elle s’en remet au hasard. Tout peut arriver. Une grossesse non désirée de son mari ? De son amant ? Une répudiation pour stérilité ? Pour adultère ? Une situation conjugale de plus en plus violente qui la pousserait à recourir à une protection juridique pour sauver sa peau ? Une issue heureuse ?
En fait, il n’y a pas de maladies psychosomatiques et d’autres non, ni de patients psychosomatiques et d’autres non. Toute atteinte somatique a des résonances psychologiques et vice versa. L’approche psychosomatique devrait faire partie de la consultation habituelle. Il ne s’agit pas d’une spécialité en plus. Et sans connaître le contexte psychosocial d’une affection, on risque de passer à côté des problèmes et de laisser les patientes démunies. La condition est de mettre en place une prise en charge de longue durée, ce que ne facilitent pas les cabinets de groupe, policliniques et autres structures où les médecins changent sans garantie de continuité.
On se réjouit des cas où les patientes guérissent en changeant leur mode de vie, mais c’est relativement rare. La deuxième situation le montre, il est difficile pour les patientes d’accepter une hypothèse et une approche thérapeutique autre que purement somatique. Le but devient alors de construire une relation durable et de diminuer les examens multiples. Une chronicité stable sans trop de traitements, y compris chirurgicaux, est déjà un succès.
Enfin, la question de la normalité se pose souvent en consultation depuis que la liberté sexuelle acquise dans les années 60 s’est lentement transformée en contrainte sociale et qu’avoir une sexualité épanouie est devenue un impératif culturel.
Ayant travaillé de nombreuses années avec la Dr Myriam de Senarclens, gynécologue et disciple de M. Balint, pionnière de la médecine psychosomatique en Suisse et dans le monde, nous rappelons, dans le tableau 1, l’itinéraire qui l’a amenée à créer une Fondation encourageant la recherche en gynécologie-obstétrique psychosomatique, plus que jamais indispensable aujourd’hui.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Toute atteinte somatique a des résonances psychologiques et vice versa
▪ L’approche psychosomatique devrait faire partie de la consultation médicale habituelle. Il ne s’agit pas d’une spécialité en plus
▪ Sans connaître le contexte psychosocial d’une affection, on risque de passer à côté des problèmes et de laisser les patients démunis