Les appareils d’échographie vivent actuellement une révolution tant au niveau de la technique qu’à leur utilisation dans différents domaines médicaux. L’usage de l’ultrasonographie (US) par les médecins urgentistes progresse depuis plusieurs années et la nouvelle génération de médecins entre en contact avec ces nouvelles technologies dès le niveau prégradué. Les appareils sont de plus en plus performants avec une meilleure qualité d’images et de moins en moins chers.
Longtemps considérée comme un examen complémentaire, l’US est en train de devenir un outil clinique à part entière, technique rapide, portable, facile d’utilisation, sans effet nocif pour le patient et moins coûteuse comparée aux autres techniques d’imagerie médicale. La médecine de famille n’est pas exclue de ces avancées et de plus en plus de médecins en sont équipés. Cela pose cependant un certain nombre de questions quant à son utilité dans la pratique de routine : quelles en sont les indications ? Quelles sont les performances ? Comment former les médecins de famille ?
Une enquête publiée dans la Revue médicale Suisse (anciennement Médecine et Hygiène), il y a 20 ans, révélait cependant que peu de médecins de famille voyait un intérêt à se former et à pratiquer l’US.1 Mais qu’en est-il aujourd’hui ? C’est l’objet de cet article.
La découverte de l’US remonte au xixe siècle avec, entre autres, des études sur le calcul de la vitesse du son dans le lac Léman en 1826 par le physicien suisse Colladon, puis la publication en 1880 de l’effet piézo-électrique par les frères Curie.
Les premières technologies ultrasonores ont été réalisées dans le domaine militaire avec l’invention du SONAR (Sound navigation and ranging) en 1915, puis en 1935 avec la découverte du RADAR (Radio detection and ranging),2 utilisé pour détecter la présence et déterminer la position ainsi que la vitesse d’objets tels que les avions, les bateaux et les sous-marins.
Dans le domaine médical, les premières expériences diagnostiques avec des appareils d’US commencent au début des années 40 avec la détection de tumeurs cérébrales en 1942 par Dussik, neuropsychiatre autrichien. Puis, en 1948, l’Américain Ludwig était le premier à décrire l’utilisation des US pour diagnostiquer des calculs biliaires. Par la suite, plusieurs modes d’utilisation des US ont été développés et ont permis une meilleure observation de l’anatomie avec des dimensions différentes (Mode A – amplitude, Mode B – brillance, Mode M – time motion et Mode Doppler). Au début des années 1950, le chirurgien Wild et l’ingénieur Reid ont présenté une nouvelle technologie qui a permis la visualisation de tumeurs cancéreuses avec les premières images en 2 dimensions (2D).
En 1958, Donald réalise les premières US obstétriques, mais l’utilisation répandue de l’US dans ce domaine date des années 1970 avec des appareils permettant de capter les bruits du cœur fœtal ainsi qu’en cardiologie avec les premières US Doppler couleur. Dans les années 90, l’apparition de l’US en 3D a permis une amélioration importante des performances diagnostiques.2
Les avancées technologiques actuelles ultrarapides offrent la possibilité de présenter des images en 4 dimensions (4D). En parallèle, le développement vers la miniaturisation des appareils permet d’avoir des US portables et même ultraportables (de la taille d’un smartphone) qui facilitent leur déplacement au lit du patient ou permettent une utilisation lors de consultations à domicile.
Au milieu des années 90, l’utilisation de l’US au lit du patient dans les services d’urgences nord-américains a explosé avec l’arrivée du « FAST » (Focused assessment with sonography for trauma), un protocole d’évaluation du polytraumatisé, qui est actuellement devenu l’approche standard aux urgences en Europe. Actuellement, le FAST et d’autres protocoles apparentés sont bien établis dans les situations d’urgences.3
Avant cette évolution de l’US aux urgences, il existait le principe que chaque examen d’US ne pouvait être effectué que par un spécialiste hautement qualifié et ne devait concerner qu’une région ou un organe complet. Le paradigme de l’US d’organe a cédé la place à celui d’US cliniques d’urgences avec l’évolution de l’US ciblée au lit du patient : le Point of care ultra sound (POCUS).
Il ne s’agit donc plus d’effectuer des examens complets d’organes ou de structures, mais d’utiliser l’US comme un complément de l’examen clinique, pour une évaluation rapide et ciblée par une réponse immédiate binaire à une question bien définie (figure 1).
Dans la pratique quotidienne des médecins de famille, les situations sont potentiellement fréquentes où l’US pourrait permettre une meilleure prise en charge du patient avec l’aide rapide au diagnostic, la gestion des urgences ainsi que pour l’orientation des patients.
Dans la littérature récente, on trouve de plus en plus d’études qui confortent l’utilité de l’US pour différentes indications, notamment en médecine de famille. Dans une étude française de 2013, réalisée par Lemanissier et coll., une liste d’indications de l’US pour la médecine de famille a été élaborée.4
Le tableau 1 résume les possibles indications de l’US pour le médecin de famille ainsi que celles pour lesquelles des études ont démontré leur efficacité ou de réelles performances.
Face à un patient avec des douleurs abdominales aiguës, la possibilité de pouvoir confirmer ou écarter la suspicion de cholécystite, d’appendicite ou d’ascite (ou possiblement la recherche d’une diverticulite) sont les principales indications.
Dans la littérature, l’US abdominale est l’une des indications la plus étudiée : des publications ont pu montrer que les médecins de famille sont aussi performants que les radiologues pour visualiser le foie, les voies biliaires, la vésicule biliaire, l’ascite et ainsi éliminer des pathologies fréquemment rencontrées avec un examen d’US abdominale simple après une formation d’US adaptée.5,6
Sur le plan respiratoire, la possibilité de diagnostiquer un épanchement pleural ou un pneumothorax fait partie des indications pour les urgentistes et pourrait également être utile pour le médecin de famille.
Plusieurs études récentes ont montré l’efficacité de diagnostiquer la pneumonie avec l’US. En effet, une méta-analyse de 2014 montre que la détection des consolidations du parenchyme (pneumonie) par l’US est supérieure à la radiologie standard, avec des sensibilités et des spécificités supérieures à 90 %.7 Même si les examens étaient réalisés essentiellement par des spécialistes, les auteurs de l’étude concluent que la technique serait facilement transposable en médecine de famille.
Le dépistage et le suivi d’un anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) ou la suspicion d’une thrombose veineuse profonde (TVP) sont des situations fréquemment rencontrées en médecine de famille. Une étude de 2012 a mis en évidence une bonne sensibilité pour la surveillance et le dépistage d’un AAA avec une US de poche par des médecins spécifiquement formés.8 Cette approche a permis une réduction significative de la morbidité de l’AAA chez les fumeurs âgés.9
Concernant la suspicion de la TVP, une méta-analyse de 2015 a montré une sensibilité et une spécificité qui dépassent 95 % pour le diagnostic de TVP par ultrasons effectué par des urgentistes. A noter que les auteurs soulignent l’importance d’une bonne formation avec une dispersion des résultats selon l’examinateur et le patient.10
En décembre 2016, une étude a montré une amélioration de la prise en charge d’un abcès en médecine de famille avec l’aide de l’US pour distinguer l’abcès de la phlébite / cellulite et la prise de décision d’incision et de drainage.11
La possibilité de pouvoir confirmer la suspicion d’une colique néphrétique et de voir la présence d’une dilatation des cavités pyélocalicielles est parfois mentionnée comme une possible indication en médecine de famille. Toutefois, aucune étude actuellement ne permet de valider ces performances.
Dans la littérature, il existe de nombreuses publications sur l’utilité de l’US pour identifier rapidement un épanchement péricardique ou une hypovolémie majeure pour les patients gravement malades, des examens qui sont très utiles pour l’urgentiste mais sont probablement moins pertinents en médecine de famille.
Une étude publiée en 2015 a examiné la précision des mesures des dimensions du ventricule gauche effectuées par des médecins de famille avec une US de poche après une courte formation (4 heures) et très ciblée. La conclusion de cette étude était que la détection d’une hypertrophie chez un patient avec hypertension par le médecin de famille était faisable après une formation correcte mais accentue le besoin de futures études pour déterminer la formation idéale pour rendre la bonne compétence.12
Plusieurs études récentes montrent des indications différentes pour l’US dans le domaine locomoteur et démontrent que l’utilisation de POCUS prend une place de plus en plus importante dans la pratique quotidienne chez le rhumatologue et l’orthopédiste.13,14
Pour le médecin de famille, plusieurs indications sont potentiellement intéressantes, comme l’évaluation des douleurs de l’épaule, les épanchements intra-articulaires ou les arthrites microcristallines.
La qualité de réalisation de l’US est relativement « utilisateur-dépendant ». Avec l’évolution rapide de la technique et de l’utilisation de POCUS, des questions sur la formation actuelle se posent.
L’intégration de la formation prégraduée en US devient de plus en plus populaire dans les facultés de médecine. A l’université de South Carolina School of Medecine aux Etats-Unis, l’implémentation de la formation à l’US depuis la première année des études de médecine date de 2006 et une évaluation après 9 ans, publiée en 2015, constate d’importants bénéfices.15 Ceux-ci ont par ailleurs montré que des étudiants en première année de formation de médecine sont plus performants pour évaluer correctement la taille du foie d’un patient avec l’US de poche par rapport à des spécialistes examinant le patient par la palpation.
A l’heure actuelle, il n’y a pas de formation à l’US au programme de la formation prégraduée des étudiants de médecine en Suisse. Le catalogue des objectifs, même dans son projet de révision, ne propose pas l’acquisition de compétences pratiques en échographie. L’enseignement est avant tout théorique, abordant brièvement les questions de physique de l’échographie et les indications aux examens (C RN 26 et 27). La mise en place de cours pratiques dédiés à l’acquisition de compétences en US est le fait d’initiatives locales. Dans certaines universités germanophones, des groupes d’étudiants motivés par l’apprentissage de l’US se sont créés sous le patronat de l’organisation Sono4You (www.sono4you.org). A Lausanne, un cursus dédié à l’apprentissage de l’US a été inscrit dans les cours d’imagerie médicale. Des ateliers pratiques obligatoires pour tous les étudiants sont proposés en 4e année, avec l’objectif de maîtriser le EFAST (Extended focused assessment with sonography for trauma).
Une étude danoise publiée en 2016 sur les pratiques des POCUS dans la médecine de premier recours a révélé de grandes variations quant à la pratique et à la formation actuelles dans les pays européens. La Suisse figurait dans les trois pays sur douze qui n’avaient pas de formation spécifique pour l’utilisation des échographies par le médecin de famille.16
En Suisse, la formation postgraduée en US se fait soit dans un cursus de spécialisation intégrant les US (gynécologie, angiologie, neurologie, urologie, radiologie, etc.), soit par l’acquisition d’une formation complémentaire en US. Il existe en tout 16 programmes de formation postgraduée intégrant une formation en US. Le remboursement des examens échographiques par l’assurance de base, selon la tarification Tarmed ne se fait que dans ce cadre. Les attestations de formations complémentaires sont gérées par la Société suisse d’ultrasons en médecine (SGUM / SSUM) et les formations organisées par ses différentes sections. Cette formation propose 6 modules différents, à savoir : l’abdomen, l’appareil locomoteur, les vaisseaux, la gynécologie, les organes cervicaux et la pédiatrie. Il existe un module complémentaire concernant l’échographie mammaire. Les programmes d’apprentissage sont bien définis. Pour le module « abdomen » par exemple, il faut attester la réalisation et la documentation de 500 examens d’US au total, dont au moins 400 de l’abdomen et au moins 200 sous supervision. Parallèlement à la réalisation de ces examens, le candidat au certificat de formation approfondie doit suivre trois cours structurés.
En France, on trouve plusieurs formations qui s’adressent aux médecins de famille et comportant des ateliers pratiques pour la manipulation générale avec comme objectif l’apprentissage de certains gestes rapides et utiles dans les situations cliniques fréquentes.
En Suisse, un cadre de formation au POCUS est en train de voir le jour. Un certificat de capacité en POCUS a été accepté par l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM / SWIF) en décembre 2016. Les détails de ce programme doivent encore être validés définitivement et publiés par la SSUM / SGUM. Dans les grandes lignes, ce programme de formation demande de suivre un cours de base et de réaliser 200 examens dans le domaine POCUS visé (urgences, échocardiographie transœsophagienne, ponctions veineuses, exploration focalisée des vaisseaux, appareil locomoteur, thorax, thérapie de la douleur, endosonographie anorectale, anesthésie régionale, néonatologie, pédiatrie et neuroréanimation). Cinquante pour cent au minimum des explorations exigées doivent être supervisées.
On assiste à un changement dans la pratique de l’US, d’un examen complet spécialisé prenant du temps vers une pratique beaucoup plus ciblée au lit du patient, se rapprochant de l’activité clinique de routine telle que pratiquée avec le stéthoscope par exemple. Il peut en effet apparaître séduisant de pouvoir « rapidement passer un coup de sonde » avec une US de poche chez un patient pour approfondir l’examen clinique. Il reste cependant du chemin à parcourir, même si quelques études montrent l’efficacité de l’US en médecine de famille.
Il faut également noter que les deux approches, l’une spécialisée pratiquant des examens complets très détaillés (estimation de la fraction d’éjection ventriculaire ou évaluation globale d’une hypertension portale, par exemple) et l’autre très ciblée, sont certainement complémentaires et peuvent tout à fait coexister.
En Suisse, environ 30 % des médecins de famille ont un appareil d’US dans leur cabinet. Selon la statistique de la FMH, 1477 médecins de famille sont détenteurs d’un certificat de formation approfondie en US (18 %).
La formation en US actuelle en Suisse paraît inadaptée à une pratique POCUS en médecine de famille et des questions comme le remboursement par Tarmed de l’acte POCUS se posent. Un acte qui devrait être distingué de celui d’un examen d’US complet.
La médecine évolue et certainement que l’US pourra trouver une place dans la pratique clinique de routine en complémentarité du stéthoscope notamment. Il fut un temps où l’on disait : « hat it will ever come into general practice, I am extremely doubtful ; because its beneficial application requires much time and gives a good bit of trouble both to the patient and the practitioner. », en parlant du stéthoscope et non de l’US. C’était ce qu’en disait Forbes dans la préface du traité sur l’« auscultation médiate » de Laennec en 1829. Le métier évolue, en espérant pour le bien des patients !
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Longtemps considérée comme un examen complémentaire, l’ultrasonographie (US) est en train de devenir un outil clinique à part entière, notamment pour le médecin de famille
▪ Aujourd’hui, des appareils d’US sont très performants, de moins en moins chers et la miniaturisation des appareils ultraportables facilite le déplacement
▪ Pour le médecin de premier recours, les indications d’un examen ciblé par l’US sont nombreuses, avec plusieurs articles récents qui supportent l’utilisation d’US pour améliorer la prise en charge des patients
▪ En Suisse, la formation postgraduée en US pour les médecins de famille est une formation complémentaire, nécessaire pour pouvoir facturer selon Tarmed