Depuis le début des années 2000, les autorités de santé et les associations médicales de différents pays recommandent aux gynécologues d’aborder activement le sujet de la sexualité en consultation.1,2 Selon elles, les gynécologues sont particulièrement bien placés pour aborder ces questions car ils traitent la sphère intime des patientes et que la plupart des diagnostics et interventions que les médecins gynécologues effectuent ont un impact (in)direct sur la sexualité des patientes.3 Or, il semble que les gynécologues, tout comme les autres médecins, peinent à aborder ce sujet. L’examen de la littérature relève que moins d’un médecin sur deux, issus de différentes disciplines, intégrerait des questions relatives à la sexualité lors de l’anamnèse.4,5 Les obstacles perçus par ces derniers à l’abord de ce sujet sont, premièrement, le manque de connaissances et de compétences communicationnelles à mener un entretien dans lequel la sexualité est abordée.6–8
Deuxièmement, des études anglaises et françaises,9,10 montrent qu’une partie des médecins s’interroge sur la légitimité à poser des questions aux patientes relatives à leur vie sexuelle. Les praticiens sont soucieux de ne pas transgresser les frontières entre les sphères publique et privée des patientes.
Troisièmement, les médecins perçoivent un manque d’intérêt de la part de leurs patientes, à parler de sexualité en consultation.11 Cela, en contradiction avec bon nombre d’études, réalisées aussi bien en Suisse qu’aux Etats-Unis2,12 montrant qu’une majorité des patientes (2 / 3) souhaiteraient parler de sexualité en consultation médicale. De nombreux travaux montrent que les femmes considèrent la sexualité comme un élément important dans leur vie, ayant un impact sur leur santé et leur qualité de vie.13
Bien que ces recherches montrent que les patientes désirent parler de sexualité, aux Etats-Unis, certains travaux14 précisent qu’elles n’osent pas initier la conversation à ce propos, car elles craignent d’embarrasser leur médecin. Ces discordances indiquent l’existence de problèmes de communication, voire de formation de base des médecins dans ce domaine. A notre connaissance, aucune recherche ne s’est intéressée spécifiquement à la gynécologie. La majorité des recherches ont été menées dans des services de médecine générale et de premier recours.4–10 Pour pallier ce manque de connaissance, une étude suisse15 s’est proposée d’étudier de manière spécifique les perceptions des gynécologues et des patientes face à l’abord de la sexualité en consultation.
Les perceptions des gynécologues ont été étudiées à l’aide d’entretiens semi-structurés avec des gynécologues hommes et femmes (n = 21) de toute la Suisse romande. En ce qui concerne le point de vue des patientes, trois groupes focalisés (n = 16), avec des patientes âgées de 23 à 65 ans, ont été réalisés. Puis, à partir de ces résultats, un questionnaire visant à tester les résultats qualitatifs sur un plus large échantillon de patientes (n = 421) a été élaboré.
L’analyse souligne deux attitudes par rapport à la manière d’aborder ou non le sujet de la sexualité en consultation. La première, partagée par une majorité des gynécologues interviewés – hommes ou femmes – consiste à laisser une certaine ouverture à la discussion en offrant, de leur point de vue, la possibilité aux patientes d’aborder la sexualité : « En consultation gynécologique, je reste très ouverte, disons que je pose des questions ouvertes pour leur laisser l’occasion d’exprimer quelque chose » (Gyn_f).a
L’autre attitude est celle de l’évitement, dans laquelle on trouve uniquement des discours provenant de gynécologues hommes. Certains précisent aborder le sujet, mais sans s’y attarder, d’autres, selon leurs dires, n’entrent même pas en matière : « Moi comme gynécologue (…) je ne m’occupe pas de ces problèmes sexologiques » (Gyn_h).
De ces deux attitudes découlent différentes manières d’introduire, ou non, la sexualité en consultation. La majorité des gynécologues interviewés disent demander à leurs patientes si elles ont « des douleurs pendant les rapports » ou si « elles ont un souci à ce niveau-là ? ». Dans le même ordre d’idées, une interrogation qui se retrouve principalement dans le discours des gynécologues hommes, est celle des moyens contraceptifs « Et sinon, au niveau de votre contraception, tout va bien ? ». Enfin, une question relevée essentiellement dans le discours des gynécologues femmes est celle concernant la relation de couple ou la famille.
Malgré une attitude d’ouverture partagée par une majorité des gynécologues, l’analyse des entretiens relève de nombreuses difficultés perçues par ces derniers à l’abord de ce sujet en consultation. Seules les deux plus saillantes seront exposées ici.
Selon la majorité des gynécologues interviewés, il n’y a pas ou peu d’enseignements en sexologie dans le cursus universitaire de médecine : « Oh, il n’y avait rien du tout, c’était un peu le mystère, c’est un peu comme tout le monde, on connaît sa sexualité, ce qu’on lit dans les magazines » (Gyn_f). De plus, cet enseignement est facultatif. En lien avec leur formation lacunaire en matière de sexologie, de nombreux gynécologues déplorent « le manque d’outils » à leur disposition pour répondre aux questions et / ou attentes de leurs patientes. Ils déclarent « faire avec les moyens du bord » (lectures, expérience personnelle, discussions avec les collègues, etc.).
En outre, l’analyse souligne, tant dans le discours des hommes que dans celui des femmes gynécologues interviewés, la crainte d’être intrusif en abordant le sujet de la sexualité en consultation. Ces derniers s’interrogent, d’une part, sur leur légitimité à poser des questions sur la sexualité à leurs patientes et, d’autre part, sur la manière dont ils seront perçus par ces dernières. Deux éléments distincts, qui sous-tendent cette interrogation, sont mis en évidence. Le premier est la crainte de perdre des patientes. En effet, dans le discours de plusieurs médecins interviewés, on retrouve des récits de patientes qui auraient changé de gynécologue car le ou (la) précédente(e) se serait montré(e) trop insistant(e) au sujet de la sexualité : « Moi j’ai eu des fois des patientes qui arrivaient venant d’un gynécologue qui avait été trop inquisiteur dans leur vie intime et cela les avait mises mal à l’aise » (Gyn_h). Le second est la résistance à aborder de pair l’examen des organes sexuels et une discussion intégrant des composantes psycho-relationnelles : « Nous on est dans le physique, on touche et on a le regard dans l’intimité et ça pour moi c’était aussi au début une question que je me suis posée : est-ce que c’est conciliable d’être dans le physique et en même temps d’entrer tellement dans l’intimité au niveau verbal ? Au début, c’était une grande question, je me sentais mal à l’aise ou j’avais l’impression : bah ce n’est pas tellement possible » (Gyn_f).
On peut alors se demander ce qu’il en est du côté des patientes, comment perçoivent-elles l’introduction de la sexualité en consultation médicale et quelles sont leurs attentes en la matière ?
Les données récoltées dans le cadre du questionnaire montrent que le gynécologue se place en tête des professionnels de la santé avec lesquels les patientes voudraient parler de sexualité. Viennent ensuite le thérapeute, le sexologue et le médecin généraliste (figure 1).
La principale raison évoquée par les patientes pour expliquer ce choix est que l’examen gynécologique les place, de fait, dans une situation intime avec leur gynécologue. Les données issues des focus groups confirment ce résultat : « A partir du moment où il va voir au cœur de notre intimité » et soulignent que les patientes s’attendent à parler de leur sexualité tant dans ses dimensions biologiques, que psychologiques et relationnelles. L’absence d’une telle discussion alors qu’elle correspond à un besoin chez les patientes, mène souvent à une certaine frustration : « Mais c’est vrai ce que tu dis, il n’y a aucun endroit où l’on est plus à nue physiquement, mais en même temps notre nudité psychologique, alors ça, ça lui échappe (…), il regarde le centre de ma sexualité et il ne pose aucune question ». Seul un très faible pourcentage de patientes (2,9 %) pense que le gynécologue ne peut pas, à la fois, ausculter les organes sexuels et discuter de sexualité (figure 2).
En outre, concernant la crainte des gynécologues de perdre une patiente en abordant le sujet de la sexualité, les résultats du questionnaire – en réponse à la question pour quelle(s) raison(s) avez-vous changé de gynécologue ? – montrent que seuls 1,4 % des femmes déclarent avoir changé de gynécologue car celui-ci ou celle-ci était trop intrusif(ive) concernant leur sexualité. En effet, la principale raison qui explique le changement de gynécologue est le manque d’empathie et / ou d’écoute.
Bien que la plupart des gynécologues interviewés pensent offrir l’opportunité aux patientes de parler de leur sexualité, il semble que du point de vue des patientes, la manière dont les gynécologues abordent le sujet soit dissuasive. Les résultats des focus groups soulignent que des comportements verbaux, tels que : a) le vocabulaire utilisé, « Et la chose ça va ? » ; b) la formulation de questions fermées : « Et sinon tout va bien ? » et c) ou encore une focalisation sur les aspects biomédicaux de la sexualité (examens, contraception, etc.), dissuaderaient les patientes de poser leurs questions d’ordre sexuel. Ainsi, les questions qu’on retrouve dans la majorité des discours des gynécologues interviewés, présentées plus haut, cumuleraient plusieurs caractéristiques ne favorisant pas la discussion. L’analyse des données montre que les patientes se sentiraient encouragées à parler de leur sexualité, si leur gynécologue leur rappelait au début de la rencontre que la consultation gynécologique est un lieu où l’on peut parler de sexualité. Egalement, le fait d’énoncer clairement le mot « sexualité » dans sa question, tout en adoptant une posture non verbale d’ouverture à la discussion favoriserait l’abord de cette question en consultation (figure 3).
Bien que les gynécologues soient désignés par les autorités de santé comme les interlocuteurs privilégiés pour aborder les questions de sexualité, au terme de cette revue de littérature, nous constatons qu’ils peinent encore à aborder ce sujet. Sur la base des résultats évoqués, nous suggérons quelques pistes pour améliorer l’abord de la sexualité en consultation. Tout d’abord, il semblerait pertinent de sensibiliser les gynécologues aux attentes des patientes (le choix du gynécologue comme interlocuteur souhaité) et, plus particulièrement, aux discordances entre leurs perceptions et celles des patientes (manière d’introduire le sujet, perception de l’intime), afin de réduire les craintes émises par certains gynécologues. Il pourrait également être pertinent de mieux circonscrire la mission des gynécologues en la limitant par exemple, à du conseil en matière de sexualité, c’est-à-dire à fournir de l’information de base sur le fonctionnement sexuel, à rassurer et à démystifier certaines croyances des patientes.
Enfin, l’amélioration des connaissances sexologiques passe par l’intégration dans le cursus médical d’enseignements sur les dimensions psychologiques et sociales de la sexualité. Nous pouvons penser, avec l’introduction récente de cours de communication et d’un module d’enseignements de sciences humaines et sociales en médecine, que les nouvelles générations de médecins seront plus sensibilisées aux questions relationnelles et psychologiques de la sexualité. Toutefois, les programmes d’études de médecine ne pourront pas être rallongés indéfiniment, et d’autres formes de prise en charge des dimensions psycho-relationnelles de la sexualité peuvent être imaginées, comme une collaboration avec d’autres professionnels de la santé (psychologue, sexologue, conseiller(ère) en santé sexuelle).
▪ L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le gynécologue est perçu par les patientes comme l’interlocuteur souhaité en matière de sexualité
▪ Les patientes s’attendent à parler de sexualité dans ses composantes biologiques, mais aussi psychologiques et relationnelles
▪ La formation sur les composantes psychologiques et relationnelles de la sexualité doit être encouragée chez les gynécologues
▪ Le gynécologue peut fournir de l’information et des conseils sur le fonctionnement sexuel, rassurer les patientes et démystifier certaines croyances sur la sexualité. Il peut aussi renseigner sur l’impact sur la sexualité de certaines maladies, infections, interventions médicales et référer à d’autres professionnels de la santé (psychologue, sexologue, conseiller(ère) en santé sexuelle) lorsqu’un travail sexologique plus approfondi est nécessaire