L’American Diabetes Association classifie les différents types de diabète en diabète de type 1, diabète de type 2, diabète gestationnel et diabète de type spécifique. Au sein de cette dernière catégorie figurent notamment les diabètes liés à un syndrome monogénique (MODY) et le diabète secondaire aux endocrinopathies.1
Il convient, face à un diabète nouvellement diagnostiqué, de se questionner quant à la présence d’une possible endocrinopathie afin de ne pas intensifier le traitement du diabète sans tenir compte de la pathologie endocrinienne sous-jacente.2,3
L’hyperglycémie peut être la conséquence directe ou indirecte d’un excès d’hormones, les plus fréquemment incriminées étant l’hormone de croissance (HC) et le cortisol. Dans cet article, nous allons passer en revue de façon non exhaustive quelques pathologies endocriniennes pouvant entraîner un diabète en nous intéressant aux particularités cliniques ainsi qu’aux mécanismes physiopathologiques spécifiques de ces dernières (tableau 1).
Cette affection reste rare, bien que probablement sous ou tardivement diagnostiquée en raison de sa nature insidieuse. La prévalence est de l’ordre de 2-13 cas/100 000 habitants. L’âge médian de survenue se situe vers 40-50 ans.
Les acromégalies sont principalement sporadiques, cependant des formes familiales ou syndromiques existent (par exemple néoplasies endocriniennes multiples de type 1 – NEM 1). Hormis les symptômes locaux en lien avec une masse hypophysaire (le plus fréquemment céphalées et hémianopsie bitemporale), la présentation clinique comprend classiquement un élargissement des tissus mous, des structures osseuses, des sinus ainsi que des organomégalies. Des complications neurologiques (tunnel carpien) peuvent survenir. Une hypersudation malodorante est décrite. La prévalence de certaines tumeurs est plus importante (nodules thyroïdiens, polypes coliques). Au chapitre des complications métaboliques, citons le syndrome des apnées du sommeil et l’hypertension artérielle, deux fois plus fréquente que dans la population générale, et enfin l’hyperglycémie.
Bien que la prévalence de survenue de diabète chez les patients acromégales ne soit pas précisément connue, il est estimé que plus de 50 à 60 % de ces patients vont développer un prédiabète, voire un diabète dans 15 à 38 % des cas. La prévalence d’une intolérance au glucose ou d’un diabète nouveau est donc 1,3 à 1,5 fois plus importante chez ces patients que dans la population générale.4 Dans une série japonaise de 327 patients hospitalisés avec un diabète de type 2, une recherche systématique d’acromégalie a permis de diagnostiquer 2 cas (soit 0,6 %).5
D’un point de vue physiopathologique, l’HC a une action antagoniste à celle de l’insuline. Elle entraîne une augmentation de la néoglucogenèse hépatique et induit une insulinorésistance musculaire se soldant par un épuisement des cellules pancréatiques β. L’IGF 1 (insulin-like growth factor-1) partage plus de 50 % d’acides aminés communs avec l’insuline. Contrairement à l’HC, elle a un effet insulino-sensibilisateur et diminue la production de glucose au niveau hépatique et en augmente la captation au niveau musculaire.6,7
Le diagnostic d’acromégalie repose sur un dosage de l’IGF 1, suivi d’un test de confirmation par une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO). L’imagerie de choix reste l’IRM hypophysaire. Une fois le diagnostic posé, une approche chirurgicale demeure la première ligne thérapeutique.
Les analogues de la somatostatine représentent la première ligne de traitement médicamenteuse. On distingue les analogues de première et de seconde générations selon leur affinité pour les récepteurs de la somatostatine (SST 2 ou SST 5 respectivement). Le pasiréotide (2e génération) induit des hyperglycémies dans 40 % des cas en provoquant une inhibition de la sécrétion d’insuline. L’antagoniste des récepteurs de l’HC (pegvisomant), quant à lui, a des effets favorables sur l’équilibre glycémique.7,8
L’incidence du syndrome de Cushing est de 3 à 4 cas /million d’habitants par année. Qu’il s’agisse d’une maladie ou d’un syndrome de Cushing, dépendant ou indépendant de l’ACTH (adrenocorticotropic hormone), endogène ou exogène, l’élévation du taux de cortisol engendre une myriade de répercussions cliniques, les plus relevantes étant la pléthore faciale, l’amyotrophie proximale, les vergetures pourpres et larges ainsi que la tendance à la formation d’hématomes. Sur le plan métabolique, une alcalose métabolique, associée à une hypokaliémie, une hypertension artérielle et un diabète peuvent survenir ou se péjorer.
La prévalence de l’intolérance au glucose et du diabète de type 2 est de l’ordre de 17 % et 36 % dans le syndrome de Cushing, versus 23 % et 22 % dans la sécrétion autonome de cortisol.9 La prévalence du diabète peut même atteindre 50 % selon certains auteurs.2
Les glucocorticoïdes entraînent une augmentation de la néoglucogenèse hépatique, une résistance à l’insuline par diminution de l’expression des récepteurs GLUT 4 à la surface des cellules musculaires, une augmentation de la lipolyse ainsi qu’une diminution de la sécrétion d’insuline par une altération des transporteurs GLUT 2 au niveau de la cellule β. De plus, de par la surcharge pondérale de répartition essentiellement abdominale, une résistance à l’insuline survient de façon similaire à un diabète de type 2.9
Le diagnostic se pose en ayant recours à différents tests. Nous citerons ici, sans entrer dans les détails, la cortisolurie de 24 heures, le cortisol salivaire de minuit et le test de freinage à la dexaméthasone.
Le traitement doit être adapté en fonction de l’étiologie. Parmi l’arsenal thérapeutique à disposition, mentionnons la chirurgie transphénoïdale ou surrénalienne, les traitements adrénolytiques (kétoconazole, métyrapone), les antagonistes des récepteurs aux glucocorticoïdes qui améliorent également le profil glycémique ou encore, si l’origine est centrale, le pasiréotide. Ce dernier péjore le profil glycémique du patient, comme mentionné ci-dessus.
Les tumeurs sécrétant des catécholamines sont classées en deux groupes : les phéochromocytomes issus des surrénales et les paragangliomes situés dans les ganglions sympathiques. Leur incidence est de l’ordre de 1 /100 000 habitants.10 Leur prévalence varie entre 0,2 et 0,6 %.
Classiquement, 90 % des patients présentent au moins un symptôme de la triade céphalées, sudations, palpitations. La pâleur et d’autres symptômes peuvent compléter le tableau. Des formes syndromiques (NEM 2 par exemple) ou sporadiques sont décrites.
Une association entre phéochromocytome et diabète a été rapportée dans la littérature, essentiellement par des revues de cas.11,12 Le diabète peut se rencontrer chez 15 à 35 % des patients présentant un phéochromocytome.13
Sur le plan physiopathologique, les catécholamines entraînent plusieurs effets via leurs récepteurs α1 et α2, β1 et β2. Une augmentation de la néoglucogenèse hépatique est médiée par les récepteurs α1 et α2. Les récepteurs α2 induisent une diminution de la sécrétion d’insuline et de glucagon, contrairement aux récepteurs β2. De plus, les catécholamines altèrent le transport du glucose en inhibant l’action de l’insuline sur l’expression des récepteurs au glucose. Enfin, les catécholamines interfèrent directement sur la sous-unité β des récepteurs à l’insuline par une diminution de l’activité tyrosine kinase.
Le diagnostic repose sur le dosage des catécholamines plasmatiques ou urinaires que nous ne détaillerons pas volontairement dans cet article. L’IRM abdominale ainsi que la scintigraphie à la MIBG (métaiodobenzylguanidine) constituent les imageries de choix. Le traitement est avant tout chirurgical et impose une préparation médicamenteuse tensionnelle et rythmique spécifique. La prise en charge chirurgicale reste la première ligne thérapeutique de ces pathologies. L’ablation du phéochromocytome peut s’accompagner d’une rémission du diabète. En postopératoire, il n’est pas rare d’observer des hypoglycémies.13
L’hyperthyroïdie résulte d’une augmentation des hormones thyroïdiennes qui entraînent classiquement une nervosité, des tremblements, des palpitations, une perte pondérale et une intolérance à la chaleur. La prévalence des hyperthyroïdies aux Etats-Unis est de l’ordre de 1,2 %, les étiologies principalement représentées étant la maladie de Basedow, les goitres multinodulaires toxiques et les adénomes toxiques.
La prévalence de l’intolérance au glucose et du diabète chez les patients avec une hyperthyroïdie n’est pas claire, pouvant varier pour la première entre 30 et 60 %, et pour la seconde entre 2 et 4 %.
Sur le plan physiopathologique, l’hyperthyroïdie aggrave l’intolérance au glucose par une absorption intestinale de glucose et par une néoglucogenèse augmentées. Cependant, on note une expression plus importante des récepteurs GLUT 4 au niveau musculaire. L’élévation du glucagon dans l’hyperthyroïdie ne semble jouer qu’un rôle mineur dans la survenue de l’hyperglycémie.2,14
Une hyperthyroïdie se définit par une élévation des taux de T4 libre et de T3 libre associée à une TSH (thyréostimuline) supprimée, en cas d’origine primaire du moins. Un ultrason de la thyroïde permet de distinguer un nodule autonome d’une thyroïdite autoimmune.
Les antithyroïdiens tels que le carbimazole ou le propylthiouracile sont les traitements à disposition sur le marché suisse. Une approche plus radicale par iode radioactif ou chirurgie se discute au cas par cas.
L’hyperaldostéronisme primaire ou syndrome de Conn se manifeste par une hypertension artérielle, une alcalose métabolique et une hypokaliémie. Cette entité est diagnostiquée chez environ 5 à 10 % des patients présentant une hypertension artérielle. Si une intolérance au glucose est retrouvée dans 30 % des cas, le diabète reste exceptionnel.
L’hypokaliémie est responsable du développement des troubles glycémiques. En effet, un taux suffisant de potassium est nécessaire à la dépolarisation de la cellule β qui entraîne un afflux de calcium nécessaire au relargage de l’insuline.15
Le diagnostic repose sur le dosage du rapport rénine /aldostérone. Des tests dynamiques permettent de confirmer le diagnostic et un recours au cathétérisme des glandes surrénales est parfois nécessaire afin de localiser l’adénome si l’imagerie n’est pas équivoque. En cas de lésion unilatérale, l’approche chirurgicale reste la première ligne de traitement. La spironolactone ou l’eplérénone représentent les alternatives médicamenteuses à disposition.
Les tumeurs neuroendocrines sont une entité vaste mais rare que nous n’allons pas aborder en détail ici. Seuls les glucagonomes et les somatostatinomes seront évoqués brièvement.
Lors de sécrétion de glucagon en excès par les cellules α, un diabète survient dans 80 à 90 % des cas sous des formes plus ou moins sévères. Le glucagonome se manifeste également par un érythème nécrolytique. L’acidocétose est volontiers absente du tableau clinique, témoignant de la persistance d’une sécrétion d’insuline.
Les somatostatinomes entraînent un diabète par une inhibition de la sécrétion d’insuline. La triade associant un diabète nouveau, des diarrhées et des douleurs abdominales doit éveiller un doute diagnostique et faire rechercher un somatostatinome.
Un diabète sucré secondaire à une endocrinopathie n’est pas si rare. Les mécanismes physiopathologiques sont divers. Il convient, en présence de manifestations cliniques faisant fortement suspecter une endocrinopathie sous-jacente, de rechercher activement cette dernière afin de ne pas intensifier le traitement antidiabétique sans traiter la maladie primaire (tableaux 2 et 3). Cependant, si la suspicion clinique est faible, il ne faut pas non plus rechercher inutilement des maladies rares. Une fois la pathologie endocrinienne traitée, le diabète peut se mettre en rémission, sous réserve que l’endocrinopathie était seule responsable du déséquilibre glycémique.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.