La gynécologie-obstétrique est le plus souvent considérée par le public et les médecins comme une discipline spécialisée, centrée sur la reproduction et l’endocrinologie de la femme, et qui confie les bébés à naître aux maternités des hôpitaux. C’est aussi une discipline spécialisée en chirurgie des organes génitaux féminins. Dans cette tradition et selon cette perspective, la dimension psychosexuelle est le plus souvent absente de la formation des gynécologues, de leur pratique quotidienne ainsi que dans la recherche. Cette absence de la médecine sexuelle en gynécologie-obstétrique est tout à fait étonnante. En effet, la prévalence des troubles sexuels chez les femmes est élevée, d’environ 20 à 30 % (comme chez les hommes d’ailleurs). Ces troubles se manifestent dans toutes les phases de la vie reproductive et dans de nombreuses situations cliniques. Il suffit de penser aux jeunes femmes qui souffrent de douleurs sexuelles sans cause apparente, aux femmes qui observent un changement de leur plaisir sexuel, positif ou négatif, lorsqu’elles prennent la pilule. Ou encore à celles qui perdent tout intérêt sexuel après l’accouchement ou lors de la ménopause, se plaignant de douleurs pendant les rapports. Ces douleurs sont-elles la cause ou l’effet de leur désintérêt pour l’activité sexuelle ? Toutes ces questions méritent d’être posées.
selon cette perspective, la dimension psychosexuelle est le plus souvent absente de la formation des gynécologues
Pourquoi la médecine sexuelle reste-t-elle en marge de la gynécologie-obstétrique ? Les raisons de cette exclusion sont diverses :
Toutes ces raisons sont importantes et méritent d’être prises au sérieux. Il y a cependant des solutions dans l’histoire récente de la médecine sexuelle. Avec les travaux de Masters et Johnson, la médecine a pu décrire les différentes phases de la réponse sexuelle, permettant de formuler une classification des troubles sexuels, de standardiser les procédures diagnostiques (incluant l’utilisation de questionnaires validés) et de développer différentes interventions thérapeutiques (sensate focus, masturbation training, etc.) et de les comparer.
Des études basées sur des méthodes d’observation menées avec des personnes volontaires (principalement des travailleuses du sexe) et des études en laboratoire (principalement avec des animaux) portant sur les physiologies neurovasculaire et neuromusculaire du cycle de la réponse sexuelle ont été réalisées. La compréhension de la physiologie de l’érection et de celle de l’excitation féminine a créé les bases du développement et de l’introduction de nouveaux médicaments comme les IPDE-5 ou les traitements hormonaux locaux avec œstrogènes.
En même temps, l’évolution de l’endocrinologie, en particulier de la neuroendocrinologie, ainsi que les progrès de la neuro-imagerie, ont permis de mieux comprendre la régulation endocrinienne et cérébrale de l’expérience et du comportement sexuel, ouvrant des nouvelles perspectives thérapeutiques endocrinologiques et psychopharmacologiques.
Dans ce contexte biomédical, d’autres domaines de la sexologie se sont développés. La pharmacosexologie, qui traite les effets secondaires des médicaments sur la fonction sexuelle, la sexologie médicale, qui se concentre sur les mécanismes spécifiques des maladies et de leur impact sur la fonction sexuelle comme l’oncosexologie, par exemple. Ou encore la sexologie chirurgicale qui s’intéresse non seulement aux conséquences des interventions chirurgicales sur la fonction sexuelle, mais vise aussi à développer des interventions améliorant la fonction sexuelle ou réduisant les douleurs pendant les rapports sexuels (vestibulectomie, rajeunissement vaginal pour les femmes, opérations de la maladie de La Peyronie pour les hommes).
Presque toutes les disciplines psychothérapeutiques ont développé des modèles de compréhension des motivations, des comportements et des troubles sexuels. Les approches psychanalytiques se concentrent principalement sur les conflits internes entre le « surmoi » et le « ça » ; les approches comportementalistes interprètent les problèmes sexuels comme le résultat de faux processus d’apprentissage; les approches humanistes se centrent sur les aspects de la croissance individuelle, de l’auto-actualisation et sur le défi de créer sa propre sexualité ; les psychothérapies systémiques se focalisent sur les modes d’interaction et de communication entre partenaires ; les thérapies corporelles aident les patients à prendre conscience de leur corps, à entrer en contact avec leur fonction sexuelle, à visualiser les processus internes et à pratiquer certains mouvements qui agissent comme un feedback du corps vers l’esprit.
il faudrait qu’une formation spécifique en médecine sexuelle fasse partie du curriculum obligatoire
Comment la gynécologie-obstétrique peut-elle intégrer toutes ces connaissances et faire profiter les patientes du potentiel de la médecine sexuelle moderne ? Le défi est majeur. En effet, il faudrait réaliser un concept d’intégration qui tienne compte de la multidisciplinarité et de la multidimensionnalité de la sexualité humaine (santé physique et santé mentale). Cette réponse pourrait se réaliser à plusieurs niveaux.
Il faudrait créer des centres académiques multidisciplinaires de médecine sexuelle qui viseraient à développer des programmes de formation et de training aux niveaux pré et post-gradué. Ces centres devraient définir des niveaux de formation différents pour les soins primaires, de complexité moyenne et ceux spécialisés. Ils devraient être aussi les protagonistes de la recherche en médecine sexuelle et tenir compte des exigences pratiques des différentes spécialités médicales. Pour la pratique, il faudrait qu’une formation spécifique en médecine sexuelle fasse partie du curriculum obligatoire en gynécologie-obstétrique.
A l’avenir, nous avons besoin d’une collaboration multidisciplinaire et multi-universitaire pour assurer qu’une médecine sexuelle scientifique ne soit pas seulement intégrée en gynécologie-obstétrique mais aussi dans les autres spécialités de la médecine. Plus largement, la gynécologie-obstétrique pourrait et devrait jouer un rôle déterminant dans l’ensemble de ce développement.