Avec l’invention de la dynamite, un certain Alfred Nobel a réuni une telle fortune qu’il s’est donné la possibilité de créer, après tout ce que sa découverte a pu détruire. En 1900, il fonde la Fondation homonyme et lui attribue la mission de récompenser des personnes qui ont rendu de grands services à l’humanité. On compte cinq disciplines : la physique, la chimie, la littérature, la paix, et la physiologie ou médecine. Parmi les élus, on retrouve Ivan Pavlov, entre cent autres. Mais nous nous devons de dresser cette liste en sortant de l’ombre deux promus au Nobel de médecine (qui ont de bonnes raisons d’y être).
En effet, nobélisés en 1949, les Drs António Egas Moniz et le Suisse Walter Rudolf Hess, nous ont apporté la lobotomie (ou plus précisément la leucotomie) en 1935. Un de leurs doctorants, le Dr Walter Freeman parcourut les Etats-Unis avec une Lobotomobile pour « traiter » en série tous les patients à moindre coût : une anesthésie locale ou un électrochoc dans une salle d’opération mobile. Sa technique dite « de l’essuie-glace » permettait de maximiser l’effet d’une simple intervention. Il a par ailleurs présidé l’American Association of Neuropathologists et l’American Board of Psychiatry and Neurology. Parmi ses illustres patients, on compte Mme Kennedy – sœur du futur président – qui finit sa vie dans un état quasiment végétatif. La découverte fortuite d’Henry Laborit a permis de renoncer progressivement à cette pratique. Le Dr Freeman vit sa brillante carrière subitement interrompue par le décès d’un patient sur sa table d’opération. Il se verra retirer son droit d’exercer, mais continuera à chercher des indications à sa technique maîtrisée, auprès de mères dépressives et d’enfants hyperactifs.
Pedro Almodovar aurait pu en faire un road-movie et y déployer toute sa créativité mais, pour des raisons que nous ignorons, aucun cinéaste ne s’est emparé de ce remarquable script. Frances Farmer fut mise en scène dans « Frances » (1982), retraçant toutes les tortures que la psychiatrie lui infligea. La lobotomie et la torture en général ont intéressé de nombreux cinéastes.1
Moniz a fait l’objet d’une demande de « dénobélisation » qui semble être encore en suspens…2 La Déclaration d’Helsinki de l’AMM (Association médicale mondiale) met un terme final aux pratiques barbares à l’occasion de son Assemblée générale de 19643 en inscrivant dans le Code international d’éthique médicale « le médecin devra agir uniquement dans l’intérêt de son patient lorsqu’il lui procure des soins qui peuvent avoir pour conséquence un affaiblissement de sa condition physique ou mentale ».
Le Nobel 1927 fut attribué au neurologue Julius Wagner-Jauregg pour sa malariathérapie qui s’avérait efficace contre la paralysie générale causée par la syphilis. Sa technique consistait simplement en l’inoculation du parasite. Il mesurait l’effet obtenu, corrélé à la hausse de température. Etant également spécialisé en psychiatrie, il usa de l’électricité pour traiter les névroses.
Si le premier des principes fondamentaux des médecins et des pharmaciens est « être utile, ou au moins ne pas nuire », il est de notre devoir de rester vigilants et de se souvenir du mal qui a été fait à la population au titre du progrès médical.
Ainsi, si on peut se réjouir des premières bases scientifiques qui confirment le bienfait de l’utilisation de moyens physiques comme l’électrostimulation transcrânienne pour sortir de l’impasse 50 % des dépressifs sévères4 qui ne répondent pas à la psychothérapie, associée à différents antidépresseurs, il ne faut pas oublier que de nombreuses techniques sont pourvues d’effets indésirables que l’enthousiasme des chercheurs ne doit pas scotomiser et qu’il appartient à nous, prescripteurs, d’en vérifier l’innocuité avant l’administration au patient.